Paul Bremer

Du succès ou de l’échec du proconsul à Bagdad dépend, en partie, la réélection du président américain, dans un an. Lourde responsabilité pour un simple haut fonctionnaire spécialiste de la lutte antiterroriste !

Publié le 14 novembre 2003 Lecture : 14 minutes.

Lewis Paul Bremer est dans un sacré guêpier. Depuis son arrivée à Bagdad, le 11 mai, le chef de l’administration civile américaine accumule les déboires. Il fait ce qu’il peut, déploie beaucoup d’efforts et d’indéniables compétences, en pure perte : tout, ou presque, se retourne contre lui. Il a quelques excuses. Même s’il est officiellement doté de pouvoirs proconsulaires, les vraies clés de la situation lui échappent.
Sa nomination en lieu et place de Jay Garner, obscur général cruellement arraché à une retraite mille fois méritée, avait pourtant suscité beaucoup d’espoirs. Spécialiste reconnu de la lutte antiterroriste, « Jerry », comme le surnomment ses amis, est depuis trente ans un proche de Henry Kissinger, avec qui il travailla à deux reprises, d’abord au département d’État (1972-1976), puis en tant que directeur général de Kissinger Associates, le cabinet de consulting créé par l’ancien chef de la diplomatie américaine (1989-2001). Courtois et élégant, c’est un adepte de la Realpolitik, un pragmatique que les visions planétaires des idéologues néoconservateurs laissent de marbre. Le « remodelage » du Moyen-Orient ? Oui, oui, bien sûr, demandez à Wolfowitz… Dans l’immédiat, l’essentiel est de faire tourner la boutique. Ou plutôt le souk. Et ce n’est pas une sinécure. Comment remettre enfin en service les installations électriques que des islamo-baasistes – ces obscurantistes – s’obstinent à saboter ? Comment relancer la production pétrolière, indispensable au financement de la reconstruction, quand les pipelines ne cessent de s’embraser dans le désert ? Comment assurer les services publics de base quand le premier fonctionnaire venu passe, aux yeux d’une majorité de ses compatriotes, pour un affreux collabo ? Comment, surtout, rétablir la sécurité et juguler le terrorisme quand, sur le marché aux armes de Fallouja, le prix d’un lance-roquettes ne dépasse pas 17 dollars ? Quand, au mépris des frontières, les djihadistes affluent de tout le Moyen-Orient ? Quand les miasmes des haines ethniques et religieuses se trouvent brusquement libérés par la fonte du glacier de la dictature baasiste ? Quand n’existe plus d’autre loi que celle du plus fort ? Cela fait quand même beaucoup de questions. Sans réponse. Confrontées aux impitoyables réalités du terrain, les rêveries démocratiques des croisés de l’« unilatéralisme » s’évanouissent tel un mirage.
Trois facteurs ont compté dans la nomination de Bremer : son excellente connaissance des réseaux terroristes, ses qualités de gestionnaire et le soutien conjoint de Donald Rumsfeld et de Colin Powell, les frères ennemis de l’administration Bush. Et puis, après le 11 septembre 2001, les responsables américains se sont souvenus, un peu tard, qu’il avait, dès le mois de juin 2000, alors qu’il présidait la Commission nationale de lutte antiterroriste de la Chambre des représentants, évoqué l’hypothèse d’un attentat antiaméricain d’une ampleur « comparable à [celle de] Pearl Harbor »… Bien sûr, il lui arrive aussi de se tromper : jusqu’au bout, il est resté convaincu que les Européens finiraient par rejoindre comme un seul homme la coalition anti-Saddam. Se serait-il laissé abuser – nobody’s perfect – par sa vieille francophilie ? Bremer, qui suivit naguère (1967) les cours de Sciences-Po Paris, possède une maison dans les montagnes au-dessus de Biarritz. Lorsqu’il était « encore un homme libre », confie-t-il au Figaro, il s’y rendait « cinq ou six fois par an ». Il apprend, dit-on, la langue et jusqu’aux danses traditionnelles basques, ce qui n’est certes pas à la portée de l’Américain – ni même du Français ! – moyen.
