L’après-pétrole se fait attendre

Le pays enregistre de bons résultats économiques, salués par la communauté internationale. Mais la réalité est plus nuancée. Nombre de dossiers patinent et la reconversion est loin d’être accomplie.

Publié le 18 février 2008 Lecture : 6 minutes.

Les vitrines des magasins de luxe de Libreville reflètent l’image d’un pays prospère et stable. Dans son dernier rapport, publié en janvier, le Fonds monétaire international (FMI) salue « des résultats économiques satisfaisants ainsi que des perspectives positives ». L’institution souligne la détermination des autorités « à poursuivre la réforme de la gestion des finances publiques » et enfin se réjouit « de l’activité soutenue hors-pétrole ». Pas de doute, le Gabon affiche une bonne santé économique. Les équilibres sont respectés et les indicateurs sont au beau fixe (voir infographies page suivante). Le PIB par habitant dépasse les 7 000 dollars, l’un des plus élevés du continent. Avec une prévision de 4,7 % et 4,8 % pour 2008 et 2009, le taux de croissance hors pétrole s’améliore par rapport aux 4,3 % en 2005. Surfant sur l’envolée des cours de l’or noir, qui compense largement une baisse de la production, laquelle plafonne à 12 millions de tonnes, Libreville engrange de confortables revenus. En 2007, les recettes de l’État se sont élevées à 1 589 milliards de F CFA (3,5 milliards de dollars), soit 31 % du PIB – dont 938 milliards de F CFA générés par la seule exploitation du brut – alors que les dépenses publiques ont atteint 1 076 milliards. Cela offre des marges de manuvre et quelques opportunités.
Depuis 2005, l’endettement extérieur est passé de 39,1 % du produit intérieur brut (PIB) à 27,6 %. Les projections sont à 14,5 % en 2010. Le pays a négocié et obtenu, en juillet 2007, le rachat par anticipation de sa dette au Club de Paris, estimée à 2,3 milliards de dollars. Le remboursement s’effectuera pour plus d’un tiers sur fonds propres. L’autre partie est financée par la première émission obligataire internationale, lancée avec succès en décembre, pour un montant de 1 milliard de dollars. Pour accéder aux marchés, il fallait le feu vert des principales agences de notation. Mission réussie. Fitch et Standard & Poor’s ont attribué au Gabon un BB -, la meilleure note en Afrique de l’Ouest et centrale (voir ci-dessous). Voilà pour le côté face. Mais dépassé ce satisfecit, la transformation de l’économie gabonaise est-elle réelle ? Et qu’en est-il de sa diversification afin de préparer l’inexorable après-pétrole ?

