Et la négritude se mit debout

Publié le 14 novembre 2003 Lecture : 3 minutes.

Ce vendredi 18 novembre 1803, tard dans la nuit, le vicomte Donatien de Rochambeau ravale des larmes de rage en regardant la pluie torrentielle s’abattre sur Cap-Français. Dans quelques heures, il aura à poser un acte lourd de conséquences. De ceux qui marquent une vie : signer la reddition de l’armée expéditionnaire chargée de rétablir l’esclavage à Saint-Domingue. Et faire une croix sur la colonie la plus riche de la France. Le conseil de guerre tenu peu auparavant a entériné sa décision. Avait-il vraiment le choix ? Retranché avec le reste des troupes dans le fort Vertières, il a essuyé plusieurs jours durant les assauts répétés de l’armée indigène. Cette journée de vendredi a été terrible pour le moral, déjà en berne, de ses hommes qui ont vu leurs frères d’armes tomber les uns après les autres. Aujourd’hui, 18 novembre 1803, s’est livrée une bataille décisive, et il l’a perdue.
Pourtant, la France s’était donné les moyens de vaincre ses diables de Nègres et de conserver la colonie. Pas moins de 70 000 hommes de troupe ont mis les pieds à Saint-Domingue depuis le débarquement des premiers contingents en janvier 1802 sous le commandement du capitaine-général Leclerc. Toussaint-Louverture, le cerveau de la rébellion, ce mégalo qui signait ses lettres à Bonaparte « Le premier des Noirs au premier des Blancs », a été déporté en France, dans le Jura. Il y a d’ailleurs laissé sa peau. On pouvait croire qu’avec sa disparition les esprits allaient se calmer. Erreur ! Le mouvement n’a pas faibli un seul instant. Venu en renfort, Rochambeau a dû prendre la tête des opérations à la mort de Leclerc, voilà un an. Et il n’est pas n’importe qui. Il a pris part aux féroces batailles pour l’indépendance des États-Unis dans les rangs du corps expéditionnaire français placé sous le commandement de son propre père. Mais ici, à Saint-Domingue, il a trouvé en face de lui le général Jean-Jacques Dessalines. Celui-ci, même s’il peine à l’avouer, sait galvaniser ses troupes. Il faut voir ces hordes de Nègres se jeter, comme possédés, contre les canons aux cris de « l’indépendance ou la mort » ! Et en entonnant des chants qui font froid dans le dos, même à un vétéran comme lui : « Grenadiers à l’assaut / Celui qui est tué, c’est son affaire / Point de mère, point de père / Celui qui est tué, c’est son affaire. »
En fait, ce dernier combat, passé dans l’Histoire sous le nom de bataille de Vertières, a été celui des successeurs. Celui aussi de deux hommes dont la cruelle réputation n’est plus à faire. Toussaint comme Leclerc savaient atténuer leurs actes d’hommes de guerre par des manoeuvres diplomatiques. Dessalines et Rochambeau sont deux sanguins qui nourrissent la même haine de l’autre race. Ce 18 novembre 1803 les aura mis pour une dernière fois face à face. Et tandis que, dans la nuit pluvieuse de Saint-Domingue, le Français rumine sa défaite, non loin de là, au fort d’Estaing, l’ancien esclave des champs devenu général savoure sa victoire, en caressant sa légendaire tabatière.
Le lendemain 19 novembre, Rochambeau signera l’accord ratifiant la reddition, avant d’être livré aux Britanniques avec quelque 3 800 hommes. Dans la pagaille, certains en profiteront pour se réfugier dans la partie orientale de l’île sous contrôle espagnol. Au total, 55 000 soldats français auront laissé la vie dans cette aventure. Le 1er janvier 1804, l’ex-colonie française de Saint-Domingue proclame son indépendance sous le nom d’Haïti. Elle deviendra le refuge de nombreux patriotes latino-américains comme Bolívar, Miranda ou José Martí impliqués dans les luttes de libération de leurs pays. Et le 18 novembre 1803 restera dans les annales comme la première révolte d’esclaves victorieuse de l’histoire de l’humanité.

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