Fumée blanche pour pape noir ?

Si le conclave des cardinaux réunis à la chapelle Sixtine depuis le 18 avril choisit de placer un Africain sur le trône de saint Pierre, il s’agira presque à coup sûr de Mgr Francis Arinze. Portrait d’un « papabile » venu d’ailleurs.

Publié le 18 avril 2005 Lecture : 7 minutes.

Le conclave appelé à désigner le successeur de Jean-Paul II se réunira à partir du 18 avril dans la chapelle Sixtine, au Vatican. Membres du Sacré Collège, les cent dix-sept cardinaux électeurs sont tenus à la discrétion la plus absolue… mais certains se laissent quand même aller à quelques commentaires plus ou moins sybillins. La succession du pontife défunt s’annonçant écrasante – on ne remplace pas aisément un homme de l’envergure de Karol Wojtyla -, on croit deviner que certains ne verraient pas d’un mauvais oeil l’élection d’un cardinal trop âgé pour être autre chose qu’un « pape de transition ». Et que, dans cette hypothèse, un Africain pourrait parfaitement faire l’affaire, même si, bien sûr, d’autres solutions sont envisageables. Les deux tiers des catholiques étant originaires du sud de l’équateur, ce serait la confirmation que les Européens ne règnent plus sans partage sur l’Église. Alors, verra-t-on une fumée blanche s’élever au-dessus de la basilique Saint-Pierre pour annoncer l’élection d’un pape noir ? Les papabili étant au nombre d’une vingtaine (J.A.I. n° 2309), de nombreux « vaticanologues » ne cachent pas leur scepticisme. Mais si tel devait néanmoins être le cas, il ne pourrait s’agir que de Mgr Francis Arinze (73 ans).
Démarche vigoureuse, regard malicieux derrière de grosses lunettes et lèvres pincées en une esquisse de sourire, le cardinal a de faux air d’Olusegun Obasanjo, le président nigérian, son compatriote. Même sens de l’humour, même capacité de travail, même souci d’efficacité qui fait souvent peu de cas du protocole… On sent chez lui la « griffe » culturelle du Nigeria, cette ancienne civilisation qui a produit des princes, des conquérants, des dignitaires musulmans et, plus récemment, un Prix Nobel de littérature (Wole Soyinka) et de nombreux scientifiques.
Aujourd’hui préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, ce qui fait de lui le numéro quatre du Vatican, Mgr Arinze a jusqu’ici réussi un parcours sans faute. Il est né le 1er novembre 1932, à Eziowelle, un village de l’archidiocèse d’Onitsha, dans l’extrême ouest de l’État d’Anambra, au coeur de la forêt équatoriale. Joseph et Bernadette, ses parents, l’élèvent avec ses sept frères et soeurs – il est le troisième – dans la religion traditionnelle (animiste). Francis est bon élève et, à l’âge de 9 ans, se convertit au catholicisme, condition sine qua non, à l’époque, pour être admis à l’école paroissiale. À 15 ans, il commence des études secondaires au All Hallows Seminary Ognissanti, à Nuewi, et les achève, en 1950, au séminaire spiritain Saint-Paul, à Enugu, la capitale de l’État. Brillant élève, il est chargé par la direction des études, malgré son jeune âge (18 ans), d’assurer certains cours. Ce qu’il fera jusqu’en 1953, tout en étudiant la philosophie. Le séminaire est en pleine expansion et reçoit des élèves venus de tout le sud et l’ouest du Nigeria.
Les séminaristes ne cherchent pas à garder pour eux cet élève prometteur et, en 1955, le poussent à entreprendre le long voyage de Rome. Le jeune Arinze s’embarque à Lagos à destination de Liverpool, d’où il ralliera la Ville éternelle. Il a encore en mémoire l’émotion qu’il ressentit en montant dans le bus 64 qui allait le conduire, pour la première fois, au Vatican. Admis à la Pontifical Urban University, il compte vite parmi les meilleurs étudiants en théologie et, le 23 novembre 1958, est ordonné prêtre dans la chapelle de l’université. Il poursuit ses études jusqu’en 1961, date à laquelle il rentre au pays et réintègre le séminaire d’Enugu, où il y enseigne la logique et la philosophie.
Dans le même temps, la hiérarchie diocésaine lui confie une première responsabilité : le secrétariat de l’enseignement catholique pour la région ouest du Nigeria. Il repart alors pour Londres, d’où, en 1964, il revient diplômé de l’Institut de pédagogie.
L’année suivante, à 32 ans, il prend en main l’évêché de Fissiana : il est le plus jeune évêque du monde. Deux ans plus tard, le 26 juin 1967, il est promu archevêque d’Onitsha (où il assurait déjà la charge de coadjuteur). Premier Africain à occuper cette fonction – son prédécesseur était irlandais -, il ne s’en démettra qu’en avril 1985, lors de son élévation au cardinalat.
C’est le début d’une carrière vaticane rondement menée. Pourtant, en dépit des tragédies qui jalonnent l’histoire du Nigeria, Mgr Arinze multiplie les allers-retours entre Rome et Onitsha. Ce qui ne l’empêche pas d’assister à tous les synodes organisés par Paul VI, et, bien sûr, au concile Vatican II (1962-1965). Outre la langue ibo, il parle l’anglais, l’italien, le français et l’espagnol. Cultivé, courtois, très drôle à l’occasion, il est apprécié de ses collègues.
