L’énigme Zuma

Le Congrès national africain (ANC) doit élire son nouveau chef d’ici au 20 décembre. L’ancien vice-président Jacob Zuma part hyperfavori. Mais Thabo Mbeki, à qui il veut succéder à la tête du pays en 2009, n’a pas dit son dernier mot.

Publié le 17 décembre 2007 Lecture : 8 minutes.

La 52e conférence du Congrès national africain (ANC) se tient du 16 au 20 décembre à Polokwane, la capitale de la province du Limpopo. Lors de cette grand-messe quinquennale, les 5 000 délégués du parti au pouvoir élisent leur équipe dirigeante. Autant dire, vu la suprématie de l’ANC au sein de la politique sud-africaine, que le nom de son prochain président pourrait bien être également celui du successeur de Thabo Mbeki à la tête du pays, en 2009.

Quel est l’enjeu de la conférence de l’ANC ?
Il y a dix ans, Thabo Mbeki avait réussi à écarter ses rivaux au préalable (notamment l’ex-syndicaliste et président de l’Assemblée constituante, Cyril Ramaphosa) et à obtenir l’aval de Nelson Mandela pour occuper le fauteuil de président de l’ANC, assurant ainsi son élection à la tête du pays, en 1999. Cette année, il veut conserver la mainmise sur le parti, même s’il ne pourra pas se succéder à lui-même à la présidence du pays. Mais il se trouve face à un concurrent de taille : celui qu’il avait limogé en juin 2005, l’ex-vice-président, Jacob Zuma. Malgré les soupçons de corruption qui pèsent sur lui, ce dernier est resté numéro deux du parti et vise à présent le fauteuil de son ancien patron.

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Quelles sont ses chances d’arriver au pouvoir ?
Zuma, qu’on disait politiquement mort depuis qu’il avait été mêlé à des scandales de corruption en 2005 et à une affaire de viol en 2006, vient de démontrer qu’il jouissait encore d’une certaine popularité et de beaucoup d’influence. Les deux tiers des délégués provinciaux viennent de lui accorder leur préférence lors des élections au sein des instances régionales ; il a reçu le soutien des deux ligues de l’ANC (celles des femmes et des jeunes) et celui des autres membres de l’alliance tripartite au pouvoir (le Parti communiste et la centrale syndicale Cosatu). Mieux, Tokyo Sexwale, l’homme d’affaires qui fait campagne pour la présidence du parti depuis plusieurs mois, a finalement abandonné pour le soutenir. Zuma bénéficie ainsi d’une base militante solide, à laquelle viennent s’ajouter tous ceux qui, mécontents de Mbeki pour sa gestion solitaire du pouvoir, ses erreurs (sur le sida notamment) et son échec à améliorer leur niveau de vie, souhaitent son départ. À moins d’un coup de théâtre, Zuma est en excellente position pour prendre sa revanche sur Mbeki en lui ravissant le parti, avant de lui succéder à la tête du pays en 2009.
Toutefois, même s’il prend la tête de l’ANC, Zuma n’est à l’abri d’aucune mauvaise surprise, surtout si un troisième homme venait à brouiller les pistes. Longtemps perçu comme l’alternative idéale à Zuma et Mbeki, l’homme d’affaires Cyril Ramaphosa, favori de Mandela, chouchou des médias, des patrons et des syndicats, est pourtant resté dans l’ombre, niant toute ambition d’accéder au pouvoir. Alors que ses proches expliquent qu’il n’est pas prêt à affronter directement Zuma, mais qu’il accepterait néanmoins la présidence du pays s’il était plébiscité. Une hypothèse plausible, Zuma n’étant pas complètement sorti de ses ennuis judiciaires. En septembre 2006, le juge qui instruisait le procès pour corruption (Zuma est soupçonné d’avoir reçu des pots-de-vin de son ancien conseiller Shabir Shaik dans le cadre d’un contrat d’armement emporté par l’entreprise française Thomson) a abandonné les poursuites, estimant les preuves insuffisantes. Mais le procureur n’a pas encore classé cette affaire, qui pourrait revenir devant le tribunal dès janvier. Le principal intéressé a toujours démenti les accusations et dénoncé un complot ourdi contre lui par le clan Mbeki pour l’empêcher d’accéder à la magistrature suprême. Si Zuma était finalement jugé coupable, l’ANC devrait se trouver un autre candidat dans la perspective des élections de 2009.

