Emmanuel Akitani Bob: « Le peuple attend un changement de régime, pas de génération. »

Publié le 18 avril 2005 Lecture : 5 minutes.

Depuis le début de la campagne électorale, le 8 avril, force est de constater qu’Emmanuel Akitani Bob brille par son silence. La rumeur disait même que le candidat unique de l’opposition « radicale » était absent du pays. Pourtant, l’homme à l’allure gracile est tous les jours au siège de l’Union des forces du changement (UFC), où il peaufine sa stratégie électorale et son « projet de société ». Plus serein que jamais, grâce, notamment, à une mobilisation populaire quotidienne en sa faveur, l’ingénieur à la retraite de 74 ans est certain de sortir vainqueur du scrutin du 24 avril. Et résolu d’aller jusqu’au bout de son mandat pour accomplir sa mission « de transition » : remettre le Togo sur pied.

Jeune Afrique/l’Intelligent : C’est la deuxième fois que vous vous présentez à une élection présidentielle. Pensez-vous que vous avez plus de chances de gagner aujourd’hui qu’en 2003 ?
Emmanuel Akitani Bob : Oui, pour deux raisons. D’abord parce que les six partis politiques de l’opposition sont parvenus à s’entendre sur un candidat unique. Il n’y aura pas de dispersion des voix, comme en 2003. C’est un véritable événement. Ensuite parce qu’il y a une immense mobilisation populaire pour le changement.
J.A.I. : Le choix s’est-il rapidement porté sur votre nom ?
E.A.B. : Il a aussi donné lieu à de nombreux débats et s’est effectué en fonction de nombreux critères : le candidat unique devait notamment appartenir au parti politique qui avait recueilli le plus de suffrages aux législatives de 1994 et aux présidentielles de 1998 et 2003. Il a été reconnu unanimement que seule l’UFC remplissait ce critère politique objectif. Mais, je dois préciser que tous étaient conscients que l’heure était grave et qu’il fallait se déterminer en fonction de l’intérêt supérieur du peuple en mettant en sourdine les ambitions personnelles.
J.A.I. : Vous avez 74 ans. Votre âge est-il un handicap face à un homme de 39 ans ?
E.A.B. : Il faut beaucoup de maturité pour trouver les solutions les plus justes aux problèmes du pays, qui sont complexes et graves. Il convient de bien en connaître toutes les données. Il n’est pas simple de démonter quarante ans de régime dictatorial. Par ailleurs, ce qu’attend la population, c’est un changement de régime et non pas seulement de génération.
J.A.I. : On vous suspecte également d’être une sorte de prête-nom de Gilchrist Olympio…
E.A.B. : Gilchrist est un ami. Nous partageons les mêmes points de vue. Je le consulte souvent. N’oublions pas cependant que c’est le parti qui m’a nommé et non pas lui. Mais nous savons tous les deux que nous avons besoin d’un gouvernement de transition. Je m’attellerai d’ailleurs au cours de cette période à remettre sur pied les institutions bafouées de notre pays, en modifiant notamment la Constitution et le code électoral…
J.A.I. : Comment réagirez-vous si, dans trois ou six mois, il vous demande de démissionner pour lui laisser la place ?
E.A.B. : Une démission n’est pas du tout envisagée. Et je ne le vois pas me demander une chose pareille. C’est avec son accord que je suis candidat.
J.A.I. : Combien de temps durera la transition ?
E.A.B. : Probablement cinq ans, soit la durée d’une législature. Mais on ne peut pas appréhender tous les événements à venir. Si, une fois les institutions rétablies, le peuple exige de nouvelles élections, je prendrai les mesures nécessaires et la période de transition sera limitée à deux ou trois ans. L’essentiel est de remettre le pays sur pied d’ici là.
J.A.I. : L’opposition restera-t-elle unie après le scrutin ?
E.A.B. : Je ne peux pas donner de réponse ferme, car notre accord prévoit d’aller jusqu’à la présidentielle seulement. Il n’est donc pas exclu qu’aux législatives chaque parti se présente sous ses propres couleurs.
J.A.I. : Comment avez-vous réagi à la rencontre Léopold Gnininvi-Faure Gnassingbé à Ouagadougou ?
E.A.B. : Gnininvi est mon directeur de campagne. Il m’avait prévenu de son voyage. À son retour, il nous a expliqué que sa rencontre avec Faure avait été initiée par le chef de l’État burkinabè. Et assuré que rien de décisif n’avait été arrêté au cours de cette entrevue. À partir du moment où il ne s’est agi que d’une simple conversation, je ne vois rien à redire.
J.A.I. : Si vous êtes élu, quel sort réserverez-vous à la famille Gnassingbé ?
E.A.B. : Ce sont des citoyens comme les autres. Celui qui symbolisait le régime dictatorial est décédé et ne sera pas jugé de manière posthume. Quant à ses enfants, ils n’ont pas à payer pour les crimes de leur père. S’ils ont commis des fautes à la tête de certaines grandes entreprises nationales, comme la zone franche, ils en répondront devant la justice, mais pas politiquement. Il n’y aura pas de revanche. Nous voulons juste restaurer l’État de droit.
Pour tous.
J.A.I. : En sera-t-il de même dans la hiérarchie militaire ?
E.A.B. : Nous n’avons pas l’intention de juger les caciques de l’armée. Ils n’ont fait qu’obéir aux ordres. Il nous semble inutile de fouiller dans le passé et de remuer le couteau dans la plaie. En revanche, nous nommerons probablement des gens de confiance aux postes clés de la hiérarchie.
J.A.I. : L’opposition a vivement critiqué la position de la France. Comment voyez-vous évoluer les relations entre les deux pays ?
E.A.B. : Nous avons trouvé étrange que la France ait tardé à se prononcer sur le coup d’État et qu’elle ne l’ait pas condamné comme beaucoup d’autres pays. Mais nous n’avons rien contre ses intérêts. C’est un faux calcul de croire qu’un régime dictatorial est mieux à même de les défendre. La France ne peut pas se désintéresser de notre pays.
J.A.I. : Vous avez un projet précis pour le Togo…
E.A.B. : Notre priorité sera de faire un état des lieux, après quarante ans de mal gouvernance. Ensuite, nous nous attacherons à retrouver la confiance de la communauté internationale, car il faut que les bailleurs de fonds reviennent pour nous aider. Nous allons assainir les finances publiques de manière à ce que les salaires et les pensions des retraités soient régulièrement payés. Il faudra aussi redonner espoir à cette jeunesse désoeuvrée. Nous sommes conscients qu’on ne pourra pas régler tous les problèmes d’un coup. Mais nous sortirons les Togolais de la misère et rebâtirons le pays.
J.A.I. : Et si vous n’êtes pas élu ?
E.A.B. : Malgré les fraudes, je serai élu. Le cas échéant, nous poursuivrons la lutte en tant que parti de l’opposition. La rue, elle, continuera de manifester si elle le souhaite… Mais nous espérons que la communauté internationale veillera à la transparence du scrutin.

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