Plume rebelle

Poète, essayiste, romancier… Nimrod, exilé en France depuis quinze ans, a fait de sa double appartenance à l’Afrique et à l’Occident le cur de son uvre.

Publié le 17 décembre 2007 Lecture : 3 minutes.

Est-il nécessaire de présenter Nimrod ? Avec Koulsy Lamko et Nocky Djedanoum, ce poète, essayiste et romancier est l’un des rares écrivains tchadiens à être connu du monde francophone. Exilé en France depuis plus de quinze ans, Nimrod a signé, outre plusieurs recueils de poésie, un brillant essai sur Léopold Sédar Senghor, dans lequel il dit toute son admiration pour le poète-président, sans omettre de souligner la pertinence de sa pensée politique et littéraire. Mais, pour les aficionados des lettres africaines, le nom de Nimrod reste avant tout associé à son superbe roman Les Jambes d’Alice (Actes Sud, 2001) et à ses pages sur l’amour et la sexualité féminine, dignes des meilleures anthologies de l’érotisme.
Le Tchadien n’est pas pour autant un romancier pornographique. Bien au contraire. Les Jambes d’Alice est avant tout un premier roman sophistiqué, implicite, métaphorique. Il raconte, sur fond de guerre civile et d’exode des populations, les ébats amoureux d’un jeune professeur de français se consumantpour l’une de ses élèves Il y a ici du Vladimir Nabokov, mais aussi du Senghor. Un métissage original et subtil à l’image de l’auteur lui-même, qui a su faire de sa double appartenance à l’Afrique et à l’Occident le cur poétique de son uvre.

Avec l’aide de Senghor
Parcours étonnant que celui de Nimrod Bena Djangrang. Né en 1959 au Tchad, pays majoritairement musulman, l’écrivain a grandi au sein d’une famille protestante. Son prénom, qui signifie « se rebeller » en hébreu et dont il fera son nom de plume, il le doit à son père. Pasteur luthérien, « en tout point semblable aux ministres du culte que l’on voit dans les films de Bergman ou dans ceux de Dreyer », celui-ci a inculqué à ses enfants sa culture religieuse. Nimrod y puise encore et toujours l’esprit et les mots, surtout lorsqu’il s’agit d’évoquer l’enfance, ce « vert paradis [] dont nous avons été chassés ».
Cette jeunesse perdue est le véritable sujet de son second livre de fiction, sobrement intitulé Le Départ (Actes Sud, 2005). Un livre autobiographique, bouleversant de sincérité, où l’écrivain réinvente, avec lyrisme et nostalgie, le « pays mouvant du bleu », ses beautés et ses frémissements dont il a fallu s’arracher pour aller « habiter l’horizon ».
À 20 ans, alors que son pays entre dans une période de turbulences, Nimrod prend le chemin de l’exil. Première escale en Côte d’Ivoire, où il séjourne quelques années avant de débarquer en France, en 1991, avec l’ambition de faire une thèse de philosophie. Senghor, à qui il avait envoyé un exemplaire de son premier recueil de poésie, demande à Alain Decaux, alors ministre de la Francophonie, une bourse de doctorat pour le jeune Tchadien. « C’était tout Senghor. Il me connaissait à peine, mais n’avait pas hésité à prendre sa plus belle plume pour solliciter une subvention en ma faveur », se souvient Nimrod, devenu depuis non seulement docteur en philosophie, mais aussi un éminent poète marchant sur les traces du barde de la négritude.
Les trois recueils publiés par Nimrod – Pierre, poussière (Obsidiane, 1989), Passage à l’infini (Obsidiane, 1999) et En saison (Obsidiane, 2004) – évoquent tout naturellement Senghor, mais moins par la forme que par la nostalgie dont ils sont imprégnés, par leur évocation du « royaume d’enfance », ce « pays à jamais fauve » nommé Afrique. « On ne sera jamais guéri d’avoir survécu à tant de beauté, à tant de misère », aime dire Nimrod.
Ce lien profond que l’écrivain exilé entretient avec son pays natal n’est pas toujours bien compris par le public occidental, comme l’explique Nimrod lui-même dans un nouveau recueil d’essais à paraître chez Actes Sud en février 2008. La Nouvelle Chose française s’ouvre étonnamment sur la charge d’un lecteur déçu : « Monsieur, j’ai bien lu votre livre. Je connais l’Afrique, j’y ai séjourné un certain temps, et je peux vous dire que vous n’êtes pas africain. D’ailleurs, il n’y a qu’à voir votre nom : Nimrod, ça n’est pas africain ». Tout est dans ce « ça » symptomatique de la nouvelle vision du monde. Un monde segmenté en nations, en races et en mille autres « catégories » de moins en moins pertinentes.

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