Kabila, l’heure des choix

Un an après la nomination d’Antoine Gizenga au poste de Premier ministre, le gouvernement patine. Pour passer à la vitesse supérieure, le chef de l’État va-t-il changer d’équipe ?

Publié le 17 décembre 2007 Lecture : 6 minutes.

« Avec l’aide du Seigneur, lentement mais sûrement, la réalité est en train de rattraper le rêve » C’est par cette petite phrase au lyrisme inusité chez un homme réputé pour sa sobriété que Joseph Kabila, 36 ans, a conclu le 6 décembre son long « discours sur l’état de la nation » devant le Parlement de Kinshasa. Ovationné, y compris par les élus de l’opposition, puis porté sur les épaules de ses partisans, le président congolais a savouré son bonheur un long moment avant de siffler la fin de la récréation d’un « au travail » sonore. « Un vrai triomphe et une vraie démonstration de légitimité », commente le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, qui se dit « épaté » par la performance du chef, « mais un triomphe à double tranchant : maintenant, c’est au gouvernement d’agir dans l’urgence. Il ne faudrait pas que Kabila soit trahi. » Si la popularité de ?Joseph Kabila demeure réelle, les critiques acerbes dont fait l’objet l’équipe que dirige le Premier ministre Antoine Gizenga, 82 ans, illustrent combien, aux yeux des Congolais, le rêve est encore très loin de la réalité. Certes, le mammouth a subi, il y a un mois, une cure de dégraissage bienvenue. Le gouvernement sumo est passé de 61 à 46 membres, perdant au passage un peu de son pluralisme, mais gagnant beaucoup en termes de cohérence politique. Certes, tout mettre sur le dos d’un Premier ministre octogénaire nommé il y a juste un an pour des motifs avant tout symboliques a quelque chose d’injuste. L’inflation a été ramenée de 26 % à 10 %, les salaires squelettiques des fonctionnaires ont été sensiblement augmentés (un huissier de justice qui gagnait l’équivalent de 2 dollars par mois en 2006 en gagne désormais vingt fois plus), certains contrats miniers léonins ont été renégociés et la corruption des ministres est beaucoup moins évidente que lors de ce grand banquet gabegique que fut la transition. Mais la vision n’y est pas, et cette cécité est en passe de transformer l’ensemble de la classe politique congolaise en une nuisance aux yeux de l’opinion. Dérive d’autant plus risquée que l’opposition fait preuve de la même carence. En panne de stratégie et de programme, empêtrée, à l’instar de l’exilé Jean-Pierre Bemba ou du « sphinx de Limete » Étienne Tshisekedi, à la santé bien vacillante, dans l’éternel égrenage de son chapelet de doléances, cette dernière n’offre pour l’instant aucune alternative.

