Ça bouge dans le mobile

Estimé aujourd’hui à 6 millions, le nombre d’utilisateurs de portables devrait au moins doubler d’ici à 2010. Conséquence de cette explosion du marché : la concurrence fait rage entre les trois opérateurs de la place. Enquête.

Publié le 18 avril 2005 Lecture : 6 minutes.

Quand les Algériens n’utilisent pas leur portable, ils en discutent. Question rituelle lorsque vous rencontrez quelqu’un à Alger : « Vous êtes chez qui ? » (Traduction : à quel opérateur de téléphonie mobile avez-vous donné votre préférence ?) Mobilis (de l’opérateur historique Algérie Télécom), Djezzy (filiale du groupe égyptien Orascom Telecom), ou Nedjma (filiale du groupe koweïtien Watanyia Telecom) ? S’ensuit invariablement un comparatif des prix des puces, réseaux et autres services. Les Algériens vivent le boom de la téléphonie mobile depuis trois ans. Ils sont aujourd’hui presque 6 millions à utiliser un portable. Selon un rapport de l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPT), le marché algérien de la téléphonie mobile a connu une progression de 237 % en 2004. « Nous étions en retard il y a seulement deux ans. Aujourd’hui, à cette allure, nous pouvons concurrencer, voire dépasser nos voisins maghrébins et même arabes et africains, affirme Amar Tou, ministre des Postes et des Technologies de l’information et de la communication. Le portable est devenu un outil indispensable dans la société algérienne. Au sein d’une seule famille, il arrive que chaque membre possède un mobile et que certains utilisent deux puces d’opérateurs différents. »
À ce jour, c’est Djezzy, arrivé en 2002, qui domine le marché (70 %), suivi de Mobilis (24,10 %) et de Nedjma (5,89 %), qui s’est installé en août 2004. Djezzy a fêté son quatre millionième abonné en mars dernier ; Mobilis a annoncé fin janvier 2005 qu’il en comptait 1 200 000 ; et Nedjma, après huit mois d’activité, a dépassé, en mars, les 450 000 abonnés. « Cette croissance fulgurante a étonné tout le monde, analystes et planificateurs, explique Hachemi Belhamdi, directeur général de Mobilis. Nous avions tablé sur 3 millions d’abonnés, tous opérateurs confondus, à la fin de 2004, ce qui était très optimiste. Mais on a dépassé les 5 millions… Le marché a été sous-estimé. Les analystes penchent pour un taux de pénétration mobile de 40 % en 2010. On peut penser que cette estimation sera largement dépassée. »
C’est à la faveur de la loi sur les télécoms de mars 2000 que Djezzy se voit octroyer, en juillet 2001, sa licence d’exploitation. L’opérateur égyptien lance son réseau commercial en février 2002 et, dès cette date, les prix s’en ressentent. Les droits d’accès passent de 22 000 à 8 084 dinars algériens (100 DA = 1,07 euro) pour le post-payé (abonnement) et de 8 900 à 3 999 DA pour le prépayé (cartes de recharges). L’arrivée de Nedjma met fin au duopole Mobilis-Djezzy et ouvre la voie à une importante chute des prix. Djezzy a ainsi réduit ses tarifs de 85 % en trois ans. Aujourd’hui, le prix d’accès en prépayé est de 1 400 DA chez Mobilis et de 2 990 DA chez Djezzy. « Avec l’arrivée de Nedjma, nos ventes ont augmenté, assure Hassan Kabani, directeur général de Djezzy. La demande n’est plus liée à la baisse des prix. Nous possédons l’offre la plus chère et pourtant nous enregistrons la plus forte demande. Le consommateur algérien veut le meilleur prix, mais surtout le meilleur service. Il est rationnel dans ses habitudes de consommation, il ne change pas de portable tous les six mois pour avoir le dernier cri. Quand il est satisfait, il garde son mobile et le service. »
Avec le développement de la compétition, les opérateurs ont également modulé leurs tarifications (avec, par exemple, des tarifs à la seconde) et se disputent les clients en leur proposant des offres toujours plus alléchantes, notamment dans le prépayé qui, selon un rapport de l’ARPT, domine à 90 % le GSM. Sur quatre millions de clients, Djezzy compte seulement 200 000 abonnés, en grande majorité des entreprises. Chez Mobilis, les plus gros consommateurs sont les secteurs d’affaires en post-payé et les jeunes en prépayé. Le prépayé représente 96 % des ventes chez Nedjma, et ce sont des jeunes urbains qui l’utilisent. « Il n’y a pas plus volatil que le prépayé, explique Abderrafik Khenifsa, directeur d’IT Mag, seul magazine (bimensuel) dédié à l’Internet et aux télécoms en Algérie. Le fait de privilégier ce mode de paiement traduit un manque de confiance chez les opérateurs : il faut payer avant de consommer. Pas de facture, pas d’adresse : c’est la facilité. D’où la hausse du nombre d’abonnés que, pour ma part, j’appelle « utilisateurs », car un abonné entretient une relation commerciale avec son opérateur alors que l’utilisateur, lui, jette sa carte une fois utilisée. » Sans engagement, avec des tarifs d’accès peu élevés, le prépayé a effectivement tout pour plaire.
