Jusqu’où ira Al-Qaïda ?

Deux attentats sanglants revendiqués par la branche algérienne de la nébuleuse islamiste replongent la population dans la tourmente et le désarroi.

Publié le 17 décembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Après un mois de novembre relativement paisible (4 morts) et les succès enregistrés par la lutte antiterroriste, la violence islamiste a de nouveau frappé. Cette fois au cur d’Alger, dans des quartiers abritant institutions et chancelleries. Quelques heures après les attentats contre le Conseil constitutionnel et la Cour suprême, à Ben Aknoun, et contre le Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), à Hydra, et avant même qu’ils ne soient revendiqués, Noureddine Yazid Zerhouni, ministre de l’Intérieur, les a attribués au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). « Le mode opératoire et le choix des cibles ne laissent aucun doute. Selon des informations recoupées à l’issue de l’enquête diligentée après les récentes attaques, précise le ministre, nous avons pu mettre la main sur la liste des cibles arrêtée par les réseaux de soutien aux kamikazes. »
Le numéro deux du gouvernement s’est volontairement gardé de désigner le GSPC par son nouveau nom – Al-Qaïda au Maghreb (AQM) – , les dirigeants algériens n’ayant jamais accordé d’importance à l’annonce, en février 2007, de l’allégeance du GSPC à l’organisation d’Oussama Ben Laden. Au-delà de la sinistre bataille de chiffres autour du bilan des attaques du 11 décembre (34 morts selon les autorités, plus de 70 selon d’anonymes sources hospitalières, reprises par l’AFP, puis par la presse locale indépendante), l’onde de choc qu’elles ont provoquée, tant en Algérie qu’ailleurs, soulève une série de questions.

Qui sont les kamikazes ?
Douze heures après les attentats, un site islamiste divulgue la photo et l’identité de leurs auteurs. Bechla Rabah, 65 ans, bacchantes blanches et drues, était au volant de la camionnette bourrée de 800 kilogrammes d’explosifs qui a dévasté les locaux du HCR. Ancien militant du Front islamique du salut (FIS), dont il était un élu local en 1990, il était le père de deux combattants des Groupes islamiques armés (GIA) abattus durant les années 1980 par l’armée. Son acolyte était plus jeune. Charef Larbi, un Algérois de 30 ans, ancien des GIA, avait été arrêté en 1998, puis relâché en mars 2006 en vertu des dispositions de la charte pour la Paix et la Réconciliation nationale. Leurs noms de guerre respectifs : Omar Ibrahim Abou Othman et Abderrahmane Abou Abd el-Nasser el-Assmi.

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Le choix des cibles
Sans surprise, la revendication des attaques fait référence « aux instructions du cheikh Oussama Ben Laden ». En février 2005, ce dernier avait émis une fatwa « rendant licite le sang de ce traître de Kofi Annan [alors secrétaire général de l’ONU, NDLR] et de tous les fonctionnaires de cette structure ayant permis l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak ». Quant au Conseil constitutionnel et à la Cour suprême, ils incarnent, aux yeux des salafistes, le sommet de la pyramide d’un pouvoir et d’une justice au service du Taghout, le tyran, terme désignant le pouvoir dans la sémantique fondamentaliste.

Pourquoi AQM est-elle plus efficace en Algérie ?
L’insurrection armée islamiste dispose en Algérie d’une « expérience » de près d’un quart de siècle (les premiers maquis se sont constitués en 1983 sous la houlette de Mustapha Bouyali) et de réseaux dormants, par définition difficiles à identifier et à localiser. Ce qui n’est pas le cas au Maroc, en Tunisie ou en Libye, où la moindre cellule constituée est très vite neutralisée. Le changement de stratégie et le recours aux attaques-suicides compliquent la tâche des forces de sécurité. D’où l’inquiétant aveu de Zerhouni : « Aucun dispositif policier ne peut empêcher ce type d’attentat. » Inquiétant, car les forces de sécurité disposent d’une liste de plus de quatre-vingts noms de candidats kamikazes. Jusque-là, cette liste ne comprenait que des hommes (parfois très jeunes) et quelques femmes, identifiées et activement recherchées. Désormais, il faudra compter avec des candidats au martyre plus âgés.
L’Algérie, pour toutes les raisons invoquées plus haut, demeure plus exposée que ses voisins maghrébins. Mais ces derniers ne sont pas pour autant à l’abri. Selon des informations recoupées par les services de sécurité algériens, plusieurs candidats kamikazes originaires du Maroc, de Tunisie, de Mauritanie et de Libye ont récemment séjourné dans les camps d’entraînement d’AQM, en Kabylie ou à El-Oued, une oasis du Sud-Est, à 600 kilomètres d’Alger, principale région pourvoyeuse de djihadistes partis combattre en Irak.

Le timing
Le choix de la date des attaques semble confirmer la prédilection des kamikazes pour le onzième jour du mois : New York et Washington (11 septembre 2001), Djerba (11 avril 2002), Madrid (11 mars 2004), Alger (11 avril 2007) ou encore Lakhdaria (11 juillet 2007). Autant d’attaques revendiquées par Al-Qaïda. Mais le 11 décembre est aussi une date symbole pour la mémoire collective algérienne : le 11 décembre 1960, de gigantesques manifestations nationalistes étaient réprimées dans le sang par l’armée coloniale. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel se trouve sur l’avenue du 11-Décembre-1960.

Les conséquences politiques
Premier effet : le débat naissant sur la révision de la Constitution pour permettre au président Abdelaziz Bouteflika de briguer un troisième mandat, en avril 2009, est relégué au second plan. Autre conséquence : les détracteurs de Bouteflika auront beau jeu de dénoncer la politique de paix des braves lancée à son instigation, l’un des kamikazes ayant bénéficié de la Réconciliation nationale pour être élargi de la prison de Serkadji et rejoindre le maquis. L’absence de réaction présidentielle a fait le reste : Boutef ferait-il profil bas ? « Pas du tout ! s’insurge un de ses collaborateurs, le président n’a pas l’habitude de réagir aux attentats terroristes. » Et à Batna alors ? « C’était particulier, réplique notre interlocuteur, il était lui-même la cible de l’attaque, il fallait rassurer l’opinion et réitérer sa détermination à poursuivre sa politique. » La principale leçon que l’on peut tirer de ce funeste 11 décembre 2007 est que le GSPC ou AQM (Zerhouni a de bonnes raisons d’ignorer le changement de sigle), malgré les coups de boutoir de l’armée algérienne et les effets de la Réconciliation nationale (plus de 300 redditions enregistrées depuis mars 2006), a conservé de formidables capacités de nuisance. On aura beau fortifier les sites sensibles, sécuriser les chancelleries, protéger les campus et les universités, il restera toujours des cibles « parlantes ». Frapper les esprits avec de spectaculaires opérations-suicides est très simple quand on dispose de dizaines de candidats kamikazes, comme l’assure le communiqué de revendication : « Nos combattants se battent pour être en tête de liste ». L’Algérie n’en a pas encore fini avec les résidus de l’islamisme armé.

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