Où va l’argent du brut ?

Quatre ans après l’entrée du pays dans le club des producteurs africains, l’usage que le gouvernement fait des pétrodollars suscite toujours de vifs débats.

Publié le 17 décembre 2007 Lecture : 4 minutes.

A qui profite l’or noir tchadien ? La question alimente les débats depuis que le pays a intégré le club des pays producteurs de pétrole en 2003 : avec 173 000 barils par jour (b/j), le Tchad est le dixième producteur du continent africain. Depuis que les premières gouttes de brut sont sorties du gisement de Doba, le Trésor a perçu un peu plus de 2 milliards de dollars au titre de redevances, impôts sur les bénéfices des sociétés, permis d’exploitation Mais, pour le président Idriss Déby Itno, ce n’est pas suffisant.
Le 26 août 2006, devant le gouvernement et l’Assemblée nationale réunis, l’homme fort de N’Djamena a demandé la renégociation des contrats pétroliers signés avec le consortium constitué des américains Exxon et Chevron ainsi que du malaisien Petronas. « En moins de trois années d’exploitation, ces compagnies ont réalisé un chiffre d’affaires d’environ 5 milliards de dollars pour un investissement de l’ordre de 3,5 milliards de dollars. Notre pays n’a reçu que des broutilles, 500 millions de dollars, soit 12,5 %. » La charge du chef de l’État est d’autant plus violente qu’en ce second semestre de 2006 les cours du pétrole ne cessent d’augmenter. Pour le président, qui évalue le manque à gagner de l’État à 558 millions de dollars, soit 250 milliards de F CFA, c’en est trop. Il ordonne l’expulsion des dirigeants de Chevron et de Petronas, qu’il accuse de ne pas payer l’impôt sur les sociétés. Après deux mois de tractations, les deux compagnies finissent par accepter de payer 281,6 millions de dollars d’arriérés pour l’exercice 2005 et les trois quarts provisionnels de 2006.

Bras de fer avec la banque
Mais l’argent perçu par l’État est-il affecté au service de la lutte contre la pauvreté et du développement du pays ? Rien n’est moins sûr. À la fin de 2005, un conflit oppose les autorités de N’Djamena à la Banque mondiale, après la modification de la loi sur la gestion des ressources pétrolières votée en 1999. Selon le texte initial, le pays devait réserver l’essentiel des revenus tirés du pétrole à des projets de développement (santé, éducation, infrastructures) et en affecter une partie à un « Fonds pour les générations futures ». Mais le gouvernement décide de changer la donne. La réponse de la Banque mondiale ne se fait pas attendre. Le 12 janvier, l’institution financière suspend ses prêts et demande le gel des avoirs pétroliers tchadiens. Idriss Déby Itno, qui est à la recherche de revenus supplémentaires pour faire face à la menace rebelle persistante dans l’est du pays, ne plie pas. Un accord est finalement conclu avec l’institution financière en juillet, qui va permettre au Tchad de consacrer 30 % des recettes aux dépenses publiques et les 70 % restants à des investissements pour le développement du pays. Avec, en bonne place, les dépenses sécuritaires.
« En 2006, l’argent du pétrole n’a servi qu’à acheter des armes », soutient Delphine Djiraïbe Kemneloum, avocate et membre du Collège de contrôle et de surveillance des revenus pétroliers. S’il existe bien des chantiers au Tchad, « il n’y a aucune cohésion entre les investissements des bailleurs de fonds et ceux financés par les fonds pétroliers », affirment les membres du Comité de suivi de l’appel à la paix et à la réconciliation (CSAPR), une ONG locale. La presse, quant à elle, raille la « médiocrité » des infrastructures construites. Plus grave, pour le journal N’Djamena Bi-Hebdo, « jamais le parc automobile du pays n’a compté autant de rutilants 4×4 », signe que la manne pétrolière profite à quelques-uns
Les appels à une meilleure redistribution des ressources pétrolières se sont multipliés. Au départ, pourtant, l’exploitation des gisements devait contribuer à la croissance et, par conséquent, à la réduction de la pauvreté. C’est ce qu’espérait en tout cas la Banque mondiale. Seulement voilà, la croissance économique semble surtout avoir favorisé l’accroissement des dépenses de l’État, qui sont passées de 285,6 milliards de F CFA en 2002, avant le début de l’exportation du brut, à 547,7 milliards de F CFA en 2006. En revanche, le taux d’inflation moyen annuel est passé de 5,2 % en 2002 à 8 % en 2006.

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Importations massives
La baisse du pouvoir d’achat des ménages est telle que le chef de l’État, une fois réélu en mai 2006, affirme que son prochain quinquennat sera « social ». Dans la foulée, les salaires des fonctionnaires sont revalorisés de 15 %. Malgré ce geste, certains économistes craignent que l’accroissement de la demande intérieure consécutive à l’augmentation des revenus pétroliers ne profite essentiellement aux pays voisins. Notamment par une augmentation des importations en provenance du Cameroun, qui bénéficie des accords de libre-échange conclus entre États membres de la zone Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), de la bonne qualité des infrastructures routières qui relient les deux pays et de la faible compétitivité du secteur productif tchadien.

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