Conté, seul contre lui-même

Dénonçant un « hold-up électoral à visage découvert », les partis d’opposition, pour une fois unanimes, appellent au « boycottage actif » de la présidentielle du 21 décembre.

Publié le 14 novembre 2003 Lecture : 4 minutes.

La cause est entendue : le chef de l’État guinéen ne sera opposé à aucun adversaire de taille lors de l’élection présidentielle du 21 décembre. Le 10 novembre à minuit, date limite pour le dépôt des candidatures, aucun des poids lourds de l’opposition n’avait remis de dossier au greffe de la Cour suprême. Les tractations se seront pourtant prolongées jusqu’au dernier moment. En vain. Après l’appel au boycottage du scrutin lancé par le Front républicain pour l’alternance démocratique (Frad), qui regroupe six partis d’opposition(*), la session du comité central de l’Union pour le progrès et le renouveau (UPR) a mis fin au suspense, le 8 novembre. La formation de Siradiou Diallo, qui, contrairement aux autres partis d’opposition, avait pris part aux législatives du 30 juin 2002, a, cette fois, décidé de ne pas présenter de candidat.
Aussitôt, pour tenter de convaincre certains opposants de revenir sur leur décision, le pouvoir a fait adopter en catastrophe une loi d’amnistie au bénéfice de nombreux responsables et militants ayant fait l’objet de condamnations pénales. Convoqués la veille alors qu’ils étaient en pleine session budgétaire, 88 députés (sur les 114 que compte l’Assemblée) ont, dans l’après-midi du 9 novembre, adopté à l’unanimité le projet de loi concocté quelques heures plus tôt par le cabinet de Mamadou Sylla, le ministre de la Justice. Dans la précipitation, quelques règles de procédure ont d’ailleurs été allègrement violées. Avant d’être soumis au vote des députés, le texte n’a, par exemple, pas été approuvé par les présidents des commissions parlementaires.
En passant l’éponge sur « tous les délits à caractère politique », la nouvelle loi avait un objectif inavoué : ouvrir une brèche au sein du Frad en remettant en course Alpha Condé, inéligible depuis sa condamnation à cinq ans de réclusion, en septembre 2000 (pour atteinte à la sûreté de l’État et tentative de déstabilisation armée du pays). La manoeuvre a échoué. Tout comme la tentative de débauchage de certains leaders de l’opposition entreprise par des membres du gouvernement et des personnalités proches du régime, comme l’homme d’affaires el-Hadji Mamadou Sylla.
Sidya Touré, notamment, a été l’objet de toutes les attentions. Le 6 novembre, pas moins de trois ministres – Moussa Solano (Administration du territoire et Décentralisation), Mamady Condé (Communication) et Mamadou Sylla – l’ont rencontré à la villa n° 10 de la Cité des nations pour le convaincre de se présenter. « Les principaux leaders de l’opposition ont eu l’occasion de se mesurer à Conté lors de précédents scrutins, lui ont-ils expliqué en substance. Pourquoi, à votre tour, ne pas tester votre poids électoral ? » Un peu court pour faire dévier Touré de la ligne adoptée, la veille, par son parti.
Le 5 novembre, le Frad, l’Union pour le progrès de la Guinée (UPG) de Jean-Marie Doré et le Parti du peuple de Guinée (PPG) de Charles Pascal Tolno ont écrit à Solano pour l’informer de leur intention de boycotter la consultation. « Aucune condition de transparence n’est remplie », indiquaient-ils. Le « déficit de confiance s’épaissit », en raison de fraudes électorales qui « s’apparentent davantage à un hold-up à visage découvert qu’à une tricherie clandestine ». En réponse, Sékou Konaté, le secrétaire général du Parti de l’unité et du progrès (PUP), la formation au pouvoir, a dénoncé « une manoeuvre dilatoire de l’opposition ».
Mais la mouvance présidentielle est manifestement dans l’embarras. Apparemment, elle n’avait pas envisagé une seconde que Conté puisse être le seul candidat. Depuis l’ouverture du pays à la démocratie, au début des années 1990, les opposants avaient toujours fini par prendre part aux « élections », en dépit de la répugnance du pouvoir à faire des concessions, fussent-elles minimes. Le boycottage de la prochaine présidentielle apparaît donc comme un échec personnel pour Solano, dont les relations avec l’opposition sont exécrables depuis le référendum constitutionnel du 11 novembre 2001 (qui abrogea la limitation du nombre des mandats présidentiels) et les élections législatives très contestées du 30 juin 2002.
Pour éviter un fiasco électoral, le pouvoir guinéen s’est efforcé de susciter des candidatures de diversion. Le 8 novembre, Mamadou Bhoye Barry, l’unique député que compte l’Union pour le progrès national (UPN), a ainsi annoncé son intention de solliciter les suffrages des électeurs, le 21 décembre. Cet enseignant et chercheur âgé de 50 ans est un parfait inconnu. Charles Pascal Tolno, leader du PPG et ancien ministre de l’Éducation nationale de Conté, aurait quant à lui été « retourné » par le pouvoir en échange d’une promesse de prise en charge de sa caution de candidature – 25 millions de francs guinéens (environ 11 000 euros) – et de ses frais de campagne à hauteur de 150 millions de FG. Mais Tolno, qui n’aurait reçu à la date du 10 novembre que 50 millions, s’est abstenu de verser le montant de ladite caution. Du coup, sa candidature a été rejetée par la Cour suprême, le 11 novembre, en même temps que celles de cinq autres anonymes…
Opposé au seul Mamadou Bhoye Barry, le président sortant s’achemine donc vers une élection-plébiscite. Reste à savoir ce qu’il fera de sa victoire programmée. Malade, il est revenu très mal en point d’un séjour médical à Cuba, du 15 au 25 octobre…
Les incertitudes auxquelles le pays est confronté sont encore renforcées par le « boycottage actif » de l’élection présidentielle envisagé par l’opposition. Mamadou Bâ, le porte-parole du Frad, a même annoncé la volonté de son organisation de « réagir au forcing électoral de Conté par un appel à la désobéissance civile ». Mais les adversaires du président misent avant tout sur sa « fin naturelle ». Ou, à défaut, sur un coup d’État militaire.

* Dont le Rassemblement du peuple de Guinée d’Alpha Condé, l’Union des forces républicaines de Sidya Touré et l’Union des forces démocratiques de Guinée de Mamadou Bâ.

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