Christine Lagarde : « Nous ne sommes plus le FMI de papa »

La directrice générale du Fonds monétaire international évoque l’action de son organisation en Afrique. À des années-lumière des terribles politiques d’ajustement structurel des années 1990 !

Christine Lagarde est l’une des personnalités préférées des Français. © CHIP SOMODEVILLA / AFP

Christine Lagarde est l’une des personnalités préférées des Français. © CHIP SOMODEVILLA / AFP

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Publié le 29 mai 2014 Lecture : 6 minutes.

Du 29 au 30 mai, le Fonds monétaire international (FMI) organise à Maputo une conférence, Africa Rising, afin d’associer secteurs privés et pouvoirs publics à l’élaboration d’un développement soutenu qui profite en priorité aux plus pauvres. Christine Lagarde, sa directrice générale, exprime à l’intention des lecteurs de Jeune Afrique ses espoirs et ses préoccupations pour une région qu’elle a visitée à trois reprises depuis sa nomination, il y a bientôt trois ans.

Propos recueillis par Alain Faujas

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Jeune Afrique : Pourquoi avez-vous organisé la conférence de Maputo ?

Christine Lagarde : Cinq ans après la conférence que le FMI avait organisée en Tanzanie, il fallait faire le point sur notre partenariat avec nos pays membres africains. Car les choses ont bien changé sur le continent : avec un taux de quelque 5% pendant dix ans, la croissance y a été remarquable.

L’Afrique subsaharienne affiche le deuxième taux de croissance mondial derrière l’Asie. Elle a réussi à réduire de 10% la pauvreté de ses populations depuis que les Objectifs du millénaire ont été institués par l’ONU. Enfin, elle a pris conscience que les réformes étaient impératives pour préserver ses ressources et en faire profiter le plus grand nombre.

Dans quelle situation financière se trouve l’Afrique subsaharienne ?

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Globalement, sa dette est raisonnable. Elle s’établit en moyenne à 33,9% de son produit intérieur brut, à l’exception de quelques cas comme l’Afrique du Sud, le Kenya, le Malawi ou Maurice. C’est bien, car cela est dû à une meilleure situation budgétaire.

Et les pays du Printemps arabe ?

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Nous sommes convaincus qu’il faudra de la part de la communauté internationale un appui technique et financier à moyen et à long terme à des pays tels que le Maroc, la Tunisie, la Libye, l’Égypte, la Jordanie et le Yémen. La majorité de ces pays a stabilisé sa situation. Certains ont retrouvé des chemins plus vertueux en matière budgétaire, le Maroc en premier lieu, mais aussi la Tunisie et la Jordanie.

L’Afrique pâtit-elle du ralentissement des pays émergents ?

Non, nos prévisions chiffrent sa croissance hors Afrique du Sud à 6,5 % en 2014 et en 2015. Le ralentissement de la demande en matières premières des pays émergents l’a un peu affectée, mais sa demande domestique a pris le relais.

Nous demandons aux autorités d’arrêter de subventionner ceux qui roulent en 4×4 et jouissent de l’air conditionné à domicile.

Quand je vois le nombre de participants américains et européens, et notamment ceux qui viennent du secteur privé, à la conférence de Maputo, je ne vois pas un tel désintérêt. Mais il est vrai que les investissements et le commerce avec l’Asie, mais aussi le Brésil, ont joué un rôle essentiel pour la croissance africaine et que l’intérêt de ces pays pour ce continent ne se dément pas.

La croissance en Afrique est forte, mais le recul de la pauvreté y est faible. Comment remédier à ce décalage ?

L’extrême pauvreté ne recule pas en Afrique parce que la productivité y est faible et que le sous-emploi prédomine. Une amélioration de la productivité du secteur primaire, qui pèse 30 % du PIB, changerait la donne.

Pour cela, ce ne sont pas seulement les méthodes de production agricole qui sont à réformer, mais aussi les voies d’acheminement et la capacité énergétique. Pensez ! Pour 1 milliard d’habitants, l’Afrique subsaharienne ne produit pas plus de courant électrique que l’Espagne.

Nous estimons que c’est le moment de susciter dans ces secteurs éminemment créateurs de richesse un regain des investissements grâce à une meilleure information.

Parmi les réformes que préconise le FMI figure celle de la gouvernance. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?

La première chose à réaliser est la transparence des informations. Au cours des trois dernières années, le Fonds a différé ses programmes d’aide dans certains pays où il n’obtenait pas les informations indispensables concernant les grands contrats de concessions minières ou énergétiques signés par ces pays.