Qui est vraiment Zuma ?
Un homme tenace, habile, chaleureux et chanceux. À 60 ans, « JZ », comme le surnomment ses compatriotes, est un miraculé de la vie politique sud-africaine et apparaît comme l’antithèse des derniers leaders de l’ANC, à commencer par Thabo Mbeki. Moins diplômé, moins sophistiqué, moins apprécié de l’élite, il n’en incarne pas moins l’espoir d’une vie meilleure. Il parle le langage de ceux qui ont grandi sans père, obligé de garder les troupeaux dans les plaines du pays zoulou pour nourrir la fratrie. Sa vie ne laisse pas indifférents ses concitoyens. Né à Inkandla, dans le pays zoulou, le 12 avril 1942, d’un père policier qui décède trois ans après sa naissance et d’une mère femme de ménage, il reçoit une éducation sommaire. Parce qu’il se sent « opprimé », le garçon vif et brillant s’engage dans les rangs de l’ANC en 1958. En 1962, il en rejoint la branche armée, Umkhonto we Sizwe (MK), avant d’être arrêté et envoyé dans la prison de haute sécurité de Robben Island pour dix ans. Libéré en décembre 1973, il part suivre une formation militaire en URSS, puis poursuit la lutte depuis la Zambie et le Mozambique. En 1987, il devient chef du renseignement de l’ANC en exil. En 1990, le parti enfin autorisé, il est l’un des premiers à rentrer au pays, fort d’une réputation de combattant et de militant communiste. C’est lui qui mène les négociations entre l’ANC et l’Inkhata Freedom Party (IFP) de Mangosuthu Buthelezi pour mettre fin au conflit meurtrier entre leurs partisans au KwaZulu-Natal, au début des années 1990. Thabo Mbeki le remercie en lui offrant la vice-présidence en 1999.

Comment les anciens amis sont devenus ennemis ?
Ironie de l’histoire, si Mbeki l’a choisi pour le seconder il y a huit ans à peine, c’est aussi parce que Zuma était considéré comme un second couteau inoffensif. Qui aurait alors pu penser que le Zoulou, brave combattant certes, mais dépourvu de tout bagage intellectuel, serait un sérieux présidentiable dans le plus puissant pays d’Afrique ?
C’est en 2001 que les relations entre les deux hommes commencent à se détériorer. Au moment de la 51e conférence de l’ANC, les caciques du parti doutent de Mbeki. Sa politique au Zimbabwe et ses déclarations sur le sida font désordre au sein de la population, comme à l’extérieur du pays. On essaie de l’écarter, au profit, entre autres, de Zuma. Mbeki se rend alors compte que son protégé a mis à profit ces trois années passées à ses côtés pour se faire un nom et une réputation, avant de se tailler un costume de dauphin. L’affrontement est inévitable entre ces deux hommes que tout, ou presque, oppose. Zuma, « 100 % Zulu Boy », comme l’affichaient les tee-shirts de ses partisans, aime danser et chanter. Mbeki élitiste, préfère citer Shakespeare et Keats dans ses discours. Même si, pour le reste, leurs méthodes se ressemblent : complots, secrets et trahisons. Ils ont tous deux grandi au sein de la même organisation clandestine, l’ANC, où la méfiance est toujours de rigueur.