Nedjma, qui a senti la demande, propose d’ailleurs des cartes de recharge fractionnées (4 x 250 DA) pour séduire une jeunesse soucieuse de gérer au mieux son budget. « Nedjma voulait apporter un « nouveau monde », et c’est ce qui s’est passé. Notre arrivée sur le marché a été un plus pour le consommateur, soutient René Patoine, directeur général de Nedjma. Le secteur de la téléphonie mobile a des potentialités encore énormes. » Une affirmation qui a le mérite de mettre tout le monde d’accord. Hassan Kabani confirme : « L’Algérie compte plus de 32 millions d’habitants. Avec un taux de pénétration de la téléphonie mobile de plus de 30 %, cela fait 10 à 12 millions d’abonnés potentiels. Mais, à mon avis, on peut aller plus loin et tabler sur 12 à 15 millions d’ici à 2010… »
Pour conquérir cet appétissant marché, les trois opérateurs se livrent aussi à une guerre des chiffres, annonçant leurs ambitions pour 2005. Trois millions d’abonnés et une couverture réseau de 90 % pour Mobilis ; 1 million d’abonnés et une couverture des 48 wilayas pour Nedjma ; 6 millions d’abonnés pour Djezzy. « C’est une stratégie de chiffres et pas d’installation de l’entreprise, analyse Abderrafik Khenifsa. Djezzy compterait 4 millions d’abonnés et prétend en avoir drainé 1 million en trois mois… Beaucoup d’experts n’y croient pas. Même si l’opérateur n’a aucun intérêt à gonfler ses chiffres, il suffit de comparer les statistiques des ventes hebdomadaires de mobiles et de puces. Étant donné que 80 % des abonnés sont des primo-utilisateurs, imaginez le nombre de portables qui devraient se vendre chaque mois… Or on ne sent pas une aussi forte demande d’équipement. En revanche, quand Mobilis est passé de zéro à 1 million d’abonnés, il y a eu rupture de stock… » Il est vrai que l’« épopée Djezzy », dixit Hassan Kabani, est assez exceptionnelle. « Quatre millions d’abonnés en trois ans, c’est un record mondial… », se réjouit-il.
Autre nerf de la guerre : les âpres offensives commerciales et marketing. Djezzy a été le premier à se lancer dans le parrainage de programmes télévisuels. On lui doit aussi la première publicité comparative, qui a suscité l’indignation des autres opérateurs. Panneaux publicitaires, sponsorisation d’émissions ou d’équipes sportives, mécénat, opérations spéciales lors des fêtes religieuses… Rien n’est négligé pour attirer le consommateur. « Cette compétition démontre que la concurrence saine et loyale existe en Algérie. Les trois opérateurs communiquent beaucoup, et on sent une volonté de transparence », note Abderrafik Khenifsa. De fait, le boom de la téléphonie mobile a apporté une bouffée d’oxygène à l’économie, créant nombre d’emplois directs et indirects et drainant des investissements conséquents. Nedjma a investi 300 millions de dollars depuis son lancement, le 25 août 2004, et compte porter ce montant à 1 milliard dans les trois prochaines années. La société a également inauguré, en mars, à Alger, un institut de formation, ce qui démontre une volonté de pérenniser ses activités dans le pays. Quant au 1,7 milliard de dollars injecté par Djezzy depuis 2002, il représente le plus gros investissement étranger dans le secteur privé (hors hydrocarbures) depuis l’indépendance. De l’avis des analystes, le marché de la téléphonie mobile est encore ouvert en Algérie. Pour les opérateurs, le plus dur reste à faire : fidéliser une clientèle toujours plus exigeante et avide de services multimédias… et s’entendre entre eux. Car l’interconnexion des réseaux pose problème. Un utilisateur Djezzy a du mal à joindre un abonné Nedjma et vice versa. « Nous avons déjà forcé l’interconnexion SMS, qui n’existait pas avant notre arrivée », plaide René Patoine. Des pourparlers sont en cours pour l’interconnexion réseau. « Les communications restent difficiles, car chaque opérateur a ses plans, et il n’y a pas de synchronisation », se défend Hassan Kabani. Pendant ce temps, les Algériens discutent de plus belle… sur et de leur portable.

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