Quand l’Algérie rend hommage à Harbi
L’uvre de Mohammed Harbi a été saluée lors d’un colloque à Oran. L’historien Benjamin Stora revient sur l’importance de l’événement.
Un colloque a réuni les 30 et 31 janvier à Oran de nombreux chercheurs pour évoquer l’uvre de Mohammed Harbi. La salle comble, la présence de la presse algérienne, qui a largement rapporté les débats, tout confirmait qu’on assistait à un événement important. Originaire de l’Est algérien, Harbi (76 ans) était présent.
Harbi a été un pionnier : ses travaux ont permis la déconstruction de l’idéologie officielle. Sa critique aiguë, voire féroce, des pratiques du FLN pendant la guerre puis de la constitution d’un appareil bureaucratique « confisquant » les acquis de la lutte anticoloniale n’est pas passée inaperçue.
Harbi, en effet, a été un dirigeant important de la direction de la Fédération de France du FLN entre 1954 et 1958, puis un conseiller influent dans la délégation du GPRA qui a conduit les négociations avec la France aboutissant à l’indépendance de l’Algérie en 1962. Il a donc connu de l’intérieur tous les rouages et une bonne partie des responsables du mouvement révolutionnaire avant de se pencher sur son histoire.
Ses premiers livres, il y a maintenant plus d’un quart de siècle, ont fait l’effet d’un véritable coup de tonnerre. Dans Aux origines du FLN, paru en 1975, il s’est attaqué à l’archéologie du nationalisme algérien radical, mettant en pleine lumière le personnage de Messali Hadj, qui avait animé les premières organisations indépendantistes algériennes dès les années 1920 et 1930 avant d’être marginalisé et vaincu par le FLN pendant la guerre (son nom devenant même synonyme de trahison dans l’Algérie indépendante). C’est d’ailleurs son travail qui m’a permis de réaliser une biographie de Messali Hadj.
Harbi est allé encore plus loin avec son second ouvrage, Le FLN, mirage et réalité, publié par les éditions Jeune Afrique en 1980. Racontant l’histoire de la guerre du côté des Algériens, il a mis l’accent sur le rôle de la violence dans la construction du FLN. Et a raconté la « guerre dans la guerre », c’est-à-dire l’affrontement meurtrier entre le FLN et les militants restés fidèles à Messali Hadj. Ce livre a joué un rôle considérable à un moment où, en particulier, la question algérienne avait disparu du champ des préoccupations des intellectuels français.
À Oran, donc, les chercheurs ont débattu des apports de l’uvre de Harbi et ont insisté sur la nécessité de poursuivre la déconstruction des mythes fondateurs de l’histoire algérienne pour parvenir à une « sécularisation » de celle-ci. Historiens mais aussi militants nationalistes, comme Menouar Merouche, intellectuels algériens et français ont confronté leurs points de vue, non seulement sur la guerre et la mémoire, mais aussi sur les conséquences de celles-ci en tant que vecteurs de légitimation du pouvoir.
La seule tenue de ce colloque autour d’un chercheur dont les livres ont été interdits pendant plus de vingt ans dans son pays a constitué une sorte de première. Elle prouve que, s’il reste bien du chemin à faire en Algérie en matière de retour sur le passé – autour de sujets sensibles comme la question harkie ou l’effacement de la mémoire juive dans toutes les histoires officielles -, il n’en demeure pas moins que les choses avancent. Et que, cinquante après la fin de la guerre, historiens français et algériens peuvent agir ensemble pour contribuer à l’écriture de cette Histoire.
Benjamin Stora est l’auteur avec Mohammed Harbi de Guerre d’Algérie, fin d’amnésie, Hachette, 2005.
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