La diplomatie selon Mbusa

Populiste pour les uns, homme de réseaux pour les autres, le ministre des Affaires étrangères est devenu l’un des personnages clés dans la résolution des crises qui secouent l’est du pays.

Publié le 18 février 2008 Lecture : 4 minutes.

Certains le surnomment « le roi des Nandes » (l’ethnie majoritaire du Nord-Kivu). D’autres le considèrent comme un habile manuvrier qui a réussi à supplanter tous les anciens poids lourds politiques de sa province. Pour un ambassadeur européen, c’est un « gentleman » qui fait avancer la cause de la paix dans la région des Grands Lacs. Quant à ses adversaires, ils n’en démordent pas : Antipas Mbusa Nyamwisi, le ministre congolais des Affaires étrangères, « n’a rien d’un leader car un leader rassemble. Lui est populiste, tribaliste ». Peut-être est-il tout cela à la fois. N’empêche : cet ancien chef de guerre a marqué, comme beaucoup d’autres, la vie tumultueuse du Zaïre, puis du Congo. De Kampala à Kigali, de Nairobi à Dar es-Salaam, de Luanda à Pretoria, l’homme s’est constitué, au cours des dix dernières années, d’importants réseaux
S’il a vécu dangereusement, au gré des alliances et des mésalliances de circonstance, slalomant entre les services de renseignements de nombreux pays, échappant aux règlements de comptes sanglants, le « montagnard du Rwenzori » a l’avantage de connaître le terrain. En 1988, il a soutenu, à l’université du Zaïre, campus de Kisangani, un mémoire de maîtrise en sociologie intitulé « Introduction à l’étude de l’ethnicité dans le Kivu montagneux ». Un travail essentiellement consacré à la question rwandaise dans son pays et à l’histoire des peuples voisins. C’est dire s’il connaît son sujet.
Mbusa (« le sixième des garçons », en nande) Nyamwisi (« le soleil brillant ») est né en novembre 1959 dans une fratrie de neuf enfants, dans le territoire de Beni (Nord-Kivu). Fils d’un pasteur évangélique « d’obédience américaine », il grandit dans le sillage de son grand frère Nyamwisi Muvingi, qui fut secrétaire exécutif adjoint du Mouvement populaire de la révolution (MPR, parti unique), puis ministre dans deux gouvernements issus de l’ouverture démocratique décidée par le chef de l’État, Mobutu Sese Seko, en avril 1990. « Enfant terrible de la perestroïka zaïroise », Nyamwisi Muvingi sera assassiné à Butembo en janvier 1993. Le jeune Mbusa, alors conseiller au ministère de l’Agriculture, apprend à se débrouiller seul. Devenu chef de cabinet à la Fonction publique, il s’approche du département du renseignement militaire de l’état-major général des Forces armées zaïroises. Pour lui, c’est une nécessité. D’autant que des rebelles soutenus par l’Ouganda depuis 1986 opèrent dans les montagnes de sa région natale.
Son destin bascule en octobre 1996, alors que ce que l’on a appelé la « révolte des Banyamulenge » secoue déjà le Kivu. Approché par les services ougandais, il va à Kampala, où Yoweri Museveni le reçoit deux fois en vingt-quatre heures. Ce qui le marque. Quelque chose naît entre les deux hommes. Même si, plus tard, le chef de l’État ougandais lui préférera, « et de loin », un certain Jean-Pierre Bemba. Mbusa Nyamwisi quitte Kampala avec, sous le bras, un message de Museveni invitant le chef d’état-major de l’armée zaïroise à rencontrer ses hommes afin de réfléchir à un moyen de faire tomber Mobutu sans provoquer une guerre au Zaïre. À Kinshasa, Mbusa ne trouve aucune oreille attentive. Pendant ce temps, Rwandais et Ougandais, profitant de la « révolte des Banyamulenge », sont déjà prêts à passer à l’offensive. L’aventure de Laurent-Désiré Kabila et son Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL) commence. Sa progression est ultrarapide.

Des cravates à la gloire de Jésus
Naviguant entre Nairobi, Kampala, Goma et Kigali, Mbusa se voit confier la coordination des services de renseignements dans l’Est par les nouveaux maîtres du pays installés en mai 1997 et qui ne lui plaisent guère. En juillet 1998, il participe à la création, au Rwanda, du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD). Le 2 août, la deuxième guerre ougando-rwandaise contre le Congo éclate. Mbusa se retrouve à la tête d’une faction dissidente de la rébellion, le RCD-Kisangani/Mouvement de libération (ML) basé en Ituri. Il travaillera même aux côtés de Jean-Pierre Bemba, imposé par les Ougandais. Mais la collaboration fera long feu.
Exilé en Afrique du Sud, le leader du RCD-Kisangani/ML prend langue avec les services secrets de Pretoria, lesquels prennent à leur tour contact avec leurs homologues angolais. Ces derniers organisent une rencontre entre lui et Joseph Kabila, à Luanda, en 2002. Un deuxième rendez-vous a lieu en Belgique. Pour Mbusa, le temps de la paix et de la réunification du pays est arrivé. Il faut collaborer avec le gouvernement. Après le dialogue intercongolais, il devient ministre de l’Intégration régionale dans le gouvernement de transition. L’occasion d’étoffer, une fois encore, son carnet d’adresses et de consolider sa position dans la sous-région. En 2006, candidat à l’élection présidentielle, il se désiste en faveur de Kabila et contribue à sa victoire dans le Nord-Kivu. Récompense : le ministère des Affaires étrangères.
Aujourd’hui, l’homme de Beni, qui porte des cravates à la gloire de Jésus, est un élément clé dans la résolution des conflits entre le Congo et ses voisins. « Il a un seul défaut : vouloir que toutes les initiatives viennent de lui », affirme un fonctionnaire rwandais. Selon un de ses proches, le « roi des Nandes », veuf, père de trois enfants et seul ancien chef de guerre à être toujours au gouvernement, s’appuie beaucoup, dans les négociations, sur les relations tissées avec ses différents amis de la région. Bien qu’il donne l’impression d’avancer à pas feutrés, l’homme sait faire preuve de courage, comme ce 24 janvier quand dans le Nord-Kivu il est allé au-devant des rebelles rwandais pour leur dire de déposer les armes et de rentrer chez eux. C’est là, aussi, la « révolution du bon sens » à laquelle Mbusa Nyamwisi reste profondément attaché.

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