Le deuxième élément de la bonne gouvernance nous semble être le respect des institutions. Il faut par exemple qu’un mandat présidentiel n’excède pas le terme prévu par la Constitution et qu’il n’y ait pas un troisième mandat quand les textes n’en prévoient que deux.

Pourquoi l’Amérique et l’Europe s’intéressent-elles moins à l’Afrique que les pays asiatiques ?

Histoire d’une ascension

1er janvier 1956 – Naissance à Paris
1999 – Présidente du comité exécutif du cabinet d’avocats Baker & McKenzie
2 juin 2005 – Ministre déléguée au Commerce extérieur (gouvernement Villepin)
19 juin 2007 – Ministre des Finances, de l’Économie et de l’Emploi (gouvernement Fillon)
5 juillet 2011 – Directrice générale du FMI
4 août 2011 – À la demande de la Cour de justice de la République (CJR), ouverture d’une enquête à son encontre dans l’affaire Tapie contre Crédit lyonnais
4 août 2011 – Le conseil d’administration du FMI lui réaffirme sa confiance
24 mai 2013 – Placée sous statut de témoin assisté après son audition par la CJR
30 août 2013 – Septième femme la plus influente au monde, selon le magazine américain Forbes

Prenez le cas du Mozambique. Son président partira au terme de son second mandat, comme le prévoit la Constitution. Mais le Parlement a décidé de lui garantir après son départ une rémunération qui paraît excessive à certains. Le débat est sur la place publique.

Ce n’est pas au FMI de prendre parti dans ce débat, qu’il observe avec beaucoup d’intérêt. Nous disons seulement que le Mozambique applique l’équation qui nous semble la bonne : respect des textes, transparence des décisions, débat public sur ces décisions.

Êtes-vous consciente que le FMI traîne une forte odeur de soufre en Afrique ? On s’y souvient douloureusement des politiques d’ajustement structurel qu’il a imposées dans les années 1990…

Mais on parle là du FMI de papa ! Quand on analyse les dix-huit programmes, dont quatorze avec financements [pour un encours à la fin mars 2014 de 5 milliards de DTS, soit environ 7,2 milliards de dollars ou 5,2 milliards d’euros], que nous menons avec les pays africains, on ne peut pas dire que nous méritions cette mauvaise réputation.

Dans l’élaboration de nos programmes, nous faisons très attention à l’existence de « filets de protection sociale » pour les populations les plus vulnérables et à la répartition de la dépense publique en faveur de l’éducation et de la santé, secteurs qui leur sont les plus nécessaires.

Une étude que nous avons menée montre qu’en moyenne, dans les pays sous programme avec le FMI, les dépenses d’éducation par tête sont, cinq ans après que les gouvernements ont adopté nos programmes, en augmentation de 20 %. Et les dépenses de santé, de 40 %. Les chiffres parlent d’eux-mêmes !

Mais le FMI réclame des gouvernements la fin des subventions à des produits essentiels, comme c’est le cas au Sénégal ou au Maroc. N’est-ce pas excessif ?

Premièrement, notre demande ne porte pas sur tous les produits subventionnés, mais sur les énergies fossiles que consomment les entreprises et les ménages et que les budgets nationaux ont bien du mal à financer.

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D’autre part, il ne s’agit pas de supprimer ces subventions, mais de les remplacer. Nous disons aux autorités : mettez-vous d’accord sur les populations qui ont vraiment besoin de ces subventions, les plus démunies, et distribuez-leur soit du cash, soit des bons d’achat pour se procurer le carburant ou les bonbonnes de gaz qui leur sont nécessaires ; mais arrêtez de subventionner ceux qui roulent en 4×4 et jouissent de l’air conditionné à domicile.

On vous prédit un destin à la tête de nombreuses institutions prestigieuses. Le Financial Times et The Wall Street Journal, par exemple, vous voient à la présidence de la Commission de Bruxelles. D’autres vous imaginent candidate à l’Élysée, puisque vous faites partie des personnalités préférées des Français. Vous avez même dit plaisamment que le seul poste qu’on ne vous avait pas encore proposé était celui de pape. Comment réagissez-vous à ces propositions ?

C’est très flatteur pour ma vanité, mais j’ai un job que j’entends poursuivre. Il me passionne parce qu’il s’exerce dans un univers international où je baigne depuis vingt-cinq ans.

Il vous intéresse plus que le marigot politique français ?

Normal, non ?

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