La reprise à portée de main

Avec le retour annoncé de la croissance, les consommateurs nippons redeviennent optimistes. Et veulent oublier la crise.

Publié le 14 novembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Fin septembre, l’économie japonaise alignait son septième trimestre consécutif de croissance, ce qui autorise Tokyo à désormais tabler sur un taux supérieur à 2 % en 2003. Pour un pays en difficulté depuis plus d’une décennie et dont l’activité a quasiment stagné après la crise asiatique de 1997, on aurait pu espérer une salve de louanges et d’autosatisfaction. Pas au Japon.
Si l’orage semble passé, il a tout de même révélé les failles d’une économie trop largement tributaire de la consommation intérieure et des exportations, où de puissants lobbies, notamment ceux du bâtiment et des travaux publics, bloquent sérieusement le processus de réformes. Illustration : la crise du secteur bancaire, née il y a un peu plus de dix ans sur fond de scandales politico-financiers et de mauvaise gestion avérée, a surtout mis à nu la faible rentabilité des banques locales, leur absence de fonds propres et le niveau record des créances compromises. À plus de 44 000 milliards de yens (353 milliards d’euros), ces prêts irrécouvrables plombent aujourd’hui encore les banques nippones et limitent la marge de manoeuvre de Heizo Takenaka. C’est ce ministre chargé des Services financiers, de l’Économie, de la Politique fiscale, que le Premier ministre Junichiro Koizumi a reconduit dans ses fonctions malgré l’opposition de la vieille garde de son parti, qui se bat depuis plus d’un an avec les banquiers et avec sa propre administration pour imposer une réforme en profondeur du système. Une réforme qui, il est vrai, pourrait provoquer la fermeture de plusieurs dizaines de milliers d’entreprises, alors que les banques peinent à trouver des sources de profit avec des taux d’intérêt réels qui demeurent négatifs. Analyste chez HSBC Securities, Hironari Nozaki reconnaissait, début octobre, que les « banques ne pourront à nouveau dégager des revenus nets de leur activité tant que les taux resteront aussi faibles ». Et que, dans ces conditions, l’annonce faite par Takenaka d’un retour à la rentabilité du système bancaire d’ici à cinq ans s’apparente en tous points « à un voeu pieux ».
À 52 ans, Takenaka, ancien professeur d’économie, a réussi à convaincre les caciques de l’urgence d’une stratégie de sortie de crise, alors que l’économie est toujours menacée par le cycle infernal de la déflation (baisse des prix, baisse de la consommation, baisse des investissements). Fin septembre, il déclarait que « le volume net des créances douteuses avait commencé à décliner » – une première depuis l’exercice 2000 -, et qu’il fallait « accélérer le mouvement en gardant le cap ». Plus nuancé, le Fonds monétaire international (FMI) indique, dans son dernier rapport publié le 5 septembre, que « des faiblesses significatives pèsent encore sur le système financier et les entreprises, qui, si elles ne sont pas résolues, vont continuer à restreindre la croissance. La déflation devrait durer et continuer à exacerber leurs fragilités ». En clair, le FMI estime qu’il est encore trop tôt pour parier sur une reprise durable et robuste à même d’inverser définitivement le cycle récessif qui a frappé l’archipel au début des années 1990.
Reste que Koizumi, dont la bonne fée est manifestement à l’oeuvre, accumule depuis le mois d’avril les bonnes nouvelles sur le front économique. Les exportations sont reparties à la hausse, notamment sur le marché américain, malgré le renchérissement du yen que la Banque centrale a toutes les peines du monde à maintenir autour du seuil de 110 yens pour 1 dollar. Doté de 70 milliards de dollars, le Fonds de revitalisation a été mis en place pour venir à la rescousse des entreprises en difficulté et limiter le nombre de faillites, en net recul depuis neuf mois. Les économies asiatiques – principaux débouchés de Tokyo – affichent une croissance très enviable de plus de 6 %. Enfin, les investissements industriels sont repassés au vert, ce qui devrait conforter la reprise actuelle.
Le seul souci qui demeure concerne la consommation. Le Premier ministre peine encore à convaincre ses compatriotes de puiser un peu plus dans leur épargne alors que, à elle seule, la consommation privée contribue pour près de 60 % à la formation du Produit intérieur brut (PIB) nippon. Mais le problème est largement lié à la situation sur le marché de l’emploi : même si le taux de chômage reste inférieur à 5,1 % (chiffre du mois d’août), les licenciements en masse – plus de 17 000 dans le seul secteur bancaire sur les deux dernières années – ont frappé les esprits et incité les consommateurs à la retenue. Et comme la dette publique représente déjà 150 % du PIB, la marge de manoeuvre du gouvernement est pour le moins limitée. D’où la décision, jugée « révolutionnaire », de privatiser les sociétés d’autoroutes, de limiter les investissements en infrastructures et de chercher de nouvelles sources de croissance comme le tourisme. Et aussi, pour la première fois dans l’histoire de ce pays depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, de faire appel massivement aux investissements étrangers pour pallier la pénurie de capitaux bancaires. En 2001, Tokyo a drainé seulement 6,2 milliards de dollars de capitaux étrangers (soit 1,2 % du PIB), contre 8,6 milliards pour Singapour et 44,2 milliards pour Pékin. Dans un pays qui a passé quatre siècles, replié sur lui-même, à se protéger de l’invasion des colons de toutes sortes, il s’agit bien là d’un séisme culturel.

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