Vrai-faux départ ?

Fonctionnaires onusiens, services occidentaux et populations locales l’attestent : les Rwandais sont encore militairement présents chez leur voisin, deux mois après l’annonce de leur retrait.

Publié le 14 novembre 2003 Lecture : 5 minutes.

Y a-t-il encore des troupes rwandaises dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) ? Officiellement, non ! Les derniers éléments du corps expéditionnaire rwandais (30 000 hommes) ont plié bagage le 5 octobre dernier, sous le regard sceptique des observateurs de la Mission de l’Organisation des Nations unies au Congo (MONUC). L’annonce de ce retrait a été faite, de manière quelque peu tonitruante, par le président Paul Kagamé lui-même, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, à la mi-septembre à New York. Dans la foulée, son homologue congolais Joseph Kabila a aussitôt offert des garanties supplémentaires pour un contrôle plus rigoureux du trafic autour de certains aéroports de son pays, histoire d’éviter, à l’avenir, que ceux-ci ne soient utilisés pour l’approvisionnement, notamment en armes, des soldats et autres miliciens rebelles rwandais, qui se servent depuis plusieurs années des provinces orientales du Congo comme de sanctuaires. Le régime de Kigali, faut-il le rappeler, s’est toujours servi de la présence de ces ex-FAR (Forces armées rwandaises) et autres miliciens interahamwes, soupçonnés d’être impliqués dans le génocide de 1994, pour justifier ses aventures militaires au Congo.
Alors, vrai-faux départ ? « Nous avons des informations et des indices qui semblent attester de la persistance de la présence rwandaise dans l’est de la RDC, nous confiait avec mille précautions oratoires, début novembre, le général Mountaga Diallo, commandant en chef de la MONUC. Les populations locales nous disent que les Rwandais sont de retour. Nous avons dépêché sur place des patrouilles qui se sont souvent heurtées à des manoeuvres d’obstruction. » « Il existe une forte présomption de la présence rwandaise dans certaines agglomérations du Nord- et du Sud-Kivu », ajoute un diplomate africain en poste à Kinshasa. Les affirmations des uns et des autres sont étayées par une série de témoignages obtenus auprès de certains habitants de ces provinces orientales, notamment auprès de Congolais rwandophones, qui savent mieux que quiconque identifier ces « frères » venus de Gisenyi et de Cyangugu, les deux grandes villes rwandaises situées en face de Goma et de Bukavu. Elles s’appuient également sur des constatations faites récemment sur place par des observateurs onusiens et sur des informations émanant de plusieurs services de renseignements occidentaux.
Le 3 octobre, une patrouille de la MONUC est ainsi informée que des soldats, « rwandais pour la plupart », pillaient le village de Buvunga, près de Katale (voir carte). Les Casques bleus se rendent aussitôt sur les lieux, pour se retrouver nez à nez avec un officier et des soldats armés « évasifs et arrogants », dont certains ne parlent aucun mot de français. Entre le 18 et le 20 octobre, les observateurs onusiens se voient systématiquement refuser l’accès des camps de Katale et de Tongo, aux mains de l’Armée nationale congolaise (ANC), une milice proche du RCD-Goma (un mouvement prorwandais siégeant, depuis peu, au gouvernement de transition, à Kinshasa). Que cherchait-on au juste à cacher aux Casques bleus ? La présence de soldats rwandais, reconnaissables, entre autres, grâce à leur uniforme, à leurs armes et appareils de transmission, différents de ceux qu’on trouve généralement au Congo, et qui, surtout, ne s’expriment généralement qu’en anglais ?
Fin octobre, à Kanya-Bayunga, une localité du Nord-Kivu, toujours dans l’est de la RDC, plusieurs témoins affirment avoir été contrôlés à un check-point par une trentaine d’officiers et de soldats rwandais en treillis vert olive, fusils-mitrailleurs au poing, et ne cherchant même pas à dissimuler le sigle « APR » (Armée patriotique rwandaise, nouvelle appellation des Forces armées rwandaises) inscrit au-dessus de la poche de leur tenue. « Ils étaient très disciplinés et avaient des Toyota plateau ou à double cabine pour leurs déplacements, rapportent ces témoins. Ils repartaient dormir au Rwanda et revenaient le lendemain. On a même aperçu des soldats sud-africains et uruguayens de la MONUC faire la conversation avec eux, comme si de rien n’était… »
De fait, pour faire dans la discrétion, les soldats rwandais sont éparpillés, indique une note confidentielle de l’ONU, au sein de plusieurs compagnies du 54e bataillon de l’ANC, considéré comme le bras armé du RCD-Goma et, au-delà, comme des supplétifs du régime de Kigali. Leur présence est aujourd’hui avérée dans des localités comme Rumangabo, Bukima, Nkonkwe. Ils sont également « prépositionnés » dans un camp retranché, érigé sur la crête d’une colline, à Stshanza. Sur la quarantaine d’officiers et de soldats présents, un seul parle le français, langue officielle (et de travail) en RDC. Plusieurs dizaines de tentes, visiblement destinées à de nouveaux locataires, sont dressées dans la caserne.
Le 24 octobre dernier, une patrouille de la MONUC, pourtant escortée par un officier de l’ANC, n’a pu accéder au quartier général du 54e bataillon, à Katale, ni au camp d’entraînement de Rumangabo. « Circulez, il n’y a rien à voir ! » leur a vertement signifié l’adjoint du commandant en chef de Katale. Quelques instants plus tard, les Casques bleus ont aperçu, aux alentours du marché de Rumangabo, plusieurs soldats portant des uniformes vert olive, qui ont aussi pris la tangente en les apercevant.
Toujours selon la note des Nations unies, des militaires rwandais sont également stationnés sur les hauteurs de Runyoni, dans une caserne qui accueille une centaine de militaires portant des uniformes flambant neufs, avec un matériel de communication qui ressemble étonnamment à celui qu’utilisent les membres de l’APR. Ils évitent, bien entendu, tout contact avec les observateurs de l’ONU, qui ont tout de même eu le temps de constater la présence d’une trentaine de tentes et de cinq nouveaux bâtiments en dur.
Deux mois après l’annonce de leur retrait, les soldats rwandais sont donc toujours en RDC, même s’ils font désormais, sans doute à cause du processus de réconciliation en cours dans ce pays, dans la discrétion. Tactiquement, le régime de Kigali joue plutôt bien. En « glissant » plusieurs centaines d’éléments de l’APR dans le 54e bataillon de l’ANC, il continue, sans s’attirer la réprobation internationale, de peser sur le devenir d’une région riche en minerai et, en même temps, de protéger ses frontières contre les incursions des ex-FAR et des Interahamwes, qui n’ont visiblement pas abandonné tout projet de renverser par les armes Paul Kagamé. Qu’en sera-t-il lorsque viendra l’heure de l’incorporation (prévue) des éléments de l’ANC aux Forces armées de la RDC ?

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