Zuma va-t-il transformer l’Afrique du Sud ?
Considéré comme le candidat de l’aile gauche de l’ANC, Zuma a été adoubé par la Cosatu et le Parti communiste, partisans d’une politique de nationalisations, qui fait peur au monde des affaires et aux investisseurs. Il se veut, lui, rassurant. Pendant quinze jours à la fin de novembre, il a pris son bâton de pèlerin, est allé à Londres et au Texas pour promettre qu’il ne changerait pas la politique économique de l’ANC.
Pour le moment, son programme politique reste flou. Les délégués de l’ANC ne sont d’ailleurs appelés à se prononcer que sur un leader, puisque c’est le parti qui dicte ensuite la politique que ce dernier devra mener. Au pouvoir de 1999 à 2005, Zuma ne s’est jamais opposé aux orientations majeures de Mbeki. Le signe, peut-être, qu’il n’a pas l’intention de faire prendre à l’Afrique du Sud le virage à 180° dont ses détracteurs le suspectent

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Représente-t-il une menace pour le pays ?
Depuis Mandela, l’ANC tente de niveler les différences raciales et ethniques. Les discours en zoulou du candidat et les revendications ouvertes de ses partisans pour le pouvoir ont ravivé les mauvais souvenirs de la révolte du KwaZulu-Natal dans l’immédiat postapartheid. D’aucuns se sont inquiétés que la plus importante ethnie du pays (25 % de la population est zouloue) réclame aussi ouvertement le pouvoir (Mandela et Mbeki sont xhosas). Mais le vote des délégués en faveur du vice-président dans la majorité des provinces du pays montre que la popularité de Jacob Zuma dépasse, en réalité, le clivage ethnique.
Le Prix Nobel Desmond Tutu avait-il pour autant tort de juger, l’an dernier, au moment du procès pour viol, que Zuma n’était pas taillé pour le pouvoir et que les Sud-Africains ne devaient pas élire quelqu’un dont ils auront, un jour, honte ? À maintes reprises, ses propos iconoclastes ou les révélations sur sa vie privée ont choqué. Et pas seulement l’élite de l’ANC. Florilège : « L’homosexualité est une disgrâce aux yeux de la nation et de Dieu. » « Si les Sud-Africains veulent rétablir la peine de mort, ils doivent le faire savoir. » Simples déclarations populistes ou réelle volonté de mettre entre parenthèses certaines dispositions de l’une des Constitutions les plus respectueuses des droits de l’homme ? Lors de son procès, il a avoué avoir eu une relation sexuelle non protégée avec la jeune femme qui l’accusait de viol, sachant qu’elle était séropositive, il a déclaré : « J’ai pris une douche immédiatement après le rapport, pour minimiser le risque de transmission. » Provocation délibérée ou réelle ignorance dans un pays où un adulte sur cinq est porteur du virus du sida ? Toujours est-il qu’on peut se demander si un homme qui fait preuve d’une telle légèreté peut décemment revêtir un costume de chef d’État. À ses détracteurs Zuma répond : « Si j’avais fait tant de mauvais choix et fait preuve de tant d’irresponsabilité, je serais mort depuis longtemps, sous l’apartheid. » Les Sud-Africains lui laissent le bénéfice du doute.

Qu’en pense Mandela ?
D’un mot, s’il le voulait, Nelson Mandela pourrait régler la bataille de la succession. Le premier président noir du pays, qui s’est retiré après un seul mandat, conserve un poids certain au sein de l’ANC et force le respect d’une écrasante majorité de Sud-Africains. Mais il s’est sciemment tenu à bonne distance de la scène politique depuis plusieurs années maintenant, se dévouant à la lutte contre le sida. Pour rester le plus neutre possible, il a même demandé récemment à la chaîne de télévision publique, SABC, de retirer d’un jingle des images qui le montraient aux côtés de Mbeki.
Son ex-épouse, Winnie Madikizela-Mandela, en revanche, n’a pas caché ses opinions. Malgré sa réputation sulfureuse, elle a conservé sa popularité acquise sous l’apartheid. Elle a d’abord accordé sa préférence à Tokyo Sexwale. Maintenant que Zuma a reçu le soutien de ce dernier, pourrait-il gagner, aussi, celui de Winnie ? Possible. En revanche, il paraît peu probable qu’il finisse par obtenir celui de « Madiba ». Ce dernier n’a jamais montré une réelle proximité avec Zuma, et son engagement dans la lutte contre le sida pourrait disqualifier d’emblée un dirigeant semblant faire peu de cas de la pandémie qui décime l’Afrique du Sud depuis vingt ans.

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