Toujours pas de mine à Belinga
De ce point de vue, les espoirs du pays reposent pour une large part sur le fabuleux gisement de fer de Belinga, dans la province orientale de l’Ogooué-Ivindo, en plein cur de la forêt équatoriale. Avec des réserves estimées à 1 milliard de tonnes, c’est l’un des plus importants sites encore inexploités au monde. L’investissement colossal de 3 milliards de dollars comprend, notamment, le barrage hydroélectrique du « Grand Poubara » et une ligne ferroviaire reliant la mine au port en eau profonde de Santa-Clara, près de Libreville. Les premiers wagonnets sont espérés pour 2010. Mais, plus d’un an et demi après son attribution aux Chinois, « ce projet du siècle » – selon le président Omar Bongo Ondimba – relève de la course d’obstacle. Beaucoup doutent des capacités techniques et financières des deux sociétés Sinostel et CMEC (China Mining Energy Corp.). Le Gabon a certes renforcé ses positions au sein de la Comibel (Compagnie des mines de Belinga), en décembre dernier, en obtenant 25 % du capital – au lieu des 15 % initialement prévus – ainsi que les postes de président du conseil d’administration et de directeur général adjoint. Mais le gouvernement avance péniblement. Le tracé d’une route dans un parc national en vue de la construction du barrage a donné lieu à un bras de fer entre le ministère des Mines et celui de l’Environnement, qui a obtenu une brève suspension des travaux. La publication par des ONG locales de clauses du contrat, prévoyant l’exonération de taxes et la prise en charge par l’État des éventuels dégâts sur l’environnement, a ému l’opinion publique. À tel point que le remplacement de l’ex-ministre des Mines Richard Onouviet par un vieux routard de la politique gabonaise, Casimir Oye Mba, peut être considéré comme un aveu d’échec dans la gestion du dossier Belinga.
La seconde priorité affichée concerne le secteur forestier, qui représente près de 60 % du PIB hors pétrole. Des quotas d’exportations ont été fixés pour une vingtaine d’exploitants contraints « en échange » de transformer localement une partie de leur production. Objectif, atteindre un taux de 75 % de bois transformés d’ici à 2012. La société Rougier a ainsi scié et débité sur place 45 % de ses grumes en 2007 contre 20 % en 2004, indique l’un des responsables, Éric Chezeaux. Au niveau national, cette proportion serait passée de 15 % à 40 % en l’espace de dix ans. « Ce ne sont que des estimations et il n’y a aucune statistique précise. La fabrication de meubles est par ailleurs quasi inexistante », déplore Gérard Moussu, secrétaire de l’Union des forestiers industriels du Gabon et aménagistes (Usiga). Et pour cause, de nombreux exploitants, notamment asiatiques, n’ont effectué aucun investissement. L’état catastrophique des routes complique par ailleurs l’acheminement du bois vers les usines. Qui plus est, le secteur a été bousculé ces dernières années par une fiscalité en dents de scie. « La forte augmentation des prélèvements en 2002 a asphyxié une partie des opérateurs », dénonce un fonctionnaire international. Face au ralentissement, le gouvernement a été contraint de ramener les taxes à l’exportation à 17 % pour les grumes et 5 % sur les produits transformés. Sous la pression des bailleurs de fonds, la Société nationale des bois du Gabon (SNBG) a également perdu, en janvier 2006, le monopole d’exportation d’Okoumé, l’essence la plus recherchée. Résultat : « Notre chiffre d’affaires est passé de 60 milliards de F CFA en 2005 à 44 milliards en 2007. Nous avons dû réduire les effectifs, en passant de 279 personnes en 2003 à 194 actuellement », explique Serge Rufin Okana, directeur général adjoint de la société. « Nous devons nous convertir à l’exploitation forestière mais, pour cela, il faut trouver de nouveaux partenaires », conclut-il.
Le bilan des privatisations n’est guère plus reluisant, à l’image de Gabon Télécom racheté à 51 % par Maroc Télécom en février 2007. Grèves du personnel, mise en détention du directeur général Hervé Fulgence Ossami, accusations de mauvaise gestion et problèmes techniques de la filiale Libertis la greffe marocaine ne prend pas (voir J.A. n° 2453). « La plupart des privatisations n’ont rien rapporté à l’État, qui a bradé le patrimoine national », dénonce Noël Borobo Epembia, un cadre de l’entreprise. Le chiffre d’affaires de l’opérateur a chuté à 39 milliards de F CFA en 2007, au lieu de 48 milliards un an auparavant alors que la partie marocaine émet de gros doutes sur la sincérité des comptes présentés lors de l’acquisition. Le prix de vente était fixé à 61 millions d’euros. À ce jour, seul un acompte de 26 millions a été versé.
Dans le secteur agricole, présenté comme un pilier de la diversification de l’économie, le groupe belge Siat a semble-t-il fait, au contraire, une très bonne affaire en rachetant à très bas prix (3,5 milliards de F CFA), en 2004, AgroGabon, Hévégab et Sogadel, trois sociétés spécialisées dans l’huile de palme, le caoutchouc et l’exploitation bovine. Depuis, l’entreprise a relancé avec succès les trois activités et a affiché un bénéfice net de 3,7 milliards de F CFA, dès 2006 ! « Au moment de la privatisation, l’État n’était pas en position de force », rappelle Jean-Michel Ndoutoume Obame, responsable de la communication de Siat Gabon. « Les 9 000 hectares d’hévéas étaient très mal entretenus, la production d’huile et le bétail à l’abandon », ajoute-t-il, précisant que les Belges ont investi plus de 20 milliards de F CFA. L’agriculture reste embryonnaire au Gabon, qui dépend à 80 % de l’extérieur pour ses besoins alimentaires.

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Gabon Airlines à la peine
Dans la même veine, Gabon Airlines, la nouvelle compagnie aérienne créée en partenariat avec Ethiopian Airlines par des privés gabonais regroupés autour de Christian Bongo, fils du chef de l’État et directeur de la Banque gabonaise de développement (BGD), décolle bien poussivement. Si elle relie effectivement la capitale gabonaise à Paris depuis avril 2007, son plan de développement prévoyait l’ouverture d’escales à Dubaï, Johannesburg, Abidjan, Addis-Abeba, Lagos, Luanda et plusieurs autres grandes villes d’Afrique centrale. Il était également question de se lancer dans le transport de fret à travers la filiale Gabon Airlines Cargo créée en mars 2007. Neuf mois après, la compagnie n’a inauguré qu’une desserte sur Pointe-Noire, au Congo, le 15 janvier. Pas de quoi faire oublier Air Gabon, un temps promise à Royal Air Maroc. « Le Gabon peine à sortir de l’économie de rente, regrette un homme d’affaires très en vue mais qui préfère conserver l’anonymat. Même s’il y a des signes positifs obtenus essentiellement sous la pression internationale, la transformation en profondeur de l’économie n’est pas encore acquise. Le système est vieillissant et mettra du temps à changer véritablement », conclut-il.

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