Dès son installation au QG des forces américaines, dans un ancien « complexe présidentiel » que le fantôme de Saddam Hussein doit encore hanter nuitamment, Bremer a affiché ses priorités : la traque des dignitaires de l’ancien régime et la restauration de la sécurité. Sur le premier point, ses succès sont indéniables. C’est même, à ce jour, le résultat le plus tangible de son mandat. Sur les cinquante-cinq hiérarques baasistes dont les têtes ont été mises à prix, une quarantaine ont été abattus (dont Oudaï et Qossaï, les fils du raïs) ou faits prisonniers (dont l’ancien vice-président Taha Yassine Ramadan et Ali Hassan el-Majid, le bourreau des Kurdes d’Halabja). Mais c’est une victoire en trompe l’oeil : l’élimination d’une poignée de larbins sanguinaires est sans effet sur l’amélioration de la sécurité dans le pays. Même la capture de Saddam Hussein, dont la traque est désormais confiée à une unité spécialement constituée à cet effet (la Task Force 121), ne serait guère qu’une satisfaction morale. Ou un argument électoral, à un an de la présidentielle. Alliés à certains groupes sunnites radicaux, les soldats perdus du baasisme conservent en effet une capacité de nuisance considérable, comme le prouvent les attentats incessants contre les forces américaines. Les trois opérations les plus impressionnantes sont, à ce jour, l’attaque à la roquette contre l’hôtel el-Rachid, à Bagdad le 26 octobre, qui faillit coûter la vie à Paul Wolfowitz, le secrétaire adjoint à la Défense, la destruction d’un hélicoptère Chinook, une semaine plus tard près de Fallouja, et celle d’un Blackhawk, le 7 novembre près de Tikrit. Au total, plus de 150 soldats américains ont été tués depuis le début officiel de l’occupation, le 1er mai, sans compter les accidentés et les suicidés (une centaine). Soit davantage que pendant les opérations militaires proprement dites (voir tableau pages suivantes). L’effet sur le moral des troupes est dévastateur. Il est rare que des « libérateurs » apprécient d’être pris pour cible par leurs prétendus obligés… D’autant que lesdits libérateurs ont été programmés pour tout écraser sur leur passage, pas pour mener de délicates opérations de maintien de l’ordre. La grogne a atteint un niveau tel que, pour accélérer le rythme des rotations, le Pentagone va devoir renvoyer en Irak 20 000 marines. Et mobiliser, l’an prochain, 43 000 réservistes et membres de la Garde nationale.
Y a-t-il coordination, au moins partielle, des opérations antiaméricaines ? Bremer n’exclut pas que les responsables baasistes aient pu, avant même le début de l’invasion, « prépositionner » des hommes, des armes et des matériels dans la perspective d’une future insurrection. En somme, ils auraient fait l’impasse sur la guerre, jugée perdue d’avance, pour mieux préparer la résistance. À l’appui de cette thèse, le choix des cibles des spectaculaires attentats des mois d’août (contre l’ambassade de Jordanie, le mausolée d’Ali à Nadjaf et le QG des Nations unies) et d’octobre (contre le siège du Comité international de la Croix-Rouge) semble bien traduire une certaine cohérence stratégique : frapper les soutiens, avérés ou potentiels, des États-Unis. Ce que confirme l’attaque suicide du 12 novembre contre la base italienne de Nassiriya (26 morts).
À peine débarqué à Bagdad, l’administrateur civil américain s’est empressé de dissoudre le parti Baas et de démanteler la pléthorique armée irakienne. Ce fut même sa première décision. Et sa plus grave erreur. Car les militaires constituaient, sous Saddam, 10 % de la population du pays. Et pas la partie la moins bien formée. Du jour au lendemain, ces hommes se sont retrouvés sans ressources. Disponibles pour toutes les aventures. Quant à leurs armements et à leurs munitions, comment croire que les Américains les aient tous récupérés ?
Pour tenter de remédier à la situation, Bremer ne manque pas de projets : création d’une nouvelle armée irakienne à vocation uniquement défensive (40 000 hommes), ouverture d’une école de police chargée de recruter et de former 65 000 hommes, création d’un corps de gardesfrontières, d’une unité chargée de la protection des infrastructures pétrolières et d’un corps de défense civile (22 000 hommes)… L’ennui est que sa mise en oeuvre prendra du temps : au moins dix-huit mois, de son propre aveu. Or c’est le temps qui lui fait le plus défaut. « Le pays n’est pas plongé dans le chaos, confiait-il, le 27 août, au Washington Post. Les attaques des baasistes ne constituent pas une menace stratégique. Il ne s’agit pas d’un soulèvement général contre la coalition. » Analyse un peu courte : il n’y a pas, c’est vrai, de soulèvement général, mais qui ne voit que c’est une guerre d’usure qui vient de commencer ?
