« Al-Qaïda au Maghreb est une spécificité algérienne »

Pour l’ancien patron de la lutte antiterroriste en France, l’islamisme armé algérien est résiduel, mais il a changé de nature et de mode opératoire.

Publié le 17 décembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Louis Caprioli est assurément un expert en matière de terrorisme islamiste. Ancien patron de la lutte contre le terrorisme international au sein de la DST (française), il a pris sa retraite en 2004, mais n’a pas perdu la main. Il continue en effet d’avoir les mêmes préoccupations comme conseiller spécial du président du groupe Geos, leader européen de la prévention et de la gestion des risques. Entretien.

Jeune Afrique : Comment avez-vous réagi aux attentats du 11 décembre à Alger ?
Louis Caprioli : J’ai aussitôt pensé que c’était signé Al-Qaïda au Maghreb (AQM) et je me suis interrogé sur les lieux et la date. Le 11 décembre renvoie certes au 11 septembre 2001, mais aussi aux manifestations du 11 décembre 1960 en Algérie en faveur de l’indépendance. À ce sujet, on sait qu’AQM accuse le régime algérien d’avoir trahi les idéaux de la Révolution. S’agissant des lieux, à travers le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), c’est l’ONU qui est visée, laquelle est accusée en permanence par Ben Laden d’être un instrument au service des « juifs et des croisés ». En frappant l’ONU, AQM s’inscrit dans la stratégie d’Al-Qaïda. On pense à l’attentat du 19 août 2003 contre le quartier général de l’ONU à Bagdad, où Sergio Vieira de Mello, l’envoyé spécial de Kofi Annan, avait trouvé la mort. Quant à la Cour suprême, c’est un défi lancé à l’État. Le message est clair : AQM veut montrer qu’en dépit des nombreux succès du pouvoir, elle conserve des capacités opérationnelles intactes.

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Qu’en est-il des relations avec Al-Qaïda : est-ce un symbole idéologique ou une réalité opérationnelle ?
Al-Qaïda au Maghreb est une « création idéologique et médiatique de survie » d’Abdelmalek Droukdel, l’émir du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui a voulu conférer à son organisation une nouvelle dimension internationale pour l’inscrire dans la démarche djihadiste d’Al-Qaïda. C’est une spécificité algérienne. À preuve, à ce jour aucune organisation terroriste du Maghreb n’a fait allégeance à AQM.
Concrètement, qu’apporte Al-Qaïda aux terroristes algériens sur place ?
Sur le plan opérationnel, AQM se débrouille par ses propres moyens. Mais l’organisation a quand même intégré les modes opératoires d’Al-Qaïda en Irak, en Afghanistan et ailleurs en ayant recours aux kamikazes (attentats-suicides individuels avec ceintures explosives et voitures piégées), aux roadside bombs et, pour se financer, aux enlèvements.

Comment se fait le recrutement des kamikazes ?
La conversion au martyre passe par l’endoctrinement religieux et par des séances vidéo montrant les exploits des combattants en Irak, en Afghanistan, etc., et les atrocités commises contre les musulmans par les « croisés ». La scène irakienne a un attrait formidable pour les futurs « martyrs ». Pour les organisations terroristes, en particulier en Algérie, la guerre d’Irak représente une aubaine qui leur permet de s’ouvrir sur le vaste monde arabo-musulman et de réintégrer la famille djihadiste. Le GSPC a pu accueillir des jeunes venant du Maroc, de Tunisie et de Libye, voire du Sahel, qui ont séjourné dans les maquis avant de partir pour l’Irak, mais d’autres ont été orientés pour perpétrer des opérations dans leur pays d’origine.

Les motivations ne sont-elles pas différentes entre mourir en Irak et mourir sur place en Algérie ?
En Irak, on va libérer la terre d’Islam occupée par les croisés, en Algérie on punit le pouvoir « des tyrans et des mécréants ». À certains candidats au djihad, on a fait miroiter le combat en Irak, et ils se sont retrouvés embarqués pour mourir en Algérie.

Quel est votre diagnostic sur la situation en Algérie : s’agit-il d’un terrorisme résiduel ou d’une renaissance de la guérilla islamiste ?
Il est résiduel, même s’il dure. Certains pays occidentaux pensaient dans les années 1992-1996 que l’Algérie allait devenir un État islamiste et s’en accommodaient. Je tiens à préciser que ce ne fut jamais le cas de la France. La situation a totalement changé en quinze ans. On est passé de maquis s’étendant sur l’ensemble du pays, avec des ramifications en Europe, à des maquis réduits et circonscrits à certaines zones. S’agissant des attentats en milieu urbain, comme ceux du 11 avril 2007 à Alger, tous ont été préparés en dehors de la capitale. Les réseaux ont toujours eu du mal à s’implanter en ville à cause du quadrillage de la police. Le constat est donc : diminution et nouvelle forme d’attentats, lesquels se préparent depuis les maquis pour être commis en ville. L’arrestation à proximité d’Alger, le 21 novembre, de l’émir Bouderbala, qui avait du matériel (des centaines de kilos d’explosif, des détonateurs, des bombes prêtes à l’emploi, des cartables piégés, un lance-roquettes) a permis d’éviter alors une campagne d’attentats dans la capitale.

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De combien d’hommes disposent les maquis ?
Environ 700 ou 800. En tout cas, plusieurs centaines sont encore dans les maquis.

Et les armes ?
On constate de ce côté un appauvrissement et des difficultés d’approvisionnement. Les maquisards ont encore des kalachnikovs et des mines qui datent de la guerre d’Algérie. Mais pas plus. Ils n’ont pas, par exemple, des stocks importants de RPG7 (grenade propulsée par roquette) et ne disposent pas de Sam 7 pour abattre les hélicoptères de combat qui les traquent en permanence. En revanche, l’armée algérienne est équipée, depuis ces dernières années, de matériel performant.

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Pourquoi n’arrive-t-elle pas à en finir ?
D’abord, le relief est très difficile, accidenté. Ensuite, contrairement à la période passée, les militaires n’ont plus en face d’eux des groupes compacts de plusieurs dizaines, voire de cent à deux cents hommes, mais des groupes atomisés, donc plus difficiles à éradiquer. Ils sont obligés de mettre le paquet avec de l’artillerie, des moyens aériens pour parfois neutraliser une dizaine de terroristes. C’est un travail permanent de quadrillage et de « nettoyage » dans un milieu naturel hostile semé de mines.

Pensez-vous qu’en s’appuyant sur l’islamisme modéré le gouvernement algérien est mieux armé pour combattre le terrorisme ?
Oui, mais ce que l’on constate, c’est que l’islam fondamentaliste s’impose de plus en plus dans les pays musulmans. Mais islam fondamentaliste ne signifie pas terrorisme. Toute la question est de savoir si en intégrant les anciens maquisards, en faisant une place à « l’islamisme modéré », on réduit le terrorisme ou, au contraire, on l’encourage dans le long terme. Même si on a du mal à trancher actuellement, l’expérience doit être tentée et poursuivie en restant vigilant.

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