En 1967, éclate le conflit du Biafra. L’archevêque d’Onitsha a-t-il soutenu les revendications des sécessionnistes ibos en lutte contre le pouvoir central nigérian ? Il se montre aujourd’hui fort discret sur ce point, mais la seule évocation de cette atroce guerre civile – un million de morts – le fait encore frémir. Rentré d’urgence dans son pays, il participe aux différentes médiations et coordonne l’aide aux victimes, dont beaucoup meurent de faim. « La guerre ne résout rien, elle amplifie les problèmes », dit-il.
Quatre ethnies principales et quelque 250 communautés se côtoient au Nigeria, où chrétiens et musulmans sont numériquement de force à peu près égale. Mais Mgr Arinze entretient de bonnes relations avec tout le monde, y compris les protestants, nombreux dans cette ex-colonie britannique. Ce qui ne l’empêche pas de multiplier les conversions, au point de susciter l’étonnement de Jean-Paul II, lors de sa visite à Lagos, en 1982. Au troisième jour de ce voyage, le pape se rendra à Kaduna, dans le nord du pays, pour y ordonner une centaine de prêtres. Une manière de défi lancé aux dignitaires musulmans qu’il rencontrera peu après. Jean-Paul II parti, Mgr Arinze reprendra ses navettes entre synagogues, temples et mosquées… Mais il a attiré l’attention du nouveau pape, qui, bientôt, l’appelle à Rome pour prendre la tête du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Le 8 mai 1994, c’est lui qui, en sa qualité de premier Président délégué, clôturera solennellement l’Assemblée extraordinaire du synode des évêques africains, dans la basilique Saint-Pierre…
En octobre 1999, il reçoit la médaille d’or du Conseil international des juifs et des chrétiens en raison de ses « réalisations remarquables » dans le domaine des relations entre les deux religions. Entretemps, Jean-Paul II a demandé pardon aux juifs pour des siècles de persécution et s’est rendu à Jérusalem. « Ce qui est exceptionnel chez Arinze, commente l’un de ses collègues, c’est qu’il dit les choses les plus difficiles avec un grand sourire : vous ne pouvez que l’approuver. »
« L’Église doit être chez elle dans toutes les cultures ; elle ne doit être persécutée ni emprisonnée nulle part », affirme ce prélat atypique, amateur de tennis et de football, qui ne doute pas que « les musulmans, les bouddhistes et les juifs doivent aller au paradis ». Au cours de sa mission, il nouera d’excellentes relations avec les autorités saoudiennes, les princes de la région du Golfe et les musulmans américains. Résultat : lors des funérailles de Jean-Paul II, les Émirats arabes unis délégueront leur ministre de l’Information, le Koweït enverra un membre de la famille royale et l’émir du Qatar se déplacera en personne…
En octobre 2002, sa nomination comme préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements va mettre en lumière un autre aspect de la personnalité du cardinal Arinze : son profond conservatisme. Proche de Jean-Paul II en ce domaine comme dans d’autres, il s’est prononcé publiquement contre l’avortement et l’utilisation du préservatif. En mai 2003, à l’université américaine Georgetown, il provoquera une levée de boucliers en assimilant l’homosexualité à la pornographie, à la fornication et à l’adultère. « Il est pourtant sympathique, pas du tout compassé, commente une employée du Vatican. Il répond lui-même au téléphone et plaisante avec les secrétaires. À l’évidence, il est très à l’aise avec les femmes. » Ce qui n’est apparemment pas une raison pour qu’il approuve leur éventuel accès à la prêtrise.
Quoique respectueux des religions traditionnelles, il est farouchement opposant à tout syncrétisme au sein de l’Église. À ses yeux, les danses locales n’ont pas leur place dans la liturgie. Il a beau avoir accroché sur les murs de son appartement de magnifiques masques africains, il sait parfaitement que nombre d’entre eux sont (ou étaient) utilisés pour appeler à la vengeance ou à l’extermination des ennemis, toutes choses fort éloignées, bien sûr, des valeurs catholiques.
Certes, Mgr Arinze ne compte pas que des amis. Ceux qui ne l’aiment pas le jugent intellectuellement « léger », l’accusent de n’être que le « perroquet » de Jean-Paul II et le soupçonnent de ne pas faire le poids face aux grands de ce monde… Des jugements à l’emporte-pièce que ses amis s’efforcent de relativiser : pourquoi un pape devrait-il forcément être un intellectuel de haut niveau ? C’est d’autant moins nécessaire, dans son cas, qu’Arinze a eu l’habileté de s’entourer de collaborateurs très brillants. Une adroite main de fer dans un gant de velours.

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