Eugène-Henri Moré

Chef d’entreprise, activiste des cités, « communiste de cur » et copain de plusieurs grands patrons… D’origine camerounaise, l’adjoint au maire de La Courneuve aime tout, fait tout, veut tout.

Publié le 18 février 2008 Lecture : 5 minutes.

L’atrium de l’hôtel particulier d’Axa, l’un des géants français de l’assurance, dans la très cossue avenue Montaigne, à Paris, n’est pas spécialement chaleureux. Eugène-Henri Moré s’avance vers le café qui trône au milieu du parvis, salue une connaissance, puis s’attable. Comme n’importe quel visiteur.
L’idée de départ était d’organiser une rencontre au siège de MConseil, la société de conseil en politique de la ville qu’il a créée, il y a bientôt neuf ans. « Voyons-nous plutôt chez Axa », nous a-t-il, à notre grand étonnement, répondu. C’est que le maire adjoint de La Courneuve, bien que « communiste de cur », est également un proche de Claude Bébéar, l’un des patrons les plus influents du gotha économique européen, aujourd’hui président du conseil de surveillance d’Axa. Moré nous avouera par la suite que c’est avenue Matignon, au siège social d’Axa, qu’il exerce pour l’instant, avec ses deux salariés, son activité de chef d’entreprise.
Lunettes argentées et serviette décorée de motifs « ethniques », ce grand gaillard a des allures d’éternel étudiant. En témoigne cette boucle d’oreille en forme de graff qu’il arbore à l’oreille gauche. Trois lettres : « M, E, H », pour « Moré Eugène-Henri ». Il n’est pas interdit d’y voir tout à la fois un symbole de réussite et une revendication identitaire. « Je m’aime ! » avoue-t-il dans un éclat de rire.

Authentique et atypique
Eugène-Henri est né en 1968 à Saint-Denis, dans la proche banlieue parisienne, de parents camerounais. « Pas vraiment des immigrés », admet-il. De fait, son père était venu en France pour suivre un cursus universitaire en relations internationales. Des années plus tard, le couple rentrera au pays en laissant derrière lui quatre enfants majeurs désireux de rester en France. Plus Eugène-Henri, 14 ans à l’époque, qui sera donc élevé par ses grands frères.
Le jeune homme hésite, tâtonne, joue la débrouille. Son père le voit médecin ; il s’inscrit en fac. Premier échec. Sa mère le rêve architecte ; il tâte de la planche à dessin et renonce à nouveau pour se consacrer au sport, sa vraie passion. Le tennis, d’abord, puis l’athlétisme (il dispute les championnats de France universitaires). Finalement, il s’inscrit en sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps), mais, davantage intéressé par la pratique, échoue à l’examen théorique.
Son vrai bagage intellectuel, il l’acquiert dans ces villes de banlie ue où il a toujours vécu. À 14 ans, il a déjà un sens critique très développé et, lors d’une réunion de quartier, se fait remarquer par un spécialiste de la politique de la ville travaillant dans la zone Clichy-Montfermeil. L’adolescent adhère à une association qui s’occupe notamment de soutien scolaire à l’intention des jeunes en difficulté.

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Le Caïman Club au paradis
Bien d’autres engagements suivront. Aujourd’hui, c’est vers le Cameroun, où vit encore sa mère, qu’il se tourne. Membre d’honneur, depuis l’année dernière, du Caïman Club de Douala, un club de foot qui, après quelques années de purgatoire, a retrouvé sa place en première division, il voudrait contribuer à en faire « un bon club professionnel, y compris en ce qui concerne la formation ». Il se déclare convaincu que « malgré leur manque de moyens » les Africains « disposent d’un savoir-faire qui peut nous servir ici ». Et pourquoi pas donner un coup de jeune aux relations entre l’Afrique et la France ? Il y songe, par l’intermédiaire notamment d’un cercle de réflexion baptisé CAPAfrique.
La vérité est que Moré semble rongé par une véritable « boulimie d’action ». Au risque de s’égarer, parfois, quand il n’a pas sous la main de parrain, de maître ou de lanterne pour lui montrer le chemin ? Heureusement, il sait s’entourer. À 18 ans, il a déjà fondé sa propre association, Objectif Jeunes 93, quand il rencontre Rachid Benzine, un chercheur marocain reconnu, qui deviendra son meilleur ami. « Il a toujours été là, dans tous les événements de ma vie », dit-il.
La naissance de MConseil, il la lui doit presque ! C’est en tout cas grâce à Benzine que son entreprise, alors en cours de constitution, décroche son premier grand chantier : l’opération Cités Foot 98, véritable Coupe du monde des quartiers parrainée par Michel Platini, l’ex-star planétaire devenue président de l’UEFA, la fédération européenne. Comme père spirituel, difficile de trouver mieux !
Avec 160 000 euros de chiffre d’affaires cette année, MConseil reste une structure petite, mais prometteuse. Elle a déjà négocié des contrats avec des radios comme NRJ et diverses collectivités dont il préfère taire le nom. L’un de ses domaines d’expertise est la formation et le recrutement des jeunes des quartiers. Questions dont Eugène-Henri Moré se fait largement l’écho au sein du Club du XXIe siècle, un think tank au service de la diversité dont il fut un temps le vice-président aux côtés du banquier et universitaire Hakim El-Karoui (voir J.A. n° 2449). C’est ce même Karoui qui lui fit rencontrer Bébéar, quand, en 2004, ce dernier rédigeait « Des entreprises aux couleurs de la France », un rapport que lui avait commandé Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, et auquel, tout naturellement, Moré contribua.

Outrageusement libre
De Claude Bébéar, « CB » comme il l’appelle, l’homme de gauche, voire d’extrême gauche, qu’est Moré dit aujourd’hui : « C’est un ami, même si c’est un adversaire politique. » Et de s’insurger contre la conception binaire de la société que se font nombre de dirigeants communistes. « La liberté, c’est la plus grande richesse », commente-t-il.
C’est donc « sans étiquette » qu’il s’engage, en juin 1999, sur la liste Bouge l’Europe conduite par Robert Hue, l’ancien secrétaire national du PCF. L’année suivante, il finit pourtant par adhérer au parti et entre au cabinet de Marie-George Buffet, la ministre des Sports. Depuis mars 2001, Eugène-Henri Moré est adjoint au maire de La Courneuve. Réfractaire à toute idée de « carrière » politique – encore que son attitude puisse aussi s’expliquer par l’inexorable descente aux enfers électorale de son parti -, il quitte le collège exécutif en 2002 et n’est plus membre du conseil national depuis l’année suivante. Lors des municipales des 9 et 16 mars prochain, il figurera néanmoins sur la liste de Gilles Poux, le maire communiste sortant.
« Je suis vieux » confie-t-il, un brin moqueur, du haut de ses 40 ans. La vérité est qu’il voudrait enfin réussir à mettre toute son énergie au service de sa société, mais sans renoncer à courir mille autres lièvres à la fois. Au nombre de ceux-ci, la rédaction d’un livre consacré à la politique de la ville, qu’il souhaiterait associer avec la sortie d’un disque comportant un duo avec « le chanteur d’un groupe de rap français célèbre ». Lequel ? Pour l’instant, on n’en saura pas plus.

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