Les séquestrés de N’Djamena

Arrêtés – ou « disparus » – sans que l’on sache pourquoi, les principaux leaders de l’opposition démocratique n’ont pu donner de leurs nouvelles pendant plusieurs jours.

Publié le 18 février 2008 Lecture : 3 minutes.

Le 3 février au soir, Idriss Déby Itno n’a pas fait mentir le dicton qui veut qu’« un fauve blessé est toujours dangereux ». Quelques heures après sa difficile victoire sur les rebelles dans la ville de N’Djamena (voir J.A. 2457), il a fait arrêter trois figures de l’opposition démocratique à leur domicile ; l’inflexible Ngarléjy Yorongar, arrivé deuxième à la présidentielle de 2001 ; le lettré Ibni Oumar Mahamat Saleh, porte-parole de la CPDC (Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution) et pourfendeur de la réforme qui a permis à Déby Itno de se représenter en 2006. Et le consensuel Lol Mahamat Choua, éphémère chef de l’État en 1979, président du comité de suivi de l’accord du 13 août 2007, qui prévoit des élections libres en 2009.
Que leur reproche-t-on ? Sans doute des contacts présumés avec les rebelles. Pendant la bataille de N’Djamena, la présidence tchadienne aurait capté – avec l’aide des Français ? – des conversations radio entre rebelles où les noms de certains membres de l’opposition étaient évoqués pour participer, en cas de victoire, à un gouvernement de transition. Et donner au putsch une vitrine et une légitimité politiques à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. En fait, le dossier d’accusation est bien mince. D’autant que, lors de la précédente attaque contre la capitale, en avril 2006, Yorongar, Ibni et Lol s’étaient bien gardés de faire le jeu des assaillants. Pourquoi en serait-il autrement aujourd’hui ? Prépare-t-on les esprits à l’irréparable en laissant entendre que les trois opposants ont été arrêtés dans des quartiers alors sous contrôle de la rébellion ? L’inquiétude gagne beaucoup de N’Djaménois, qui ont été frappés par la brutalité de ces arrestations. Lol n’a même pas eu le temps de mettre ses chaussures. Ibni et Yorongar ont été rudoyés. Wadal Abdelkader Kamougué et Saleh Kebzabo ont eu la chance d’être absents. De rage, les intrus ont tiré une rafale de fusil d’assaut dans les jambes du petit frère de Kebzabo, en voyage, lui, à Bamako. Visiblement et malgré les dénégations, Déby Itno voulait rafler tous ses opposants.

Dérobade des autorités
L’autre fait marquant, c’est que les autorités n’assument pas ce qu’elles ont fait. Interrogé le 6 février à propos de ces arrestations, le président s’est contenté de dire : « Je m’occupe des affaires importantes, pas des détails. » Comme si la guerre donnait droit à tout. Comme si l’opposition démocratique n’était qu’un détail. Le 13 février, son ministre de la Sécurité publique Ahmat Mahamat Bachir lâche : « Nous allons déclencher une enquête judiciaire pour déterminer comment ils ont été arrêtés. » Comme s’il n’y était pour rien ! Amnesty International affirme que les trois prisonniers « courent le risque d’être torturés ou de disparaître par la force ».
Pour leurs familles, seule la France peut obliger Déby Itno à les libérer. Le 11 février, celle-ci a enfin réclamé une « clarification sans délai » sur les motifs de leur arrestation et leur lieu de détention. Mais le commissaire européen Louis Michel est allé plus loin. Il a exigé leur libération immédiate. Pourquoi la France est-elle si prudente ? Sans doute parce qu’elle attend la grâce du président tchadien pour les six de l’Arche de Zoé. Vu de Paris, il serait opportun que celle-ci tombe avant les municipales du 9 mars, afin de donner un bol d’air à Nicolas Sarkozy. D’ici là, il n’est pas sûr que les choses bougent. La « rupture » sarkozyste dans les relations franco-africaines se fait attendre.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires