« Rendez-vous dans dix ans… »

Publié le 17 novembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Dans une précédente chronique, je vous ai donné à lire le témoignage de l’interprète de Saddam Hussein, Saman Abdul Majid, selon lequel le dictateur irakien avait, en 1993, inconsidérément rejeté une offre du président américain de l’époque, Bill Clinton, de réintégrer l’Irak dans la communauté des nations.
En voici un autre, celui d’Evgueni Primakov, l’ancien Premier ministre de Russie(*). Lui a été dépêché à Bagdad, auprès de Saddam, un mois avant que les troupes anglo-saxonnes envahissent l’Irak.
Primakov ne fait que confirmer ce que nous savions. Mais son témoignage est de première main :
« Quand il devint clair que les nuées s’amoncelaient dans le ciel irakien, le président Poutine me convoqua dans la nuit du 21 au 22 février. Il me chargea de me rendre à Bagdad pour transmettre de vive voix un message à Saddam Hussein. Le lendemain, de bon matin, un avion m’attendait.
À Bagdad, je demandai une entrevue personnelle à Saddam Hussein. On me proposa de m’entretenir d’abord avec Tarek Aziz, mais je campai sur mes positions. Saddam me reçut dans un de ses palais. Il arriva en compagnie de T. Aziz et du président du Parlement irakien. Je dis à S. Hussein que je souhaitais le voir seul à seul.
Sur son injonction, on nous laissa. Je lui transmis le message du président Poutine qui s’adressait à lui en ces termes :
– Si vous aimez votre pays et votre peuple, si vous voulez leur épargner une guerre – qui, hélas ! se rapproche – et des victimes, renoncez à vos fonctions présidentielles et proposez au Parlement d’organiser des élections démocratiques.
J’insistai sur le fait que, s’il décidait de partir, il devrait présenter cette décision comme une initiative personnelle : la Russie, en l’occurrence, ne poursuivait pas d’intérêts particuliers, elle lui proposait simplement une issue à une situation des plus grave, pour le bien de l’Irak et de son peuple.

Saddam Hussein me demanda si je pouvais répéter tout cela en présence de T. Aziz et du président du Parlement. En retransmettant le message du président Poutine, je remarquai que S. Hussein notait mes paroles dans un carnet et je pensai, je l’avoue, qu’il réagirait peut-être positivement. J’étais loin du compte ! Saddam Hussein prononça quelques phrases qui n’engageaient à rien, puis il me tapota l’épaule et s’en fut, accompagné des exclamations serviles de T. Aziz. Le président du Parlement, lui, ne souffla mot.
– Donnons-nous rendez-vous dans dix ans, on verra qui, de vous ou de notre président, avait raison.
Telles furent, lancées dans mon dos, les dernières paroles de T. Aziz. »

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Nul besoin d’attendre dix ans : dix semaines seulement après cette scène, n’ayant ni voulu ni su épargner la guerre à leur peuple, Tarek Aziz et son président ont perdu un pouvoir qu’ils détenaient depuis plus de trente ans.
Le premier est prisonnier des Américains ; on dit qu’il les informe, et même les conseille. Quant au second, nul ne sait ce qu’il est devenu, ni comment il finira.

Sur le reste, Evgueni Primakov est catégorique : l’Irak ne possédait pas d’armes de destruction massive, et cela, ni Londres ni Washington ne pouvaient l’ignorer.
Il discerne et énumère les trois raisons que les Américains avaient d’envahir et d’occuper l’Irak :
– « L’occupation de l’Irak a été imaginée dans le dessein de démontrer que les États-Unis sont à l’heure actuelle le seul pays capable d’agir à sa guise, au mépris de la volonté de l’ONU. »
– « En prenant pied dans un pays qui joue un rôle important dans le commerce du pétrole, les États-Unis se donnent – enfin – la possibilité d’influencer les quantités exportées et les cours mondiaux. »
– « En dernier lieu, l’occupation de l’Irak et la disparition du régime Saddam permettent aux Américains de créer au Moyen-Orient un nouveau climat, qui rend plus facile et plus assurée pour Israël la poursuite de sa politique de domination de la région. »

* Publié dans son livre Le Monde après le 11 septembre et la guerre en Irak qui vient de paraître à Paris aux Presses de la Renaissance.

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