Bouteflika La voie royale

Opposition, presse, syndicats, armée… Un an après sa réélection, le chef de l’État a levé tous les obstacles qui se dressaient devant lui. Un avantage énorme. Pour le meilleur et pour le pire.

Publié le 18 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

Alger, 7 avril 2004. À quelques heures du scrutin présidentiel, la fièvre s’est emparée de la capitale. La rumeur enfle, relayée par les titres des journaux indépendants et les déclarations des candidats à l’élection : « Boutef ne passera pas. » Le chef de l’État est décrit comme un homme fini, isolé, rejeté, presque à l’agonie… Le clan du TSB, « Tout Sauf Boutef », est aux portes du pouvoir. Ali Benflis, Saïd Sadi, Abdallah Djaballah et la « surprise » de l’époque, Ali Fawzi Rebaïne, n’ont pas épargné le président au cours de leur campagne. Leur front commun étonnant – républicains, démocrates, conservateurs, islamistes – va l’emporter.
Alger, 8 avril 2005. Sur les principales artères, les embouteillages s’étirent interminablement et les travaux d’aménagement se multiplient : routes, échangeurs, tunnels… À la périphérie de la ville, partout des immeubles en construction. Les palaces de la capitale grouillent d’hommes d’affaires européens, asiatiques et moyen-orientaux alléchés par les potentialités d’un pays qui, au sortir d’une décennie d’horreur, revit et se reconstruit. Si l’Algérie poursuit sa métamorphose, grandement facilitée par la manne pétrolière, le changement politique annoncé un an plus tôt n’a pas eu lieu.

SOS opposition. Réélu avec près de 85 % des suffrages, Abdelaziz Bouteflika est toujours, et plus que jamais, le grand patron. Face à lui ? Rien. Le désert. Ses adversaires d’hier ont brutalement disparu de la scène politique. Le Front de libération nationale (FLN), après ses velléités d’indépendance sous l’ère Benflis, est rentré dans le rang et a fait acte d’allégeance. Il est désormais placé sous la férule d’Abdelaziz Belkhadem, ministre des Affaires étrangères et proche du chef de l’État. Chef de l’État qui en est devenu le président d’honneur… Saïd Sadi et son Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) ? Aux abonnés absents depuis leur université d’été en septembre 2004. Djaballah ? Malgré quelques sorties médiatiques, le chef du Mouvement de la réforme nationale (MRN-Islah, islamiste) doit faire face à une fronde interne. Son parti, en crise, est menacé d’implosion. Reste donc l’inusable Louisa Hanoune et son Parti des travailleurs (PT), traditionnellement opposé aux réformes libérales. Hier triomphante, l’opposition ne s’est toujours pas relevée de la bataille du 8 avril 2004. Ci-gît l’opposition…

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La presse mise au pas, l’armée reléguée dans ses casernes. Désormais, l’Assemblée populaire nationale (APN) et le Sénat « roulent » comme un seul homme pour « Boutef ». Et la presse privée, si virulente et si libre il y a peu, a calmé ses ardeurs. Rappelée à l’ordre, elle craint aujourd’hui les représailles. L’exemple du quotidien Le Matin – il a disparu des kiosques, et son directeur, Mohamed Benchicou, est en prison – a induit un changement de ton radical. Quant à l’armée, elle semble être sortie du champ politique. Trois mois après sa réélection, Bouteflika l’a appelée à « retrouver sa place au sein de la société dans le cadre du fonctionnement normal des institutions ». En d’autres termes, elle « exerce ses missions sous l’autorité du président de la République ». Traduction : le « boss », c’est moi ! Depuis, le chef d’état-major de l’armée, le général Mohamed Lamari, suspecté de s’opposer à Boutef, a pris tranquillement sa retraite, remplacé par un proche du président. Une page de l’histoire du pays s’est alors tournée.
Enfin, l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), principale force de résistance à la politique libérale du gouvernement, a elle aussi déposé les armes. Illustration majeure de cette « démission » : le projet de loi sur les hydrocarbures, mis sous le coude depuis 2002 face à l’opposition farouche de l’UGTA, est revenu comme par enchantement à l’ordre du jour avant d’être adopté sans difficulté. Dans une lettre adressée au Premier ministre Ahmed Ouyahia, le 9 février, le syndicat considérait qu’il allait permettre une amélioration des performances de l’économie et du « bien-être social » des citoyens… Pourtant, le projet de loi n’avait pratiquement pas changé !
Bouteflika, qui, en 1999, se refusait à n’être qu’un « trois quarts de président », est désormais le patron incontesté du pays. Fait quasi unique dans l’histoire de l’Algérie, tous les leviers de commande sont entre ses mains. Un avantage énorme qui s’est transformé en obligation de résultats. La réconciliation nationale – vaste concept qui englobe la fin des extrémismes et des disparités, la lutte contre la corruption et les inégalités sociales, le rétablissement de la confiance entre l’État et ses administrés -, mise au premier rang dans le programme électoral du candidat Bouteflika, ne pourra demeurer longtemps un mirage. Tout comme le redressement de la situation économique, toujours aussi dépendante des hydrocarbures. Quatre-vingt-cinq pour cent de déçus, cela ferait beaucoup de monde…

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