Gbagbo-Sarko : rendez-vous salle 14

Le président français a profité de sa présence à Lisbonne pour rencontrer discrètement son homologue ivoirien. Un entretien sous le signe de la courtoisie.

Publié le 17 décembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Pavillon 1 de la Feira Internacional de Lisbonne, 8 décembre. Les allocutions s’enchaînent dans la salle plénière. Mais la plupart des 70 chefs d’État et de gouvernement s’éclipsent pour se rencontrer en privé, à l’abri des regards indiscrets.
À 17 h 05, au moment où le Soudanais Omar Hassan el-Béchir sort de la salle où il s’est entretenu pendant une heure avec le commissaire européen au développement et à l’aide humanitaire Louis Michel, le chef d’État ivoirien, Laurent Gbagbo, pousse la porte « 14 », où ses homologues Blaise Compaoré et Nicolas Sarkozy sont déjà installés. Une certaine agitation règne. L’événement est suffisamment important pour que la rencontre ait été préparée dans ses moindres détails. Voilà six mois que Gbagbo tente d’établir le contact avec Sarkozy.
Du côté français, si on a envoyé le ministre de la Défense Hervé Morin en mission à Abidjan les 5 et 6 décembre en signe de réchauffement diplomatique, on prône la prudence. À quelques jours du sommet de Lisbonne, la cellule Afrique de l’Élysée n’envisageait pas encore d’entrevue en tête-à-tête entre les deux chefs d’État. C’était compter sans l’insistance de certains intermédiaires, à l’instar de l’avocat Robert Bourgi, récemment décoré de la Légion d’honneur par Sarkozy. Présent à Lisbonne dans la délégation ivoirienne, Me Bourgi obtient d’abord une rencontre entre les trois parties prenantes, ivoirienne, burkinabè et française. Pendant vingt minutes, c’est en présence du médiateur burkinabè Blaise Compaoré que l’agenda de la réconciliation franco-ivoirienne est planifié. Sarkozy rappelle que Gbagbo doit respecter le chronogramme établi à la fin novembre qui prévoit des élections crédibles d’ici à la fin juin 2008. À 17 h 25, la délégation burkinabè quitte la pièce. Sarkozy et Gbagbo restent seuls avec leurs collaborateurs. Côté français, outre les ministres Bernard Kouchner et Jean-Marie Bockel, les conseillers diplomatiques Jean-David Levitte et Bruno Joubert sont présents. Côté ivoirien, la directrice de cabinet adjointe Sarata Ottro Zirignon, les ambassadeurs Alcide Djédjé et Hyacinthe Kouassi assistent à la rencontre, ainsi que de Robert Bourgi. C’est ce dernier qui, déjà en septembre à New York, lors de l’Assemblée générale des Nations unies, avait organisé une courte entrevue entre les deux chefs d’État, qui se connaissent à peine.
Pour la première fois, ils s’assoient ensemble quelques minutes pour reprendre le dialogue entre la Côte d’Ivoire et la France, passablement perturbé depuis l’éclatement de la crise en septembre 2002, et quasiment interrompu après les événements de novembre 2004. Sur ces échanges – cordiaux, rapporte-t-on de part et d’autre – a plané surtout l’ombre d’un fantôme. Le nom de l’ancien président français Jacques Chirac n’a jamais été prononcé, mais l’ennemi intime des deux hommes a fait l’objet de toutes les allusions.
Passé les politesses d’usage, Sarkozy prend la parole et exprime le désir de tourner la page des relations difficiles entre leurs deux pays, se félicitant de ne pas connaître son interlocuteur et de n’avoir aucun contentieux avec lui. Il se sent prêt à partir sur de nouvelles bases avec un « homme politique » qui, comme lui, est un combattant. Avec une pointe d’ironie, le chef de l’État français ajoute : « Ceux qui pensaient connaître l’Afrique lui ont causé de grands torts. » Sarkozy poursuit : « Je sais que vous n’êtes pas à l’origine du concept d’ivoirité » et lui souhaite même d’être réélu. Vient alors la question de la présence militaire en Côte d’Ivoire, qui coûte pas moins de 200 millions d’euros par an à l’Hexagone. « Que pensez-vous de la Force Licorne ? », demande-t-il à Gbagbo.
Après avoir remercié son homologue de ne pas le mêler au concept d’ivoirité, le président ivoirien lui demande de lui faire confiance pour organiser des élections « propres ». « Je suis un enfant des élections. Je ne suis pas un héritier, je ne peux me maintenir que par la voix des urnes. » Quant aux soldats français, Gbagbo estime que la question de leur présence sur le sol ivoirien n’est plus au cur des débats et que même au plus fort de la crise, il n’a jamais demandé leur départ.
Il est 17 h 30. La délégation ivoirienne prend congé. L’entretien en tête à tête aura duré cinq minutes, à peine. Les Ivoiriens jubilent. Les intermédiaires, Robert Bourgi, ainsi qu’un Algérien proche de la présidence ivoirienne, Zacaria Fellah, sont ravis. Bruno Joubert et les membres de la cellule Afrique de l’Élysée sont plus soucieux. Ils connaissent Gbagbo, et auraient peut-être souhaité davantage de prudence
Le lendemain matin, le chef de l’État ivoirien rencontre celui qui, depuis sa médiation en Côte d’Ivoire, est devenu son ami, le Sud-Africain Thabo Mbeki. Il lui raconte l’entretien. Mbeki demande alors : « Sarkozy veut venir me voir en Afrique du Sud. Qu’en penses-tu ? » « Pour moi, il n’y a plus de problème », lui répond Gbagbo dans un sourire.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires