Hakim El Karoui

Normalien et banquier d’affaires, tour à tour provocateur et politiquement correct, il est tombé dans la marmite de la réussite quand il était petit. Et compte bien y rester.

Publié le 17 décembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Il a beau avoir 36 ans, dont un certain nombre passés sur les bancs d’écoles prestigieuses et dans les cabinets ministériels, il semble à peine sorti de l’adolescence. Mais ne vous fiez pas à son allure décontractée et presque nonchalante : Hakim El Karoui, qui exerce la respectable profession de banquier, est un homme très, très sérieux. Et qui sait ce qu’il veut. Les cernes qui ornent ses yeux ne trahissent pas un goût immodéré pour la fête, mais, tout au contraire, une passion pour le travail. Attablé dans une brasserie chic du 8e arrondissement de Paris, il ignore superbement le brouhaha ambiant et parle d’une voix posée, toujours à la recherche du mot juste. Limite maniaque, il tient à régler lui-même le micro du magnétoÂ
Directeur adjoint de la banque Rothschild, où il anime une équipe chargée des marchés émergents, Hakim El Karoui a trouvé le temps d’écrire un essai politique remarqué (L’Avenir d’une exception, Flammarion, 2006), qui, contrairement à ce que son titre pourrait suggérer, n’est pas une autobiographie. Il y critique vertement l’habituelle rengaine sur « l’adaptation nécessaire » au libre-échange mondialisé et plaide pour une « souveraineté européenne ». Dans le rapport sur la mondialisation que lui a commandé l’Élysée, Hubert Védrine, l’ancien ministre français des Affaires étrangères, ne dit, sur ce point, pas autre chose et cite d’ailleurs El Karoui. Ce qui n’est pas pour déplaire à l’intéressé.

La réussite dans les gênes
Né en août 1971 à Paris d’un père tunisien professeur d’anthropologie de l’islam à la Sorbonne et d’une mère française professeur de mathématiques financières à l’École polytechnique, il a de qui tenir. D’autant qu’il est aussi le neveu de l’ancien Premier ministre tunisien Hamed El Karoui, aujourd’hui vice-président du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti au pouvoir, et d’Ahmed Ben Salah, le très controversé ministre de l’Économie et des Finances de Habib Bourguiba.
Agrégé de géographie et titulaire d’un DEA de géopolitique sur la Palestine, c’est un ancien de l’École normale supérieure (Fontenay-Saint-Cloud). Mais n’allez surtout pas évoquer devant lui la théorie des « héritiers » et de la transmission dynastique de la culture chère au défunt sociologue Pierre Bourdieu. Même s’il compte parmi ses frères et sÂurs une normalienne, deux polytechniciens et un interne en médecine, il estime être devenu ce qu’il est grâce à ses seuls mérites. Les problèmes d’identité, les déchirements nés d’une appartenance communautaire et culturelle multiple, il ne sait tout simplement pas ce que c’est. Il y voit au contraire un atout, une source d’enrichissement. « J’ai toujours rêvé d’être un pont entre les deux rives de la Méditerranée », affirme-t-il.
En 1993, d’ailleurs, il retourne au pays de ses ancêtres et enseigne la géopolitique à l’université de Tunis. Un an plus tard, il accepte un poste d’enseignant coopérant au collège des jésuites du Caire, et où il apprend l’arabe. « En Égypte, j’ai été très impressionné par l’extraordinaire ébullition sociale de la capitale mais je déplore une forme de fatalisme millénariste. Du gouvernement aux Frères musulmans, tous les acteurs politiques n’avaient qu’un objectif : éviter la remise en question des dogmes sur lesquels ils prospéraient. »
À l’inverse, Hakim El Karoui n’a de cesse de bousculer les idées reçues, notamment sur l’un de ses sujets de prédilection : les jeunes issus de l’immigration. Il rejette le concept d’intégration, qui sous-entend que « nous ne sommes pas considérés comme Français », et lui préfère celui d’égalité des chances. De retour en France, il enseigne deux ans à l’université de Lyon II, où il prépare parallèlement une thèse sur la « politique des frontières de l’Union européenne ».

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Le métissage culturel : une force
Produit achevé d’une double culture française et tunisienne, protestante et musulmane, El Karoui a su mettre à profit son métissage. En 2004, il fonde avec Rachida Dati, alors conseillère de Nicolas Sarkozy, et Béchir Mana, conseiller de Jacques Chirac, le Club XXIe siècle, un club de réflexion qui regroupe des personnalités issues de la deuxième, voire de la troisième génération de l’immigration. Le Cercle compte aujourd’hui 280 membres, parmi lesquels des entrepreneurs, des banquiers, des hauts fonctionnaires Objectif : médiatiser un certain nombre de success stories afin de changer le regard des Français de souche sur les minorités dites « visibles ». Comme tout club qui se respecte, le « 21 », comme l’appellent entre eux les initiés, n’est pas ouvert à tous. « Le but n’est pas de rassembler tous les ambitieux de la place », prévient El Karoui, son président.
En politique, c’est Anne-Marie Raffarin, l’épouse de l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac, qui, la première, lui met le pied à l’étrier en lui présentant son mari. De 2002 à 2005, El Karoui est conseiller et « plume » du chef du gouvernement. Proche de la gauche par la famille de sa mère, il n’éprouve aucune gêne à travailler pour la droite. « J’avais le sentiment profond de l’échec politique et intellectuel de la gauche », dit-il. En 1995, il avait été très sensible aux arguments sur la « fracture sociale » développés par Chirac. En mai 2005, quand Raffarin rend son tablier à Matignon, il intègre le ministère des Finances, où, jusqu’en août 2006, il est conseiller technique de Thierry Breton, chargé des « études et prospectives ».

« Miser sur l’afrique »
Nomadisme politique ou liberté de pensée ? Peu importe. Ses opinions sur les affaires françaises ne sont pas figées. Pendant la campagne présidentielle de 2007, il soutient Ségolène Royal, la candidate socialiste. Un « acte courageux », selon ses proches. Et Nicolas Sarkozy ? Pour un jeune ambitieux, le nouveau président est évidemment le « cheval » sur lequel il paraît judicieux de miser. El Karoui n’est pas du nombre. « J’ai une opinion nuancée sur sa politique, explique-t-il. Je suis pour une immigration cochoisie, organisée et concertée entre le Nord et le Sud. » Et l’Afrique ? « Il faut miser sur ce continent et ­arrêter avec tous ces discours paternalistes aux relents nostalgiques. » Pour ce qui le concerne, nourrit-il des ambitions politiques ? C’est probable, mais il les cache bienÂ

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