En première ligne
Joseph Kabila est donc plus que jamais en première ligne, peu et mal protégé par un gouvernement qu’aucune baguette magique ne parvient à réveiller. Si son discours du 6 décembre a été aussi commenté, c’est parce qu’il est le seul à tracer une perspective pour les années à venir, le seul aussi à mettre le doigt sur ce qui ne va pas – la justice corrompue, la jeunesse à l’abandon, la mal-gouvernance, les « travers fort regrettables » des forces de l’ordre. Les élections générales de 2006, la pacification du Nord-Katanga et de l’Ituri et la lente résorption de la fracture Est-Ouest, swahilophone-lingalophone, lui doivent, estime la majorité des Congolais, beaucoup. Tout comme le prêt au développement de 5 milliards de dollars négocié en octobre avec la Chine, qui a fait sursauter les Occidentaux mais que le petit peuple de Kinshasa a applaudi. « En échange de concessions minières exploitées en partenariat, donnant de l’emploi aux Congolais et produisant de la valeur ajoutée localement, les banques chinoises acceptent de contribuer au financement de nos grands chantiers », explique le président, pour qui le concours « appréciable » des partenaires traditionnels du Congo « ne correspond pas à l’urgence de nos besoins ». « Pour la première fois dans notre histoire, s’enthousiasme-t-il, le peuple congolais pourra enfin voir à quoi aura servi son cobalt, son nickel et son cuivre ! »
Avec la présidence, le seul autre pôle national dont l’activité est visible aux yeux des Congolais est le Parlement. Fidèle du chef de l’État mais connu pour son indépendance et son franc-parler, le président de l’Assemblée nationale Vital Kamerhe a eu l’intelligence d’abandonner sa casquette de secrétaire général du PPRD (le parti au pouvoir), confiée au Kasaïen Evariste Boshab, pour se consacrer à son mandat de patron de la Chambre. Et ça marche. En dix mois, seize ministres interpellés, dont l’un a fait l’objet d’une motion de censure, quinze lois votées, huit commissions d’enquête diligentées, et le budget 2008 discuté et adopté avant la fin de 2007 : jamais l’Assemblée n’avait été aussi productive. « Nous sommes un observatoire de la bonne gouvernance, assure Kamerhe, c’est ainsi que nous sommes utiles au président et que nous servons ses projets. Mais nous ne sommes pas un gouvernement bis. À chacun son rôle. » Afin de convaincre les Congolais de sa détermination à restaurer l’autorité de l’État par des méthodes démocratiques (et non néomobutistes) et prouver au quotidien qu’un nouveau système de gouvernance est en cours, le gouvernement Gizenga n’a plus que quelques mois devant lui. « Jusqu’en avril 2008, c’est le dernier sursis », prévient Kamerhe, persuadé de dire tout haut ce que le chef de l’État pense tout bas. Prudent, le porte-parole de la présidence, Kudura Kasongo, préfère évoquer « l’horizon 2011 » – date des prochaines élections générales – pour tirer « un vrai bilan ». Mais chacun sait que Joseph Kabila, à l’instar de ses compatriotes, n’attendra pas jusque-là. « Il est patient, mais il tranche sans états d’âme, quand il le faut », ajoute d’ailleurs Kudura Kasongo.

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Le courage de crever l’abcès
Cette heure des choix pourrait bien être précipitée par les graves revers militaires de ces derniers jours dans la région du Nord-Kivu. Face aux miliciens du général déchu Laurent Nkunda, ce sulfureux seigneur de guerre tutsi mis au ban par l’ONU et rejeté par la grande majorité des Kivutiens, les quelque vingt mille hommes des FARDC (Forces armées de la RDC) du général saint-cyrien Dieudonné Kayembe ont perdu, début décembre, du terrain, ce qui a fait grand bruit à Kinshasa. Même si cette armée a l’excuse, avancée par Kabila lui-même, d’être « quotidiennement testée » alors qu’elle est « à peine formée », il est difficilement compréhensible de la voir abandonner autant d’armes lourdes et de munitions à l’adversaire. Incurie des officiers ou trahison d’éléments peu sûrs, mal brassés et mal intégrés ? « Tous les élus et toute la population sont d’accord avec le président : il faut en finir avec Nkunda, commente Vital Kamerhe, mais il faut aussi avoir le courage de crever l’abcès : des États voisins arment et soutiennent ce hors-la-loi. » Allusion à peine voilée au Rwanda et retour des vieux démons : plus de quatre cent mille réfugiés hantent les pistes du Nord-Kivu, spectres fantomatiques que l’on croyait ne plus revoir.
À la grande différence du Mzee Laurent-Désiré Kabila, son père, Joseph Kabila n’est pas un démagogue. Question de tempérament sans doute, mais aussi conviction que si le triomphe de la démagogie est passager, ses ruines, elles, sont durables. « Le démarrage a été laborieux », a-t-il ainsi reconnu dans son discours du 6 décembre, lui qui aime à dire que pour relever ce brontosaure affaissé qu’est le Congo, « il faut disposer d’une grue géante ». Depuis un an pourtant, aucun chantier significatif n’a encore démarré, particulièrement à Kinshasa. Si Kabila a manifestement compris qu’on ne conduit un peuple qu’en lui montrant un avenir, il serait dévastateur que les Congolais, à force d’attendre, finissent par le prendre pour ce que lui-même abhorre : un de ces marchands d’espérance à crédit dans un pays qui en a connu tant et tant. Il y a donc urgence à changer de vitesse. Avec – ou sans Gizenga.

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