La malédiction de l’or noir

Jusqu’à présent, la manne pétrolière n’a guère servi qu’à enrichir une poignée de dirigeants et à financer des guerres civiles. Certains responsables subsahariens paraissent aujourd’hui résolus à la mettre au service du développement. Mieux vaut tard que

Publié le 14 novembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Premier producteur africain, le Nigeria a décidé de rendre public le montant de la totalité de ses revenus pétroliers. Une première sur le continent et au sein de l’Opep (dont ce pays est membre fondateur). La décision a été annoncée le 7 novembre, à Berlin, par le président Olusegun Obasanjo, lors d’une conférence de presse donnée à l’occasion du dixième anniversaire de Transparency International, l’organisation anticorruption. Mieux vaut tard que jamais. Car la conduite du Nigeria au cours de ces trente dernières années n’a sûrement pas été exempte de reproches. Selon les estimations de l’association humanitaire Catholic Relief Services, le total de ses recettes pétrolières entre 1973 et 2002 s’élève à 340 milliards de dollars. Pourtant, les deux tiers de sa population vit aujourd’hui avec moins de 1 dollar par jour. Dans la plus grande pauvreté, donc. Pis, le pays est surendetté et n’est toujours pas parvenu à répartir équitablement la rente pétrolière entre ses différentes régions.
Il n’empêche que la promesse du 7 novembre mérite d’être prise au sérieux. Les ONG nigérianes et étrangères doivent s’y accrocher pour faire en sorte qu’elle se concrétise. C’est d’ores et déjà une grande victoire pour l’association Publish What You Pay(1), qui milite pour que les compagnies exploitantes publient le montant des sommes versées aux pays concernés au titre de l’exploitation minière (hydrocarbures, diamant, or, etc.). Cela va des impôts et des royalties officielles aux commissions et autres bonus accordés lors de l’octroi des permis et des concessions. Lancée en juin 2002, cette initiative a reçu le soutien de près de cent cinquante ONG, mais aussi du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), de la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale, du Parlement européen… Et donc du président Obasanjo. En revanche, elle attend toujours celui des principaux pays industrialisés (G-8), de l’Union africaine, du Fonds monétaire international et de l’Organisation mondiale du commerce. Entre autres.
Un rapport publié le 17 juin par Catholic Relief Services permet de replacer l’annonce nigériane dans son contexte(2), malheureusement limité aux seuls pays d’Afrique subsaharienne. Il s’agit d’une dénonciation en règle de la dilapidation de l’argent du pétrole. Depuis 1973, la manne pétrolière a en effet servi à enrichir les grandes compagnies internationales et une poignée de dirigeants africains, mais n’a aucunement contribué au développement des pays concernés. Au contraire, ces derniers sont aujourd’hui plus endettés, et la majorité de leurs habitants plus pauvres qu’auparavant.
Où sont passées ces sommes colossales ? Pour l’essentiel, elles sont aujourd’hui disséminées dans des comptes bancaires à l’étranger, quand elles n’ont pas été dilapidées en pure perte dans des guerres civiles (achats d’armes et paiement de mercenaires) ou des projets pharaoniques. Une toute petite partie a été affectée à l’éducation, à la santé et à l’amélioration des services publics de base (eau, électricité, routes). Dans certains pays, des écoliers manquent de crayons ; des écoles, de tables et de chaises ; des dispensaires, de seringues et de coton… Ce scandale, l’organisation humanitaire l’analyse sans concession. Son but est de tirer la sonnette d’alarme : le passé, c’est le passé, seul l’avenir compte.
Au cours des dix prochaines années, la production pétrolière de l’Afrique subsaharienne devrait doubler, passant de 5 millions à 10 millions de barils/jour (500 millions de t par an), ce qui représente entre 12 % et 13 % de la production mondiale. Le Nigeria, qui dispose actuellement des réserves les plus importantes (30 milliards de barils), soit autant que la Libye et deux fois plus que l’Algérie, devrait augmenter sa production d’au moins 50 %. L’Angola, dont le potentiel actuel (7 milliards de barils) devrait s’accroître très sensiblement grâce à de nouvelles découvertes offshore, verra sa production doubler (de 1 million à 2 millions de barils). Par ailleurs, de nouveaux pays devraient entrer dans l’ère du pétrole : après la Guinée équatoriale (270 000 barils/ jour, trois fois plus qu’en 1999), le Soudan et le Tchad, viendra le tour de la Mauritanie (en 2006), de São Tomé e Príncipe, de la Sierra Leone… L’exploration bat son plein : les compagnies, qui s’efforcent de diversifier leurs sources d’approvisionnement, comptent y investir, selon le rapport de Catholic Relief Services, 52 milliards de dollars d’ici à 2010.
Comment moraliser la profession et la gestion d’un secteur promis à un aussi bel avenir ? Comment empêcher que le pétrole ne suscite de nouveaux conflits ? Comment le mettre au service des peuples, comment en faire « un instrument au service de la vie et non de la mort » ?
Pour le moment, exception faite de la loi-cadre sur l’utilisation des ressources pétrolières adoptée par le Tchad sous la pression des bailleurs de fonds et des ONG, le vide institutionnel est total. Qui connaît l’existence de l’Association des producteurs de pétrole africains (APPA) ? Créée à Lagos en janvier 1987, elle regroupe aujourd’hui une douzaine de pays(3), mais on serait bien en peine d’évaluer le bilan de son action. Apparemment, elle ne parvient qu’avec difficulté à alimenter un Fonds de coopération technique dont le montant n’a pourtant rien d’exorbitant : 5 millions de dollars ! Ses ministres se sont, depuis seize ans, réunis une vingtaine de fois, sans résultat probant. Pour tenter de remédier à la situation, l’APPA vient de se doter d’un nouveau secrétaire exécutif, le Nigérian Dave Akanni Lafiaji, et de tenir son premier Congrès, à Tripoli, au mois de mars dernier. Son assemblée annuelle se tiendra à Abuja en 2004, et son IIe Congrès à Alger, l’année suivante. Une lueur d’espoir, enfin ?

1. Site Internet :
www.publishwhatyoupay.org
2. Le fond du baril : boom pétrolier et pauvreté en Afrique, par Ian Gary, juin 2003, 110 pp., gratuit. Versions en anglais et en français. Internet :
www.catholicrelief.org/africanoil.cfm
3. Angola, Algérie, Bénin, Cameroun, Congo-Brazza, RD Congo, Côte d’Ivoire, Égypte, Gabon, Guinée équatoriale, Libye, Nigeria. Trois pays sont observateurs : Ghana, Soudan et Tchad.

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