Cent trente mille soldats américains se trouvent actuellement en Irak. Selon tous les spécialistes, l’US Army ne peut en déployer davantage sans se priver de la possibilité d’intervenir sur d’autres théâtres d’opérations : en Iran, en Syrie ou en Corée du Nord, par exemple. C’est l’une des « clés » qui manquent à Bremer : chargé de rétablir la sécurité en Irak, il n’a pas la maîtrise des effectifs nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Combien faudrait-il de GI’s sur le terrain ? Même s’il est consulté, la décision finale ne lui appartient pas.
Convaincus que les Irakiens, assoiffés de démocratie, attendaient les « libérateurs » américains comme le messie, les néoconservateurs estimaient naguère que cinquante mille hommes suffiraient à la conquête et à la pacification du pays. Heureusement pour les États-Unis, ils ne furent pas suivis, les estimations plus réalistes de Powell ayant, sur ce point, prévalu. Paradoxe : ces mêmes « néocons » déplorent aujourd’hui l’insuffisance des troupes déployées sur le terrain. « La vision d’un Moyen-Orient contaminé par la paix et la démocratie se concrétisera ou mourra en Irak », avertissent William Kristol et Robert Kagan, deux de leurs chefs de file. Manifestement, l’affaire est mal engagée.
Fin octobre, le Congrès américain a adopté le budget des opérations en Irak et en Afghanistan pour l’année fiscale 2004-2005 : 87 milliards de dollars au total, dont 66 milliards destinés aux dépenses militaires, le reste l’étant à la reconstruction. Au mois d’avril, il avait déjà obtenu des parlementaires 79 milliards. Il faut dire que le coût de la guerre est estimé à 1 milliard par semaine. Quant à celui de la reconstruction, la Banque mondiale et l’ONU l’évaluent à 55 milliards de dollars. Pour la financer, les responsables américains comptaient sur les revenus du pétrole. Or la production ne dépasse pas actuellement 2 millions de barils/jour (dont 300 000 b/j immédiatement réinjectés dans le sol, faute de pouvoir être stockés ou exportés). Les capacités d’extraction sont limitées par la vétusté des installations, les incessantes opérations de pillage et de sabotage et, plus généralement, le climat d’insécurité ambiant : les entreprises y regardent à deux fois avant de dépêcher des techniciens en Irak. Au Sud, le brut est exporté à peu près normalement par le terminal de Fao. Dans la région de Kirkouk, en revanche, les exportations ne pourront pas reprendre avant un an. « Tout est ici dans un état de délabrement incroyable : les réseaux d’eau et d’électricité, les infrastructures pétrolières, les cimenteries et même les usines textiles. C’est à se demander ce que Saddam Hussein a bien pu faire de l’argent du pétrole », confiait Bremer, le 23 octobre, à l’envoyé spécial du Figaro. Pas un mot sur les conséquences de douze années d’embargo, mais c’est, si l’on peut dire, de bonne guerre…
La distribution d’électricité n’est assurée que douze heures par jour. La production a retrouvé son niveau d’avant-guerre (4 300 mégawatts), mais reste inférieure à la demande (6 000 mégawatts). La remise en état complète du réseau électrique coûtera, selon les estimations, entre 12 milliards et 20 milliards de dollars sur trois ans, et celle du réseau d’adduction d’eau près de 7 milliards.
Par ailleurs, l’administrateur américain s’efforce d’appliquer en Irak les bonnes vieilles recettes libérales, ce qui n’est pas forcément très judicieux dans un pays dévasté, où les capitaux disponibles sont rares, et le secteur privé quasi inexistant. En supprimant les taxes douanières, il était par exemple convaincu de favoriser l’investissement. En fait, il a provoqué un développement fulgurant des importations de biens d’équipement (surtout en provenance d’Iran) et des trafics en tout genre.
