La carte africaine

Au cours des dix dernières années, Tokyo a consacré 12 milliards de dollars d’aide publique au développement en Afrique.

Publié le 14 novembre 2003 Lecture : 5 minutes.

La coopération avec l’Afrique est devenue un des piliers de la diplomatie japonaise. La troisième édition de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (Ticad), organisée du 29 septembre au 1er octobre en présence de vingt-trois chefs d’État et de gouvernement du continent, a constitué le point d’orgue d’un rapprochement stratégique entamé dans les années 1980 et théorisé au début des années 1990. Une période charnière, mise à profit par les Japonais pour montrer qu’il était urgent de ne pas oublier l’Afrique, à un moment où les flux d’aide publique risquaient, dans l’euphorie consécutive à la chute du mur de Berlin, de se diriger massivement vers l’Europe de l’Est. Depuis, l’effort financier du Japon ne s’est jamais démenti.
Entre 1993 (date de la première Ticad), et 2002, Tokyo a consacré 12 milliards de dollars (10 milliards d’euros) à l’aide publique au développement (APD) en Afrique, ce qui place l’archipel au quatrième rang des donateurs, après la France, les États-Unis et l’Allemagne. Il convient d’ajouter à ce chiffre une part non négligeable des contributions aux organisations multilatérales qui interviennent sur le continent : le Japon se situe au premier rang des contributeurs pour les programmes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Les sommes transitant par ces organismes représentent un complément à l’aide bilatérale. Elles permettent de toucher des pays difficilement accessibles à l’APD, ceux dans lesquels il n’existe ni ambassade nippone, ni antenne locale de la Jica, l’agence de coopération internationale. Le 29 septembre, Junichiro Koizumi, dans son allocution d’ouverture des travaux de la Ticad, a annoncé un effort supplémentaire : 1 milliard de dollars, étalé sur cinq ans, pour les programmes du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) ayant trait à l’éducation et à la santé ; 300 millions de dollars de garantie aux programmes d’infrastructure ; et 3 milliards de dollars d’annulation de dette au profit des pays les plus endettés (voir J.A.I. n° 2230).
L’aide japonaise est pensée comme une contribution à la stabilité internationale. Le credo martelé par Yoshiro Mori, l’ancien Premier ministre, au cours de son voyage en Afrique en janvier 2001 – « le monde du XXIe siècle ne connaîtra ni prospérité ni stabilité tant que les difficultés de l’Afrique ne seront pas surmontées » -, a été repris au pied de la lettre par son successeur Koizumi. La coopération est un investissement sur l’avenir. Non pas tant pour défricher de nouveaux marchés pour les entreprises japonaises, peu enclines à s’aventurer sur des territoires inconnus, que pour gagner une crédibilité politique et diplomatique faisant encore défaut à l’archipel. À puissance se voulant mondiale, obligations planétaires. De fait, dans les enceintes où il occupe une place éminente, et en premier lieu le G8 (le club des pays les plus industrialisés), le Japon a pesé, en bonne intelligence avec la France, pour inscrire à l’ordre du jour des différents sommets les problèmes de l’Afrique et le soutien au Nepad. Au lendemain de l’échec du sommet de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à Cancún (Mexique), et quelques mois après celui du G8 d’Évian (France), la Ticad III a permis, même si elle n’a pas débouché sur des promesses chiffrées de la part des bailleurs, de remobiliser la communauté internationale en faveur du Nepad. « Nos partenaires africains aimeraient des résultats tangibles plus rapidement, concède Norio Maruyama, directeur du service Afrique au ministère des Affaires étrangères. C’est légitime. Mais c’est une oeuvre de longue haleine, et le plus important est de continuer, encore et encore, à sensibiliser les bailleurs de fonds pour que le cadre du Nepad finisse par apparaître comme une évidence indiscutable. »
La coopération japonaise, qui touche historiquement en priorité les pays anglophones – Afrique du Sud, Ghana, Kenya -, se caractérise par une approche pratique et concrète, mais aussi par des lourdeurs bureaucratiques. Les Japonais aiment travailler en confiance, sur le long terme, soumis qu’ils sont à la pression d’une opinion publique qui demande des comptes et s’indigne du gaspillage. Pour gagner en efficacité, le dispositif de l’aide, auparavant dispersée et pilotée par plusieurs organismes, a été rationalisé. Les actions sont maintenant centrées sur des domaines bien définis : la gestion de l’eau, la santé, l’éducation et le soutien à l’agriculture. À cet égard, l’une des réalisations les plus tangibles du processus Ticad est la mise au point du nerica, une variété de riz hybride, issue d’un croisement entre espèces asiatique et africaine. Plus résistant, permettant des rendements augmentés de 50 % à 200 % selon les régions, il a été popularisé en Afrique de l’Ouest. Les Japonais, sponsors de ce programme avec le PNUD, sont tout disposés à le propager ailleurs. « Nous n’oublions pas que c’est la révolution verte qui a permis d’arriver à l’autosuffisance alimentaire et a rendu possible l’affirmation industrielle de l’Asie du Sud-Est », rappelle Norio Maruyama.
Paradoxe : si le Japon ne ménage pas ses efforts en direction de l’Afrique, les Japonais, en revanche, ignorent tout des réalités du continent. Les échanges sont faibles, pour ne pas dire inexistants. Il n’y a guère qu’à Shinjuku et à Roppongi, quartiers pour noctambules de Tokyo, que l’on peut croiser des Ghanéens ou des Nigérians de la diaspora, propriétaires, gérants ou employés de bars ou de boîtes de nuit. Patrick Mboma, l’attaquant camerounais, qui joue au FC Verdy de Tokyo, et qui est sans doute l’Africain le plus célèbre du Japon, se souvient de son premier passage dans un club de l’archipel, à Osaka, en 1997 et 1998 : « À l’époque, un ami m’avait présenté à deux étudiantes japonaises, très brillantes. Je leur ai demandé de citer cinq pays africains. Elles en ont été incapables. Maintenant, les gens connaissent le Cameroun, sa participation à la Coupe du monde 2002 qui s’est jouée ici lui a fait gagner en notoriété. Mais je n’ai pas l’impression que les choses aient beaucoup changé pour autant. » Pourtant, Japonais et Africains gagneraient à se connaître davantage. Comme le remarque le président congolais Denis Sassou Nguesso, qui a assisté aux derniers travaux de la Ticad : au-delà de l’aide aux pays du Sud, « le partenariat avec l’Afrique peut permettre au Japon, riche mais dépourvu de ressources naturelles, de développer un accès privilégié aux ressources, via des importations de pétrole ou de bois par exemple. L’établissement de relations d’affaires avec le continent serait mutuellement profitable, et matérialiserait vraiment l’idée du Nepad, un nouveau partenariat entre l’Afrique et des pays développés comme le Japon. » Tout un programme…

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