Le dilemme de Bouteflika

Publié le 17 novembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Lundi 10 novembre, palais Zighout-Youcef, 23 heures. Dans l’hémicycle, le banc réservé aux membres du gouvernement est occupé par Abdelatif Benachenhou, ministre des Finances. Seul. Il a l’impression de recevoir le ciel sur la tête. Il demande la parole. Karim Younes, le président de l’Assemblée nationale la lui accorde, malgré les protestations de certains députés pour qui le ministre n’a pas à commenter une décision prise par les élus du peuple. Livide, Benachenhou trouvera l’énergie de dire au milieu du brouhaha : « Au nom du gouvernement, je déclare que cet amendement s’oppose aux engagements pris par l’Algérie au niveau international. » L’amendement en question a été déposé par Miloud Kadri, député d’el-Islah, formation islamiste dirigée par Abdallah Djaballah, et prévoit l’interdiction de l’importation de toute boisson alcoolisée.

Cette mesure, contraire à l’accord d’association avec l’Union européenne et au projet d’adhésion de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a peu de chance de voir le jour. Elle pourrait être remise en question en seconde lecture par le Sénat. Ou être renvoyée par le gouvernement en commission paritaire, ou encore être reportée grâce à une saisine du Conseil constitutionnel par le président de la République. Mais le problème est ailleurs : comment un parti minoritaire a-t-il pu passer un texte de loi s’inspirant de la charia alors que les Algériens étaient persuadés que la menace d’une République islamique s’était dissipée ? On pourrait évoquer l’absence des députés. Sur les 380 élus, seuls 202 ont jugé utile de se rendre au palais Zighout-Youcef. Mais cette explication est trop courte.

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L’amendement a recueilli 108 voix contre 83, avec 11 abstentions (les trotskistes du Parti des travailleurs). Le courant islamiste dispose, en tout et pour tout, de 82 sièges (43 pour el-Islah et 39 pour les modérés du MSP, membre de la coalition gouvernementale). Même avec la totalité de leurs suffrages, les islamistes n’auraient pas pu obtenir la majorité. L’apport est venu du FLN. Pourquoi l’ex-parti unique s’est-il embarqué dans cette sombre histoire ? « Il était difficile de voter contre en plein mois de ramadan », dixit l’un de ses élus. Une réponse qui en dit long sur un FLN traversé par des querelles byzantines et aujourd’hui divisé entre « redresseurs » et « fidèles à la direction du parti », incarnée par le secrétaire général Ali Benflis. Ces deux courants se sont rejeté la responsabilité de la victoire des islamistes en ce 10 novembre. Abdelaziz Djerrad, membre du bureau politique et proche de Benflis, assure que ce sont les redresseurs, incarnés par Abdelaziz Belkhadem, ministre des Affaires étrangères, réputé « barbefélène », sobriquet désignant le courant islamiste au sein de l’ancien parti unique, qui sont responsables. « Pas du tout, rétorque Abdelkader Messahel, ministre délégué chargé des Affaires africaines et maghrébines, on ne peut réduire le mouvement des redresseurs au seul courant de Belkhadem, on y retrouve toutes les tendances qui traversent le FLN. Outre le courant islamiste, il y a les arabo-baasistes que représente Abdelkader Hadjar, ou les socio-démocrates dont je me réclame. Pour savoir de quel bord se trouvent ceux qui ont voté l’amendement, il faut chercher du côté du mobile. Qui a intérêt à nuire au gouvernement et au président ? » À l’évidence, cette affaire embarrasse surtout Abdelaziz Bouteflika. Soit il réagit et se met à dos l’électorat islamiste, soit il laisse faire et contredit sa démarche pour soigner l’image extérieure du pays. Un vrai dilemme.

Les déboires du FLN ont commencé après son VIIIe congrès, en mars 2003, quand Benflis a opéré un coup de force en effaçant Abdelaziz Bouteflika des tablettes du parti et en opérant un changement dans ses statuts. Les refuzniks ont crié à l’OPA et remis en question les conclusions de ce congrès qu’ils jugent illégitime. Ils se sont organisés en « redresseurs » et s’apprêtent à organiser un VIIIe congrès-bis. Consterné par ce spectacle, un dirigeant historique du FLN, Abderrezak Bouhara, a appelé les deux parties à un congrès de réconciliation et de refondation.

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