En attendant un statut…

Publié le 14 novembre 2003 Lecture : 4 minutes.

Philomène(*) est rwandaise, elle a trois filles. Elle vit dans un centre d’accueil d’urgence pour des demandeurs d’asile (AUDA) à Beauchamp, dans le Val-d’Oise (région parisienne). Ses enfants se portent plutôt bien depuis que la famille est arrivée en France, mais elle souffre de maux d’estomac et de tête très douloureux. « Je me demande parfois si je ne vais pas devenir folle, avoue-t-elle. Je n’arrive pas à dormir à cause des douleurs. Elles ont commencé quand je suis arrivée au centre. Mes voisins pensent que c’est la situation difficile dans laquelle je suis qui cause le problème. Pourtant c’était bien plus difficile de traverser la forêt pour aller au Zaïre, surtout avec la faim et ce que l’on mangeait. »
Comme les 5 000 demandeurs d’asile hébergés dans des centres d’accueil par la Sonacotra, Philomène hésite entre sa situation d’hier et celle d’aujourd’hui. Libérée d’une vie d’enfer dans son pays, calmée de la peur d’un voyage d’exil douloureux, elle n’a pas encore trouvé la sérénité en France. Car son dossier de demande d’asile est entre les mains de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Lui accordera-t-on l’asile ? Son angoisse reste entière.
Dans une étude intitulée « Les enfants de l’exil », publiée en octobre, une équipe d’anthropologues, de sociologues et d’ethnopsychiatres a tenté de saisir les difficultés liées à cette période d’attente qui peut durer jusqu’à trois ans. Et de comprendre les répercussions de cette situation « d’être en l’air », comme disent les réfugiés, sur la vie de famille et l’éducation des enfants. À l’origine de la recherche, un constat des dirigeants de la Sonacotra et de l’Unicef, commanditaires de l’étude : dans les centres d’accueil, les enfants se portent mieux que leurs parents. Pourquoi ?
« Les générations ne réagissent pas de la même façon dans cette confusion de mouvements et d’émotions », explique Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, codirectrice de l’étude avec le sociologue Jacques Barou. « Il y a ceux qui tiennent pour survivre, il y a ceux qui pensent que tout cela est transitoire. Il y a ceux qui font comme si l’avant n’existait pas. Et puis il y a les enfants qui piaillent de joie ou de colère, qui jouent, qui apportent la naïveté, l’insolence parfois : en somme, ceux qui portent la vie en ces lieux si marqués par la sidération, l’effroi et la méfiance. »
La confiance des enfants en l’avenir ne s’explique pas seulement par « l’innocence » mythique associée à leur âge. À leur arrivée en France, les demandeurs d’asile n’ont évidemment pas de permis de travail. Même le bénévolat leur est interdit. Alors que leurs enfants sont immédiatement scolarisés. « Nous sommes en France depuis deux ans et demi sans dessein », raconte Hamid, jeune père afghan de trois enfants. « Chaque jour, j’amène mon enfant à l’école, je reviens et je m’installe devant la télé jusqu’à 1 heure du matin. J’en souffre beaucoup. C’est en travaillant qu’on apprend la langue et qu’on s’occupe de soi-même. » Honoré est aussi plein de regrets : « Je suis adhérent au conseil d’école. Ça m’occupe, c’est utile. Je me suis proposé comme bénévole. J’ai écrit pour proposer de nettoyer la plage après l’accident du Prestige [pétrolier ayant sombré au large des côtes de la Galice espagnole, NDLR]. Je n’ai pas eu de réponse. Je ne comprends pas pourquoi. C’est naturel de rendre à la communauté, on doit quelque chose. » Et on se donne l’impression de maîtriser un destin qui dépend d’autorités anonymes.
Coupés de la société qui les accueille, les adultes ont du mal à s’imprégner de sa culture. Ajoutez à cela la promiscuité du foyer, et la vie de famille ne ressemble guère à ce qu’elle était auparavant. Les réfugiés n’ont plus de lien avec leurs parents restés au pays, et leur famille d’ici leur échappe. C’est la raison pour laquelle ils se dévouent entièrement à l’éducation de leurs enfants. « Mon fils de 5 ans me demande pourquoi ils tuent au pays, relate Hamid. Je réponds que c’est parce qu’ils ne sont pas éduqués. Il dit que si c’est comme ça, il va étudier sérieusement. »
La quarantaine de familles que les chercheurs ont rencontrées n’ont plus de passé, et pas encore d’avenir. Et pourtant, elles font partie des chanceux qui ont obtenu une place en centre d’accueil. Un toit, de quoi manger, c’est peu, et c’est déjà énorme. Sans compter que le soutien psychologique des assistants sociaux se double d’une aide non négligeable dans la rédaction des papiers administratifs. Résultat : les taux d’acceptation des demandeurs d’asile en foyer sont nettement supérieurs à ceux des autres. Et puis, s’il n’y a rien à faire au centre, on a au moins le temps précieux de réfléchir et de reconstruire ce récit qu’il faudra raconter aux autorités. Ce récit du passé, leur seule richesse, leur seul avenir.

* Les prénoms ont été modifiés.

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