Plus dure sera la chute

La justice française a rendu son jugement : trente condamnations,19 millions d’euros d’amendes et 180 millions d’euros de dommages et intérêts.

Publié le 17 novembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Le 12 novembre, à 15 h 30, les portes de la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris se referment. Ambiance « fin de partie » au Palais de justice. Le « procès Elf », qui a duré trois mois et demi, et dont l’information a demandé huit ans de travail à quatre juges d’instruction, se termine comme il avait commencé : de manière exemplaire.
Quatre hommes : Loïk Le Floch-Prigent, Alfred Sirven, André Tarallo et Alain Guillon, anciens dirigeants du groupe pétrolier, se sont vu imposer un mandat de dépôt et ont été arrêtés à l’audience. Escortés chacun par deux gendarmes, ils ont dû emprunter la sortie dérobée réservée aux détenus. Un choc, surtout pour André Tarallo, 76 ans, ancien directeur Afrique du groupe Elf, qui n’avait pas encore passé une seule journée sous les verrous, à la différence de « Le Floch » et Sirven, qui purgent encore les peines infligées dans un autre volet de l’affaire.
Après quatre mois de délibérés, Michel Desplan, le président du tribunal, a conclu, en moins de deux heures, le plus gros scandale financier qu’ait connu la Ve République et qui, de Libreville à Luanda, en passant par Genève et les paradis fiscaux, a ébranlé la « planète pétrole » française. Au total : 7 relaxes et 30 condamnations, dont 14 peines de prison ferme, et près de 19 millions d’euros d’amende, sans compter les quelque 180 millions d’euros que les condamnés devront payer en dommages et intérêts aux parties civiles, notamment à Elf (aujourd’hui Total).
Un verdict sévère pour tous ceux qui ont fait partie de la « galaxie » Elf et qui ont trempé dans le détournement de 300 millions d’euros, sous la présidence de Loïk Le Floch-Prigent. Car c’est bien lui, le PDG de la société nationale de 1989 à 1993, qui a été jugé « premier responsable dans cette affaire ». Sa défense n’a pas bougé d’un iota : il connaissait les principes des financements occultes, mais pas la « cuisine », et ignorait les malversations commises par ses subordonnés. Mais le tribunal a estimé qu’il avait été l’instigateur du dévoiement du système à des fins d’enrichissement personnel. En conséquence, il écope de la peine maximale : cinq ans de prison ferme et 380 000 euros d’amende.
Mais Michel Desplan a aussi adhéré au réquisitoire du parquet. Les substituts du procureur s’étaient attachés à montrer que le « trio n’avait pas fonctionné de manière pyramidale. Il s’agissait plutôt de trois cercles ». Le tribunal a donc jugé que les responsabilités de Le Floch-Prigent, Sirven et Tarallo dans ces abus de biens sociaux aggravés étaient comparables. Alfred Sirven, ex-directeur des affaires générales, qui possédait les comptes en Suisse, a donc été condamné à cinq ans de prison ferme et à 1 million d’euros d’amende. Le parquet avait requis huit ans de prison, mais le tribunal, qui n’a pas voulu le condamner plus durement que son « chef », sans qui rien de tout cela ne serait arrivé, a retenu les « aveux partiels » de l’ancien fugitif.
Si le jugement le plus spectaculaire concerne André Tarallo, qui n’a jamais avoué le moindre dérapage, l’ancien « monsieur Afrique » a quand même bénéficié de circonstances atténuantes. « Pour l’essentiel, le tribunal vous juge coupable des faits qui vous sont reprochés », a asséné Michel Desplan devant un auditoire silencieux et en face des trois hommes, appelés ensemble à la barre – et en dernier, comme pour bien souligner la malignité du « trio ». « Comme Sirven, vous avez ouvert des comptes bancaires occultes alimentés par l’argent d’Elf, et cela vous l’avez fait au détriment de la société qui vous employait depuis vingt-cinq ans. Toutefois, c’est seulement à la fin de votre carrière que vous vous êtes fourvoyé. » Pour cela, André Tarallo n’est condamné qu’à quatre ans de prison, mais devra payer 2 millions d’euros d’amende.
Les autres peines sont à la mesure des délits : trois ans ferme pour Alain Guillon, ancien directeur du raffinage, trois ans avec sursis et 1 million d’euros d’amende pour André Guelfi (dit « Dédé la Sardine », l’intermédiaire), trois ans de prison dont deux avec sursis pour Fatima Belaïd, l’ex-épouse de Le Floch, qui a fait payer son divorce par Elf, ainsi que pour Maurice Bidermann, l’ami de Le Floch, par qui le scandale est arrivé. Roger Aïello, bras droit d’André Tarallo, ira lui aussi en prison : trois ans dont deux avec sursis et 150 000 euros d’amende. Quant à Daniel Léandri, un autre « Africain », proche de Charles Pasqua et intermédiaire dans plusieurs contrats passés par Elf sur le continent, il écope de dix mois ferme et de 200 000 euros d’amende.
Les condamnés ont dix jours pour faire appel. Le Floch-Prigent et Sirven ont déclaré accepter le jugement, pour en finir le plus vite possible. Avec les remises et les cumuls de peine (le premier a déjà passé seize mois en prison, et le second, deux ans et neuf mois), ils devraient être libérés d’ici à un ou deux ans. En revanche, André Tarallo a fait appel. Le parquet a répondu immédiatement en formulant un appel incident. En clair, Tarallo pourrait être condamné encore plus lourdement lors du procès en appel, qui se tiendra d’ici à un an.

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