Le vrai coût du Mondial 2010

À deux ans et demi du coup d’envoi, les Sud-Africains prennent peu à peu conscience que la réussite totale de la compétition les contraint à multiplier le budget par dix.

Publié le 17 décembre 2007 Lecture : 6 minutes.

« Les ouvriers redoubleront d’efforts pour que les stades soient livrés à temps. Si vous allez sur les sites, même de nuit, vous les verrez travailler. » À la fin du mois de novembre, alors que tous les regards étaient braqués sur l’Afrique du Sud à l’occasion du tirage au sort des éliminatoires de la Coupe du monde de football 2010, Danny Jordaan, le directeur du Comité sud-africain d’organisation (LOC), a été dans l’obligation de se montrer rassurant sur l’état d’avancement des travaux de construction et de rénovation des stades. Et pour cause Grèves, recours judiciaires, montant total de la facture : depuis plusieurs mois, les problèmes s’accumulent.
À Nelspruit, Durban et au Cap, des centaines d’ouvriers se sont mis en grève pour obtenir une amélioration des conditions de sécurité sur les chantiers et, surtout, une hausse des salaires, afin qu’ils atteignent au moins le revenu minimum de 12 rands (1,20 euro) de l’heure. Les travailleurs ont obtenu gain de cause, mais, côté travaux, plusieurs semaines de retard ont été prises, alors que la livraison des stades en temps et en heure est cruciale. Le porte-parole du LOC, Tim Modise, le reconnaît d’ailleurs ouvertement : les délais vont être « très très serrés », affirme-t-il, d’autant que certaines enceintes, comme celles du Cap, font l’objet de procédures judiciaires (voir encadré). « Aucun voyant n’est au rouge », tempère toutefois Jérôme Valcke, le secrétaire général de la Fédération internationale de football association (Fifa), qui sait qu’un ultime coup d’accélérateur peut être donné dans la dernière ligne droite de l’événement, comme ce fut le cas, par exemple, pour les jeux Olympiques d’Athènes en 2004.

Déjà deux rallonges budgétaires
La question du coût total du Mondial est, en revanche, plus problématique. Côté Fifa, l’affaire est entendue : les droits de retransmission télévisuelle et les apports des sponsors couvriront, sans problème, les 940 millions d’euros dépensés par l’organisation pour la préparation de la compétition. Aux six « partenaires » de l’événement (Adidas, Hyundai, Sony, Coca-Cola, Visa et Emirates Airline) s’ajoute un groupe de six « sponsors » (quatre seulement sont connus pour l’instant : le prestataire de services informatiques indien Satyam, le brasseur américain Anheuser-Busch, la chaîne de restauration McDonald’s et l’opérateur de téléphonie sud-africain MTN) et un groupe de six « sponsors nationaux » (dont la First National Bank est le seul représentant officiel pour l’instant, mais que devrait rejoindre sans tarder Telkom SA). La manne de ces partenariats est considérable. En vingt ans, les sommes engagées pour un tel événement sportif sont passées de 6,3 millions à 222 millions d’euros, selon la Fifa.
Problème, si les recettes publicitaires flambent, les dépenses aussi. À deux ans et demi du coup d’envoi, le budget de 4 milliards d’euros prévu pour les investissements liés à la compétition semble déjà insuffisant. Depuis le début des travaux, la hausse des cours de l’acier et du ciment a engendré une augmentation des dépenses en matériaux de 5 % à 10 %, que Pretoria va devoir financer Les autorités ont d’ores et déjà laissé entendre qu’une rallonge comprise entre 280 millions et 350 millions d’euros serait annoncée en février 2008 après une première enveloppe supplémentaire de 260 millions en octobre dernier.
En retour évidemment, l’Afrique du Sud espère engranger d’importantes rentrées financières lors du déroulement de la Coupe du monde. À titre de comparaison, l’Allemagne, pays organisateur du Mondial en 2006, a engrangé 1,25 milliard d’euros de devises supplémentaires qui ont permis de couvrir les dépenses engagées pour la construction et la rénovation des stades ayant servi à la compétition. Durant leur séjour, les quelque 350 000 à 400 000 touristes attendus en Afrique du Sud devraient, eux, dépenser 980 millions d’euros, selon les prévisions de la Fifa. Les professionnels du secteur l’ont bien compris : déjà, des auberges ouvrent leurs portes dans les villes qui accueilleront des matchs, tandis que certains hôtels font le plein de réservations et augmentent leurs tarifs, à l’image du Big Blue Backpackers, à deux pas du stade du Cap, dont la nuitée vient d’augmenter, subitement, de 100 à 160 rands.
Pretoria espère, au total, que la compétition renchérira son PIB de 2,13 milliards d’euros et qu’elle permettra de créer 381 000 emplois directs ou indirects dans le pays. Le consultant Grant Thornton estime, lui, que l’impact des dépenses liées au Mondial sur le PIB pourrait être plus important encore et atteindre la somme de 5,11 milliards d’euros. Une aubaine, alors que le taux de chômage officiel sud-africain dépasse 26 % et que le nombre de sans-emploi est supérieur à 4,3 millions Le secteur du bâtiment et des travaux publics fait évidemment figure de privilégié : le géant Group Five a ainsi enregistré 1 milliard d’euros de contrats pour les trois ans à venir.
« Le danger est de rester trop centré sur l’événement et que les sommes ne soient pas réalistes au regard des objectifs de croissance des villes hôtes », nuance toutefois Kurt Ackermann, consultant en stratégie commerciale, qui poursuit : « Je pense que les coûts occasionnés par la compétition seront bien plus importants que prévu et que les bénéfices attendus seront bien moins importants. » Il n’a pas tort. Car la rénovation et la construction de stades, d’hôtels et d’immeubles ne suffiront pas à garantir le succès. Il faudra, par exemple, assurer le transport des fans entre les différents sites, relayer les images de télévision, garantir la disponibilité de l’électricité Autant de projets inclus dans le plan global d’infrastructures et de transports engagé par les autorités pour moderniser le pays. Si ce vaste programme conçu à l’horizon 2014 a été précipité pour coïncider avec le Mondial, les dépenses qui lui sont liées s’élèvent d’ores et déjà à 42 milliards d’euros dans les trois ans à venir.