Pour tenter de débloquer la situation, une conférence des donateurs s’est tenue les 23 et 24 octobre à Madrid, avec la participation de 58 pays, 19 organisations internationales et 225 entreprises. Mais ses résultats n’ont pas été à la hauteur des espérances. Alors que les besoins immédiats sont estimés par l’ONU et la Banque mondiale à 36 milliards de dollars, les promesses de dons n’ont pas dépassé 15 milliards. Il pouvait difficilement en aller autrement, dès lors que la situation sécuritaire tourne au cauchemar, que les entreprises américaines (au premier rang desquelles Halliburton, longtemps dirigée par le vice-président Dick Cheney) accaparent le marché de la reconstruction et que les conditions de la distribution de l’aide se signalent par leur extrême opacité.
Dans ces conditions, la mise en place, le 1er septembre, d’un gouvernement-croupion – il ne comporte ni Premier ministre, ni ministre de la Défense, ni vrai ministre de l’Information – prend des allures presque irréelles. Censé refléter la mosaïque ethnique et religieuse irakienne, il est composé de treize chiites, cinq sunnites, cinq Kurdes, un chrétien et un Turkmène. Sa mission : faire redémarrer l’administration, élaborer un projet de Constitution, mettre en place des tribunaux pour juger les criminels de guerre, élaborer le budget de l’État – ou de ce qui en tient lieu – et préparer les élections générales qui doivent, Inch’Allah, se tenir l’an prochain. Mais avec quels moyens ? Ceux que Bremer et ses collaborateurs voudront bien leur concéder.
Les vingt-cinq ministres ont été choisis au sein du Conseil de gouvernement transitoire (CGT) mis en place le 13 juillet. Bien que sa présidence soit tournante, cette instance aux attributions incertaines a pour vrai patron Ahmed Chalabi, un banquier chiite qui dirigea douze ans durant l’opposition en exil. En dépit de sa mise en cause dans diverses malversations financières, les faucons du Pentagone n’ont eu de cesse de lui faire jouer – contre l’avis de Powell – un rôle de premier plan dans l’Irak de l’après-guerre. N’est-il pas un agent déclaré de la CIA ? Il arrive pourtant que Chalabi et ses collègues soient contraints de prendre leurs distances avec les décisions les plus aberrantes de l’administration. Ils ont ainsi convaincu Bremer que l’installation de troupes turques dans le « triangle sunnite » entre Bagdad, Tikrit et Fallouja constituerait une folie, tant les descendants des anciens maîtres ottomans sont ici détestés.
Et les chiites ? Dans l’immédiat, les plus politiques d’entre eux ont fait le pari sinon de jouer la carte américaine, du moins de s’en tenir à une prudente expectative. On les comprend : si les États-Unis parviennent à démocratiser le pays et à organiser des élections libres et transparentes, le pouvoir leur reviendra inéluctablement. Leurs coreligionnaires représentent en effet 60 % de la population. C’est cette convergence d’intérêts que l’assassinat de l’ayatollah Mohamed Baqer el-Hakim, le 29 août à Nadjaf, avait pour objectif de briser. Non sans succcès. Depuis, les tensions sont vives entre les « modérés » emmenés par Abdelaziz el-Hakim, frère cadet et successeur du précédent, et les partisans de Moqtada Sadr, favorables au départ immédiat des troupes américaines et à la mise en place d’un gouvernement« authentique ». Le 13 octobre, pour la première fois, des affrontements intercommunautaires ont fait un mort et plusieurs dizaines de blessés.
Après l’attentat de Nadjaf, le CGT a reproché aux Américains de refuser toute délégation de pouvoir en matière de sécurité et d’être incapables d’empêcher les infiltrations d’islamistes radicaux liés à el-Qaïda (plusieurs centaines, selon Bremer). Mais la tâche est presque insurmontable ! Comment assurer, quand il y a déjà tant à faire, l’imperméabilité d’une frontière longue de plusieurs milliers de kilomètres, à travers le désert ? « Si personne n’est capable de nous protéger, a confié au Figaro un ministre démissionnaire, alors je ferai appel aux chefs de tribu du Sud pour garder nos Lieux saints. » Le spectre d’une « libanisation » de l’Irak se profile à l’horizon.
