Kouyaté au rapport

Imposé par les syndicats il y a tout juste un an à la tête du « gouvernement de consensus » pour remettre le pays sur les rails, le Premier ministre a-t-il réussi sa mission ?

Publié le 18 février 2008 Lecture : 4 minutes.

L’histoire est cocasse. Elle en dit long sur la fragilité de la cohabitation à la tête de la Guinée depuis la nomination il y a tout juste un an – le 26 février 2007 – du « Premier ministre de consensus », Lansana Kouyaté. Le 9 février, dans le plus grand secret, Idrissa Thiam et Chantal Cole, respectivement directeur du protocole et conseillère en communication autoproclamée du chef de l’État, font signer à Lansana Conté un décret à très haut risque. Lequel doit consacrer la nomination au poste de secrétaire général à la présidence Fodé Bangoura, l’ex-ministre aux Affaires présidentielles, incarnation des dérives contre lesquelles les Guinéens se sont élevés au cours des manifestations populaires de janvier et février 2007.

Cohabitation difficile
Les choses auraient pu très vite déraper si cette décision était entrée en vigueur. Et faire de nouveau basculer le pays dans le chaos après le premier coup de canif de Conté dans le « gouvernement de consensus » : le choix, début janvier 2008, d’Issa Condé, porte-flingue du même Fodé Bangoura, comme ministre de la Communication en remplacement de Justin Morel Junior. Mais, alerté, l’homme d’affaires Elhadj Mamadou Sylla, l’un des piliers de l’entourage du chef de l’État, qui a des comptes à régler avec Bangoura – lequel l’avait jeté en prison le 6 janvier 2007 avant que Conté n’aille en personne l’en extraire dix jours plus tard -, use de toute son influence auprès de son président d’ami pour que le décret soit retiré et déchiré avant publication.
C’est le dernier épisode en date d’une transition de fait imposée à Lansana Conté. Nommé à la primature sur une liste de quatre personnalités proposée par les syndicats, Lansana Kouyaté a lui-même choisi les vingt-deux ministres de son équipe, les préfets et sous-préfets, ainsi que le gouverneur de la Banque centrale (BCRG). Détenteur en réalité de tous les pouvoirs de l’exécutif, Kouyaté dirige le Conseil des ministres et représente son pays aux rencontres internationales. Mais il ne peut signer aucun décret, une prérogative exclusivement réservée à Conté, qui n’a jamais laissé personne l’en dessaisir. Ainsi, l’an passé, le chef de l’État mit plus d’un mois avant de parapher le texte portant nomination des membres du gouvernement. Lesquels n’ont pas pu choisir leurs propres collaborateurs. Rien que pour signer le « projet de décret portant restructuration des cabinets ministériels », déposé sur son bureau début juin, Conté a traîné des pieds jusqu’au 5 décembre. Un an après leur arrivée aux affaires, les ministres sont toujours obligés de s’accommoder des collaborateurs de leurs prédécesseurs, ceux-là mêmes dont la gestion a mis la Guinée à genoux : un tissu social déchiré, une économie en lambeaux, une Banque centrale dévastée (avec des réserves de change nulles), une inflation de 39,8 %
La situation est préoccupante. Tous les voyants sont au rouge. Et tout revêt un caractère d’urgence. Kouyaté multiplie, dès sa prise de fonctions, les initiatives. Non sans résultats. À l’issue d’une mission à Conakry en octobre 2007, le Fonds monétaire international (FMI) signe avec le pays un programme triennal. À la clé, une assistance financière et l’annulation de la dette publique, qui représente plus de 100 % du produit intérieur brut (PIB) et dont le service est devenu insupportable : il est passé de 166,7 millions de dollars en 2003 à 208,7 millions en 2006, soit près de 19 % des recettes d’exportation et 45,5 % des recettes budgétaires !
Le retour du FMI est le fruit des réformes entreprises pour mettre en uvre le « programme minimum d’urgence pour le second semestre de 2007 » et le « plan d’action pour la période 2007-2010 », concoctés à l’occasion du séminaire gouvernemental du 24 au 27 mai 2007. Lors du « Forum des partenaires de la Guinée », organisé les 24 et 25 juillet 2007 à Paris dans les locaux de la Banque mondiale, les bailleurs de fonds présents se sont engagés à hauteur de 400 millions de dollars pour financer le plan d’action triennal.
Sur le plan interne, la reprise en main de la Banque centrale et l’arrêt de l’usage de la planche à billets – à la suite d’une meilleure gestion des rentrées budgétaires – ont raffermi le franc guinéen et ramené l’inflation de 39,8 % en décembre 2006 à 18 % en juillet 2007. Le prix du sac de riz, qui s’était élevé à 115 000 francs guinéens, soit plus que le salaire mensuel moyen, a baissé pour se stabiliser à 80 000 francs guinéens. Mais sans satisfaire la population dont le pouvoir d’achat est totalement laminé. D’où la retentissante lettre ouverte du 4 juillet adressée à Kouyaté par les centrales syndicales, qui lui reprochent de n’avoir pas exécuté une bonne partie de sa feuille de route.

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Dossiers en souffrance
Le rappel à l’ordre amène le chef du gouvernement à accélérer la cadence pour apporter des solutions concrètes aux difficultés quotidiennes de ses concitoyens. La lumière revient dans la capitale, plongée depuis plusieurs années dans l’obscurité, grâce notamment à l’entreprise américaine Solar Outdoor Lighting, retenue pour fournir de l’électricité par l’énergie solaire. Depuis la fin de juillet 2007, des lampadaires flambant neufs illuminent Conakry dès le crépuscule. Toute l’énergie générée par les groupes électrogènes et les cinq unités de production longtemps restées en panne est depuis lors consacrée à l’éclairage domestique.
Le pays bouge, même si ce n’est pas au rythme – loin s’en faut – souhaité par les Guinéens. Des dossiers importants sont en souffrance : la commission d’enquête sur les exactions commises en janvier-février 2007 (au moins 120 morts) a été créée mais manque de tout, y compris de locaux pour se réunir ; la renégociation des contrats miniers traîne en longueur Et tout le processus est sans cesse menacé par les manuvres de Conté et de ses affidés. Une source majeure d’incertitudes se profile d’ailleurs à l’horizon : les audits de la gestion antérieure du pays commandés par le gouvernement ont été bouclés. Les rapports, qui font état du détournement d’un montant global de 200 milliards de francs guinéens (environ 40 millions d’euros), épinglent le chef de l’État en personne et son entourage. Les syndicats sont déjà montés au créneau. Reste à savoir comment réagira Kouyaté.

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