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Le Gautrain devra entrer en service à temps
Le chantier le plus emblématique du moment est sans aucun doute la construction du Gautrain, un train à grande vitesse qui reliera l’aéroport international de Johannesburg à Pretoria. Qualifié de plus grand projet ferroviaire au monde, il est aussi à l’origine du plus important partenariat public-privé de l’histoire du pays. Construit par le consortium Bombela, qui réunit, notamment le canadien Bombardier, le sud-africain Murray&Roberts et les français Bouygues et RATP, le projet coûte 2,5 milliards d’euros, dont 2,2 milliards déboursés par le gouvernement.
En matière de transports toujours, Pretoria a par ailleurs alloué 63 millions d’euros à la rénovation du réseau routier national, 500 millions pour la rénovation des deux autoroutes traversant le pays, 130 millions d’euros iront à la modernisation du rail et 230 millions à celle des bus de transit. Un important programme de restructuration des services de taxis a également été engagé pour 700 millions d’euros, tout comme la réorganisation des trois grands aéroports du pays. Celui de Johannesburg doit notamment voir sa capacité passer de 18 millions à 25 millions de voyageurs par an. Coût des travaux : 390 millions d’euros.
En matière de communications, la télévision publique SABC entend proposer six nouvelles chaînes en haute définition avant fin 2009, et les travaux d’installation du câble sous-marin à fibre optique long de 15 000 km qui reliera l’Afrique du Sud à Marseille (France) et Mumbaï (Inde) dès juin 2009 ont commencé. D’un montant de plus de 440 millions d’euros, ils sont menés par un consortium à majorité africaine, Seacom, notamment composé d’Industrial Promotion Services (IPS), une branche du Fonds Aga Khan, Venfin, une société sud-africaine liée à Remgro, et Richemont (Suisse), l’américaine Herakles Telecom et la sud-africaine Convergence Partners.

La sécurité, la santé, l’électricité
Les secteurs de la sécurité, de la santé et de l’énergie, enfin, ne sont pas en reste. Ainsi, les autorités ont promis de faire passer, d’ici à 2010, le nombre de policiers de 164 000 à 192 000 pour tenter de faire baisser la criminalité. Une enveloppe de 30 millions d’euros a, elle, été allouée aux activités médicales, tandis que le fournisseur d’électricité Eskom conduit un vaste plan d’expansion dont le montant s’élève à 30 millions d’euros sur cinq ans.
Devant les montants engagés et l’importance des réalisations à effectuer en moins de trois ans, beaucoup s’interrogent : « Les fans de football s’attendent à des conditions de voyage identiques à celles qu’ils ont connues dans les autres pays organisateurs, commente Paul Browning, consultant spécialisé dans les transports. Disposons-nous encore du temps nécessaire pour moderniser tous nos réseaux et les faire fonctionner ensemble ? » À ces critiques, le gouvernement répond que la plupart des dépenses engagées l’auraient été de toute façon. Le Mondial n’a joué, selon lui, qu’un seul rôle : celui de catalyseur. Reste à souhaiter que la magie opère aussi pour financer les 42 milliards d’euros d’infrastructures et de stades nécessaires au succès total du Mondial 2010 de football.

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