Pris au piège, Bush appelle aujourd’hui à l’aide la communauté internationale. Et singulièrement l’ONU. Cette même ONU qu’il y a encore quelques mois il rêvait de transformer en vague agence à vocation humanitaire. Bien sûr, s’il est disposé à accepter le renfort militaire et financier de ses alliés, il n’envisage pas une seconde de leur concéder la moindre parcelle de pouvoir.
Le 16 octobre, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté à l’unanimité une résolution qui ne fixe aucune échéance au rétablissement de la souveraineté irakienne. Tout au plus le CGT est-il invité à présenter avant le 15 décembre un calendrier en vue de la rédaction d’une nouvelle Constitution et de la tenue d’élections libres. Ni la France, ni l’Allemagne, ni la Russie ne se sont opposées à ce texte qui, de fait, entérine l’occupation de l’Irak. Mais elles n’ont, pour l’instant, pas la moindre intention d’apporter un soutien militaire et/ou financier à Washington.
Il va de soi que, dans cette affaire, l’évolution de l’opinion américaine sera déterminante. Un scénario comparable à celui de la guerre du Vietnam – le basculement progressif d’une majorité d’Américains dans l’opposition à la guerre – est-il envisageable ? Pour le moment, le « front intérieur » tient, vaille que vaille, mais de sérieuses lézardes commencent à apparaître.
Pour la présidentielle de novembre 2004, tous les sondages donnent Bush, longtemps archifavori, presque à égalité avec ses adversaires démocrates, dont le plus dangereux pourrait être le général Wesley Clark, l’ancien commandant en chef des forces de l’OTAN en Europe. À moins que Hillary Clinton ne décide, au dernier moment, de se lancer dans la bagarre. De même, le nombre des Américains favorables à l’occupation de l’Irak se réduit comme peau de chagrin. Selon une enquête USA Today/CNN/Gallup (24-26 octobre), ils ne sont plus que 54 % dans ce cas, contre 72 % il y a six mois. Un autre sondage (Washington Post/ABC) révèle que 62 % des personnes interrogées jugent « inacceptable » le nombre des soldats américains tués et que 87 % redoutent un enlisement dans le bourbier irakien.
Bien sûr, la reprise économique qui s’amorce pourrait favoriser le président sortant, mais le paradoxe est qu’elle ne s’est pas traduite, jusqu’à tout récemment, par des créations d’emplois. Depuis novembre 2000, près de 3 millions d’Américains sont venus grossir les rangs des chômeurs. Si la situation ne s’améliore pas, l’élection pourrait se jouer, comme il y a trois ans, à quelques dizaines de milliers de voix. Et l’affaire irakienne pourrait alors faire pencher la balance dans l’un ou l’autre sens.
Les responsables américains en sont parfaitement conscients. Et ils ont tendance à s’affoler. Le 11 novembre, toutes affaires cessantes, Bremer a été rappelé à Washington pour consultations. Bush, Rumsfeld et Powell lui ont longuement expliqué le réaménagement tactique en cours. L’objectif est double.
D’abord, accélérer le retrait des soldats américains (dont le nombre devra être ramené progressivement à 50 000 en 2005) et la formation des Irakiens appelés à les remplacer. En d’autres temps et sous d’autres latitudes, on avait appelé ça la « vietnamisation » de la guerre. On sait ce qu’il advint. « Croit-on vraiment qu’un ramassis de minables réussira à triompher d’une insurrection qui tient les Américains en échec ? » interroge Fareed Zakaria dans le Washington Post.
Ensuite, précipiter le transfert de la souveraineté aux Irakiens, sans attendre l’adoption d’une nouvelle Constitution ni la tenue d’élections, ce qui, soit dit en passant, rappelle curieusement la position française. Reste à savoir de quels Irakiens il s’agit. Certainement pas, en tout cas, du CGT, dont l’apathie et la corruption ont fini par indisposer ses protecteurs. À commencer par Bremer.
À Bagdad, enfermé dans son bunker, celui-ci sait que la réélection de Bush, dans un an, dépend en partie de sa capacité à résoudre des problèmes d’intendance et de basse police du côté de Nadjaf ou de Fallouja. On l’imagine assez bien, au terme d’une journée harassante, murmurer avant de se coucher : « Mais que diable suis-je allé faire dans cette galère ! »

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