Et pourtant, il tourne…

La multiplication des foyers de tension trouble la vie politique. Depuis un an et demi, le pays vit une situation d’exception. Le président Idriss Déby Itno compte sur ses alliés pour l’aider à calmer le jeu.

Publié le 17 décembre 2007 Lecture : 4 minutes.

Si le Tchad n’était pas un pays en état de guerre permanent, les électeurs se seraient rendus aux urnes, en avril 2007, pour désigner de nouveaux députés. Il n’en a rien été. Pour la deuxième fois, le mandat des parlementaires a été prolongé. Depuis l’indépendance, en 1960, le calendrier électoral est sans cesse perturbé par les violences qui rythment la vie politique du pays.
De novembre 2006 à mai 2007, l’ensemble du territoire était placé sous état d’urgence. Après six mois d’accalmie, des affrontements intercommunautaires survenus dans les régions du Borkou-Ennedi-Tibesti, du Ouaddaï et du Wadi Fira ont conduit les autorités de N’Djamena, le 16 octobre, à appliquer de nouvelles mesures exceptionnelles dans la partie septentrionale du pays, rendant impossible toute consultation électorale. Résultat, faute d’avoir été renouvelé, le Parlement voit sa légitimité affaiblie et ne peut assurer convenablement ses missions. « Je n’ai pas mis les pieds dans l’Hémicycle depuis des mois », soupire le député de l’opposition non armée Ngarlejy Yorongar. De fait, pour bon nombre d’observateurs, le blocage des institutions décrédibilise les opposants pacifiques et renforce les mouvements politico-militaires, pour qui la lutte armée reste le moyen d’expression politique le plus efficace.
La guerre divise les clans. Une partie de la famille des Bideyat se bat au sein du Rassemblement des forces pour le changement (RFC) de Timane Erdimi. Pour ce neveu du chef de l’État, entré en rébellion, la conquête du pouvoir ne passe pas par les urnes. Elle se gagne grâce à l’endurance des combattants et à la puissance de feu des pick-up équipés de mitrailleuses qui ont percé les lignes de l’armée régulière lors des multiples attaques de la capitale, suivant le modèle inauguré par l’intrépide Goukouni Weddeye.
Jadis, ce pionnier de la rébellion s’empara du pouvoir en gagnant deux « batailles de N’Djamena » avant d’en être chassé en 1982 par le dictateur Hissein Habré, qui sera à son tour renversé par Idriss Déby Itno en 1990. Le scénario a failli se répéter en avril 2006, lorsque Mahamat Nour Abdelkerim et ses hommes sont parvenus à atteindre les faubourgs de N’Djamena avant d’être stoppés par les soldats du dispositif français Épervier. En clair, ici la légitimation de la fonction présidentielle, confortée par les alliances tribalo-religieuses et le soutien des acteurs étrangers, dont la France, la Libye et le Soudan, repose davantage sur le rapport des forces que sur le suffrage universel.

Nouvelle offensive
Face à la prolifération des mouvements rebelles, le président Déby Itno multiplie les gestes de bonne volonté, accepte de négocier et signe une multitude d’accords avec les différents chefs de guerre : cessez-le-feu immédiat, amnistie des combattants, intégration des insurgés au sein de l’armée régulière, partage du pouvoir avec les ex-?rebelles Mais la méthode a ses limites. Bien souvent, le déficit de confiance entre les protagonistes a raison des engagements pris.
En témoigne la difficile cohabitation entre Déby Itno et l’ancien Djandjawid Mahamat Nour Abdelkerim, contraint de dissoudre, à la fin de 2006, son Front uni pour le changement (FUC) avant d’occuper le poste de ministre de la Défense au sein du gouvernement de Delwa Kassiré Coumacoye. Seulement voilà, près d’un millier de miliciens tamas du FUC ont refusé de rejoindre les rangs de l’armée nationale tchadienne (ANT) conformément à l’accord signé à Tripoli. Dans l’incapacité de tenir ses hommes, toujours prompts à se battre contre les soldats zaghawas de l’ANT, Mahamat Nour Abdelkerim est limogé, le 1er décembre. L’accord a vécu. Quant à celui qui liait Idriss Déby Itno à Mahamat Nouri, de l’Union des forces démocratiques et du développement (UFDD), il n’aura pas survécu aux combats meurtriers opposant l’armée gouvernementale aux troupes de Nouri, le 24 novembre à Abou Goulem, non loin de la frontière avec le Soudan. Las, la politique de la main tendue connaît bien d’autres revers.

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Pas de rupture
Les exactions des miliciens intégrés dans l’armée régulière ont accru l’insécurité dans les villes, où les viols et les vols avec violence ont explosé. De quoi inquiéter les autorités. Aussi le ministre de la Justice Albert Payimi Padaké a-t-il décidé la construction de deux nouvelles maisons d’arrêt qui viendront s’ajouter à celle de Koro-Toro, tout juste achevée. Il est également prévu de former à moyen terme de nouveaux magistrats (le pays n’en compte que 300 pour une population de 8 millions d’habitants).
De son côté, la société civile ne cesse de dénoncer ces petits accords signés séparément avec chaque mouvement rebelle en lieu et place d’une « démarche globale et harmonisée ». L’avocate Delphine Djiraïbe Kemneloum, coordinatrice du Comité de suivi de l’appel à la paix et à la réconciliation (CSAPR), propose la tenue d’une rencontre « d’harmonisation des accords et initiatives de paix », qui réunirait à N’Djamena le gouvernement, l’opposition non armée, les rebelles, les leaders religieux ainsi que les partenaires régionaux et internationaux. Objectif : débattre des questions qui divisent, telles la gouvernance, la gestion des revenus du pétrole, la sécurité et les réformes nécessaires à la relance de l’économie. Mais, pour l’heure, la proposition n’a eu aucun écho auprès des autorités. Sur le front, l’attitude de N’Djamena s’est quelque peu durcie depuis la mi-novembre. Longtemps inquiètes du revirement de la politique extérieure française – la fameuse « rupture » promise par le nouveau locataire de l’Élysée -, les autorités tchadiennes sont aujourd’hui assurées du soutien de Paris et du millier de soldats français stationnés à N’Djamena. Les rebelles le savent, qui se sont déclarés en « état de belligérance » avec l’armée française et la force européenne Eufor, dont le déploiement dans l’est du pays a été retardé. Grâce aux revenus pétroliers, l’armée tchadienne bénéficie désormais de moyens plus sophistiqués. Après l’échec des négociations de paix, il est probable que le Palais rose privilégie l’option militaire. Mais si le régime ne parvient pas à résoudre les causes profondes de la crise, il s’en trouvera toujours un pour rallumer un foyer de tension.

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