L’homme qui a sauvé la Sotra

En sept ans, le directeur général de la Société des transports d’Abidjan a redressé une entreprise publique vouée à la faillite. Mieux, il l’a l’introduite en Bourse. Un exemple unique dans la sous-région.

Publié le 17 décembre 2007 Lecture : 5 minutes.

À Abidjan, l’acronyme Sotra évoque pour le grand public l’orange, le blanc ou le vert des bus de la capitale économique ivoirienne. Pour les plus avertis, il renvoie au sourire séducteur et au regard inquisiteur de Philippe Attey. À 56 ans, ce banquier a réussi le tour de force de transformer une entreprise d’État moribonde en fleuron du service public. Mieux, l’homme vient de réussir l’une des plus belles opérations financières du continent. Après avoir lancé avec succès, en mai dernier, un emprunt obligataire de 12 milliards de F CFA – une première pour une entreprise de service public ouest-africaine -, le titre a enregistré sa première cotation à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BVRM), le 3 décembre.
Dans le détail, des banques, des entreprises et des particuliers ont souscrit à hauteur de 10,2 milliards de F CFA, tandis que la Banque nationale d’investissement (BNI) a ajouté 2 milliards sous forme de crédits. « Ce sont à 85 % des souscripteurs ivoiriens, c’est une marque de confiance, précise Attey. La profondeur du marché UEMOA est estimée à 500 milliards de F CFA par an. Étant donné le nombre d’emprunts obligataires lancés ces derniers temps, le fait que nous ayons levé plus de 10 milliards est une grande satisfaction. » Une grande victoire aussi pour ce père de six enfants, présenté par ses proches comme une « bête de travail » et reconnu par ses détracteurs comme « un très bon gestionnaire ». Son parcours l’atteste.
Diplômé de l’École supérieure de commerce de Bordeaux (France), il rentre en Côte d’Ivoire comme comptable chez Shell en 1975. Moins d’un an après, il intègre la Banque nationale de développement agricole (BNDA), où il est, à 25 ans, le plus jeune directeur financier du pays. Il y gagne la confiance et l’estime du directeur général, Auguste Daubrey, avec qui il travaillera successivement à la Société pour le développement de la motorisation de l’agriculture, la Motoragri, puis à la Banque internationale pour l’Afrique de l’Ouest (BIAO), où il finit au poste de directeur général adjoint en Côte d’Ivoire, ainsi qu’à la direction du réseau international à Paris. Après la BIAO, il rejoint, en 1990, le groupe Méridien à Londres et en Zambie, avant de partir au Niger pour restructurer le Fonds de solidarité africain. Parallèlement, il crée un cabinet de conseil, Capana, qu’il mettra en veilleuse en 2000 : « J’avais un associé trop impliqué en politique. J’ai pour principe de ne jamais exprimer mes opinions, même si je suis un nationaliste convaincu. »

Il apprend sa nomination un vendredi soir à la télévision
Pour son pays, en 2000, Philippe Attey n’a guère eu le choix. Il est à Niamey quand il apprend, « un vendredi soir de juin à la télévision », sa nomination à la direction générale de la Sotra. La junte militaire dirigée par Robert Gueï ne s’embarrasse pas de fioritures pour le « réquisitionner ». Le chantier est titanesque. La Sotra affiche des pertes cumulées de 33 milliards de F CFA pour un capital de 3 milliards. « J’ai examiné les documents comptables sur les trois années précédentes, explique-t-il. La société était au bord de la faillite mais les germes d’une restructuration étaient visibles. »
Pour redresser l’affaire, le nouveau DG actionne d’abord le levier de la fermeté. « Les employés avaient perdu l’habitude de travailler », confie-t-il, tandis que la fraude sur les tickets rognait sur les recettes journalières. La création d’une division « audit interne » met le feu aux poudres et provoque successivement trois grèves entre 2001 et 2003. Le patron ne cède pas : onze personnes sont licenciées. Il n’empêche, le conflit a laissé quelques traces, et d’aucuns dénoncent « l’autocrate qui vire et le clientéliste qui embauche des amis ». « Je recrute des proches quand ils sont compétents mais je peux aussi les renvoyer. Je n’ai pas d’état d’âme, et j’ajoute que le comité de direction est composé à 75 % de personnes que j’ai trouvées en arrivant », justifie l’intéressé. Apparemment, ce discours de vérité a fini par séduire. « Nous avons fini par comprendre notre intérêt et accepté de se serrer la ceinture pour conserver l’outil de travail », confie un machiniste.
Malheureusement, ces premiers efforts de redressement sont balayés par la crise qui déchire le pays en septembre 2002. « Notre parc a été réduit [à moins de 400 bus, NDLR]. En 2005, nous avons touché le fond, mais j’ai demandé au personnel de considérer que nous étions en situation normale », se souvient Attey. Un an plus tard, son plan de restructuration est validé par le gouvernement. Depuis, la situation financière s’améliore, le retour à l’équilibre est assuré, et 2008 doit renouer avec les bénéfices estimés à 518 millions de F CFA sur un chiffre d’affaires de 35 milliards et une contribution de l’État de 9,9 milliards pour la prise en charge des passagers non payants. « C’est ce travail en interne qui a permis de convaincre les financiers », explique-t-il aujourd’hui en présentant son plan d’investissement 2007-2013, financé par l’emprunt obligataire.

la suite après cette publicité

« Je ne suis pas un courtisan »
La priorité concerne le renforcement du parc pour passer de 750 à 900 bus d’ici à la fin de l’année. Il s’agit principalement de Tata indiens, « imbattables au niveau des prix », tandis que des bus coréens d’occasion venus du Koweït ont déjà été livrés. Vient ensuite l’amélioration des services à la clientèle. Avant la crise, plus de 1 million de passagers prenaient le bus chaque jour, contre 600 000 actuellement. L’objectif est d’atteindre 800 000 en 2008 puis de renouer avec les niveaux qui faisaient de la Sotra la première entreprise de transport public en Afrique subsaharienne. L’année prochaine, deux gares lagunaires et deux terrestres seront construites pour 3 milliards de F CFA, et 4 milliards ont commencé à être investis dans la billetterie électronique : « Nous avons déjà constaté une hausse des recettes », se réjouit Philippe Attey, qui a également introduit la biométrie pour le contrôle des horaires de travail.
L’autre chantier concerne le périmètre des activités de la Sotra, avec à la clé une filialisation de tout ce qui n’est pas dans le corps de métier (formation du personnel, entretien des bus et agence de voyages). Dans un premier temps, la Sotra va rester actionnaire à 100 % mais l’idée est d’ouvrir le capital des filiales puis de la maison mère. « Lorsque je parlais d’emprunt obligataire, on me lançait des sourires incrédules. Dans deux ans, je voudrais augmenter le capital de l’entreprise en l’introduisant en Bourse », confie-t-il plein d’assurance. L’État actionnaire à 60 % va-t-il accepter ? « Sa proximité avec le président Laurent Gbagbo et son épouse Simone n’est un secret pour personne », affirme un observateur au ton accusateur. « Je ne faisais pas partie de leurs amis et je ne suis pas un courtisan », réplique, d’un ton bonhomme, Attey, qui au passage dément appartenir au parti présidentiel, le Front populaire ivoirien (FPI). « Lorsque les formations politiques me demandent des bus pour leurs rassemblements, j’applique le même tarif à tout le monde », conclut-il. Bref, des passagers comme les autres !

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires