Le droit d’asile grignoté

À l’initiative du ministre de l’Intérieur, une loi a été votée qui restreint l’accueil des réfugiés politiques. L’organe en charge des demandes, l’OFPRA, sera de moins en moins autonome.

Publié le 14 novembre 2003 Lecture : 5 minutes.

La France a un problème avec ses étrangers. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, sous la houlette du dynamique ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, a donc mis en place une réforme du statut des étrangers, incluant les demandeurs d’asile. Avec, à la clé, refonte des conditions d’attribution des visas, restrictions, et reconductions à la frontière, afin de mieux maîtriser l’immigration. La dernière pièce apportée à cet arsenal législatif est la réforme de la loi de 1952 sur le droit d’asile, qui vise à améliorer un dispositif aujourd’hui engorgé. Le 23 octobre, les sénateurs ont ainsi approuvé le projet de loi présenté le 5 juin devant l’Assemblée nationale par le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin, et déjà adopté en première lecture par les députés.
« Cette loi est une loi de circonstance, sans vision et sans souffle », se sont immédiatement offusquées les associations de défense des demandeurs d’asile, à l’image de France terre d’asile, par la voix de son directeur, Pierre Henry. « Elle répond à un objectif statistique de diminution des flux de demandes d’asile et pas du tout à celui d’offrir une meilleure protection à ceux qui le demandent. » Or, contrairement à l’idée communément admise de réfugiés en surnombre, les demandes d’asile reçues par la France sont en baisse depuis le milieu du XXe siècle. Elles sont passées de 400 000 au début des années 1950 à 180 000 en 1986, pour atteindre aujourd’hui le chiffre d’environ 82 000. Au premier semestre 2003, elles étaient encore en diminution de 2,3 % par rapport à 2002. La France se situe seulement au quatrième rang des pays développés accueillant des réfugiés, avec 9 % des demandes totales, contre 19 % pour la Grande-Bretagne, 14 % pour les États-Unis et 12 % pour l’Allemagne (en 2002, selon les chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés).
Pourtant, Dominique de Villepin déclarait devant l’Assemblée que « l’exercice du droit d’asile est en crise », notamment en raison du grand nombre d’étrangers qui demandent l’asile pour des raisons économiques, et non politiques comme définies dans la Convention de Genève de 1951, base du droit international des réfugiés. Seuls 17 % des demandeurs ont obtenu l’asile en 2002, ce qui fait dire aux autorités que les trois quarts des réfugiés ne devraient même pas franchir les frontières du territoire.
De réels changements ont été introduits dans la loi pour améliorer le fonctionnement de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), l’organe autonome qui gère les demandes d’asile. Inquiets, les sénateurs opposés au projet de loi (principalement socialistes ou communistes), ainsi que les associations de défense des demandeurs d’asile, dénoncent l’implication de plus en plus marquée du ministère de l’Intérieur au sein d’un organe autonome qui dépendait totalement, jusqu’à aujourd’hui, du ministère des Affaires étrangères. Pour la simple et bonne raison que, selon la Convention de Genève, la nécessité de protéger les réfugiés ne doit pas être confondue avec la gestion des flux migratoires, propre aux considérations internes des pays. « Le projet de loi est clairement marqué par la logique sécuritaire du ministère de l’Intérieur », explique Pierre Henry. En demandant à l’OFPRA de communiquer sans délai les dossiers des demandeurs déboutés aux préfectures et au ministère de l’Intérieur, la loi ouvre en effet la voie à des procédures extrêmement rapides d’expulsion du territoire.
D’autant que l’OFPRA est en passe d’être contrôlé de l’intérieur. Le 10 juillet, le préfet Bernard Fitoussi a été nommé « directeur » à l’Office, alors que la loi de 1952 ne prévoit qu’un seul poste de directeur, nommé par le ministère des Affaires étrangères et tenu depuis février dernier par Pierre Viaux, un diplomate. Fitoussi ne serait donc finalement qu’un « chargé de mission », nommé pour améliorer « l’efficacité » des relations entre l’OFPRA et les préfectures. « Les avancées du ministère de l’Intérieur vis-à-vis de l’OFPRA sont injustifiées et inadmissibles, s’insurge Yvan Sergeff, de l’Union syndicale du ministère des Affaires étrangères (USMAE). C’est le début du démantèlement de tous les métiers du Quai d’Orsay. » Selon le projet de loi sur le droit d’asile, la nomination du directeur de l’OFPRA se fera d’ailleurs sur la base d’un accord passé entre les deux ministères.
Autres nouveautés introduites dans le projet de loi : les notions « d’asile interne » et de « pays sûrs ». Elles supposent qu’un droit d’asile pourrait être refusé à une personne dont on considère qu’elle est en sécurité sur une partie de son pays d’origine. « Vous n’êtes pas en sécurité à Abidjan ? Allez donc à Bouaké », signifierait ainsi cette loi. « Comment va-t-on déterminer cette liste de pays ? interroge Pierre Henry. Est-ce le conseil d’administration de l’OFPRA qui dira quels sont les pays sûrs et quels sont ceux qui ne le sont pas ? Mettre des noms sur des pays « non sûrs » va poser des problèmes diplomatiques diaboliques. »
Certes, il faut se réjouir de la volonté d’accélérer le traitement des demandes, à condition, souligne le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), « que le principal résultat ne soit pas un traitement expéditif de certains dossiers avec des garanties moindres et une accélération excessive des rejets ».
Pour autant, la réforme a introduit quelques points positifs et surtout l’abandon du critère jurisprudentiel de l’origine étatique. Dorénavant, la persécution ou les atteintes graves dont les réfugiés seraient victimes pourront être le fait d’acteurs non étatiques (mouvements rebelles, par exemple) dans les cas où les autorités publiques refusent ou ne sont pas en mesure d’offrir une protection. Les sénateurs ont également réussi à faire adopter un amendement rétablissant la possibilité, pour les demandeurs déboutés en France, de s’adresser à la commission des recours et de se faire aider par un conseil juridique.
La loi doit entrer en vigueur le 1er janvier 2004. D’ici là, les législateurs de l’opposition ont bien l’intention de saisir le Conseil constitutionnel. Selon Jean-Pierre Sueur, sénateur socialiste, les notions d’« asile interne » et de « pays sûrs » sont contraires au préambule de la Constitution française de 1946 et à la Convention de Genève, qui se fondent sur la « demande individuelle » des réfugiés ne pouvant être jugés sur des critères de nationalité. La communication au ministère de l’Intérieur des informations et coordonnées récoltées par l’OFPRA sur les demandeurs serait aussi contraire aux principes des droits de l’homme.
Dans la mesure où la réforme française s’inscrit dans le mouvement général de construction de la « forteresse Europe », ce projet de loi restrictif risque bien d’entrer en vigueur en l’état. Après tout, treize autres pays européens ont déjà fait contrôler le droit d’asile par leur ministère de l’Intérieur. La frontière entre immigration et droit d’asile est de plus en plus poreuse. Au détriment des personnes qui en ont vraiment besoin.

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