Au secours des femmes

Pour contenir une démographie galopante, le pays a fait appel à l’expérience de la Tunisie dans le domaine du planning familial.

Publié le 18 avril 2005 Lecture : 5 minutes.

Le Niger est l’un des pays les plus pauvres au monde. Avec un taux d’analphabétisme de 83,5 %, une espérance de vie ne dépassant pas 45,7 ans et un revenu par habitant de 170 dollars, il est classé à l’avant-dernier rang du palmarès mondial du développement humain publié par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).
Principale cause de ce sous-développement : une croissance démographique incontrôlée (3,1 %), mais aussi l’indice de fécondité le plus élevé au monde (8 enfants par femme). Conséquence : la population nigérienne pourrait passer de 11,5 millions d’habitants aujourd’hui à 53 millions en 2050, contre seulement 2 millions en 1950, soit une multiplication de la population par vingt en un siècle. Incroyable et insoutenable lorsqu’on imagine les problèmes que cela pose à l’État nigérien, en termes de besoins alimentaires, d’éducation, de santé, d’emploi… Ce qui a fait écrire au Pr Jacques Milliez, secrétaire général de l’association française Équilibres & Populations : « Comme l’eau sur le sable des dunes de Goubé, toute avancée économique se voit aussitôt absorbée par l’aspiration démographique. » Que faire pour remédier à cette situation ? La réponse va de soi : sans une décélération de la croissance démographique, le pays n’aura aucune chance d’atteindre ses objectifs de développement.
La Tunisie, qui connaissait à la fin des années 1950 des indicateurs démographiques semblables à ceux du Niger actuel, a réussi, en quatre décennies, à baisser la croissance démographique de 3,5 % à 1,2 % et l’indice de fécondité de 7,5 à seulement 2. Le secret de cette réussite : une politique de planification familiale vigoureuse et, surtout, adaptée aux réalités locales. Si cette politique est difficile à transposer telle quelle dans d’autres pays, certaines méthodes d’approche pourraient profiter aux pays du sud du Sahara. L’idée a été défendue par le Pr Nabiha Gueddana, directrice générale de l’Office national de la famille et de la population (ONFP), après un voyage d’étude au Niger, où elle a évalué les besoins du pays en matière de planification familiale et de santé maternelle et infantile.
La situation constatée était dramatique : les femmes se mariaient vers l’âge de 16 ans et avaient leur premier enfant à 18 ans. Seuls 4,4 % des couples utilisaient un moyen contraceptif. L’accouchement avait lieu à domicile, dans des conditions précaires. Les femmes, souvent soumises aux mutilations génitales, avaient rarement accès à des services de santé. Quand ils existaient, ces derniers étaient inadaptés. Pour trois ou quatre millions de femmes en âge de procréer, on trouvait moins d’une quinzaine de gynécologues. Les sages-femmes, peu nombreuses, n’opéraient qu’en ville et au prix fort. Conséquence : beaucoup de jeunes mères mouraient à la suite d’hémorragies, de ruptures utérines, d’infections ou d’anémie.
Pour soulager les souffrances de ces femmes, les experts de l’ONFP ont élaboré un projet pilote consistant à mettre en place, avec le concours du ministère de la Santé nigérien, des cliniques mobiles, sur le modèle déjà expérimenté dans le Sud tunisien. Car seules ces structures ambulantes pouvaient dispenser dans les villages les plus reculés les indispensables visites prénatales, vacciner les enfants, prescrire les moyens contraceptifs aux jeunes mères désireuses d’éviter des grossesses trop rapprochées… Il consistait aussi à établir, en amont, un système de formation du personnel de santé.
La région de Kollo a été choisie pour ce projet. Cette zone semi-désertique, située à 30 kilomètres au sud de Niamey, est l’une des plus pauvres du pays. Elle est composée d’une multitude de villages, souvent enclavés. Les structures sanitaires y étaient rares et sous-équipées. Le taux de couverture sanitaire n’y dépassait guère 27 %.
Le projet devait durer trente mois et coûter environ 720 000 euros. Seulement ni la Tunisie ni, a fortiori, le Niger n’étaient en mesure de débloquer une telle somme. Assurée de l’appui d’Équilibres & Populations et du partenariat de Population et Développement, une institution basée à Dacca (Bangladesh), le Pr Gueddana a sollicité la coopération française. Après une visite d’étude en Tunisie, en septembre 1998, une délégation parlementaire française a convaincu le gouvernement français de financer le Projet d’appui à une coopération Sud-Sud dans le domaine de la santé de la reproduction entre la Tunisie et le Niger. Objectifs retenus avec les bailleurs de fonds français : réduire le taux de mortalité et de morbidité maternelle et néonatale, couvrir 60 % des villages (80 % de la population du district), porter le taux de consultation prénatale de 9,9 % à 40 %, le taux de prévalence contraceptive de 1,5 % à 10 % et le nombre d’accoucheuses traditionnelles – formées et équipées de matériel médical – de 40 à 100.
Le projet a démarré officiellement en septembre 2001. Il a fallu d’abord former le personnel (12 en Tunisie et 205 au Niger). Les activités sur le terrain ont commencé un an plus tard. Les autorités nigériennes ont fourni l’effectif nécessaire. Le dispositif mis en place a été aussi simple qu’efficace : quatre équipes mobiles circulant en 4×4 et composées chacune d’une sage-femme, d’un interprète, d’un chauffeur et d’un infirmier (pris en charge par l’Unicef) pour faire face aux demandes de vaccination. Chaque équipe faisait une tournée d’une semaine dans plusieurs villages, emportant avec elle le matériel nécessaire aux consultations, mais aussi à son hébergement et à sa nourriture.
Le succès fut immédiat : les femmes ont afflué en grand nombre vers ces cliniques ambulantes. Le modèle tunisien ne fut pas répliqué, mais adapté constamment aux situations rencontrées sur le terrain. Ainsi, lors des causeries qu’il organisait avec les chefs traditionnels, l’assistant technique tunisien Abdelwahed Abdi, coordinateur du projet, n’oubliait jamais de citer des versets du Coran pour expliquer à ses interlocuteurs que la contraception n’est pas contradictoire avec les préceptes de l’islam. Il se faisait même accompagner d’un imam nigérien formé à l’université d’Al-Azhar, en Égypte.
« Le projet, qui a largement atteint ses objectifs, n’a pas tardé à séduire d’autres partenaires, notamment l’Unicef et la Banque mondiale, qui l’a qualifié, dans un récent rapport, de « seule piste actuellement prometteuse ». Il a aussi attiré l’attention des responsables politiques maliens et tchadiens, qui voudraient s’en inspirer. Le Niger, quant à lui, s’emploie, avec l’aide de bailleurs de fonds internationaux, à consolider l’expérience de Kollo et, surtout, à la généraliser au reste du pays. Des programmes ont déjà été élaborés pour la période 2005-2009 », explique le Pr Gueddana, non sans une légitime fierté.

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