Beaucoup de bruit pour rien

Comme prévu, le sommet d’Accra a accouché d’une souris. Et le processus de réconciliation nationale reste dans l’impasse.

Publié le 14 novembre 2003 Lecture : 4 minutes.

La « Réunion de concertation de chefs d’État et de gouvernement sur la situation sécuritaire en Côte d’Ivoire » s’est finalement tenue à Accra, le 11 novembre. Curieusement, tout le monde paraît s’étonner qu’elle n’ait débouché sur rien, ou presque. Or l’échec de la rencontre était inscrit dans les difficultés mêmes de sa préparation. Appelée à se pencher (une fois de plus) sur le blocage du processus de réconciliation nationale engagé à Abidjan, elle n’a en fin de compte rassemblé qu’une partie des quinze pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Les principaux acteurs de la crise ivoirienne ont en effet dû renoncer à se rendre dans la capitale ghanéenne. C’est notamment le cas d’Alassane Ouattara, le chef de file du Rassemblement des républicains, et de Guillaume Soro, l’une des têtes politiques des Forces nouvelles (ex-rébellion). Tous devraient cependant avoir droit à une sorte de session de rattrapage, John Kufuor, le chef de l’État ghanéen (et président en exercice de la CEDEAO), n’excluant pas de les recevoir ultérieurement. C’est du moins ce qui était envisagé quelques heures avant l’ouverture des travaux.
Face à certains de ses pairs, l’hôte du sommet avait une partie très délicate à jouer. Privés de participation au huis clos, plusieurs d’entre eux, à commencer par le président Abdoulaye Wade – d’autant plus déçu qu’il fut l’un des artisans de la signature du cessez-le-feu conclu le 17 octobre 2002 à Bouaké -, lui ont fait part de leur étonnement. Et lui ont fait comprendre que la rencontre ne pouvait bénéficier du label de la CEDEAO dès lors que l’ensemble de ses membres n’étaient pas présents. De fait, l’intitulé du projet de communiqué final – à l’exception de l’en-tête – ne fait nulle part mention de l’organisation régionale.
Si le Ghana ne l’avait accueillie et si le président Olusegun Obasanjo n’avait été présent, la rencontre aurait pu constituer un sommet du Conseil de l’entente. Sur les sept chefs d’État qui ont participé aux travaux à huis clos, cinq sont membres de cette structure sous-régionale.
Dans la capitale ghanéenne, on murmure que c’est à la demande de son « frère » Laurent Gbagbo que Kufuor a revu à la baisse le nombre des participants. La rencontre devant donner lieu à une franche explication, notamment entre lui-même et le Burkinabè Blaise Compaoré (voir J.A.I. n° 2235), le président ivoirien a souhaité éviter qu’elle ne se transforme en tribunal ouvert à tout le monde. Et donc à toutes sortes de récriminations et de surenchères. Dans un souci d’efficacité, il fallait écarter les parties signataires des accords de paix de Marcoussis, qu’il pouvait recevoir à tout moment chez lui. Et tenir informés des décisions du huis clos les chefs d’État absents.
À l’arrivée, rien ou pas grand-chose. La mine quelque peu défaite des participants en disait long sur leur déception. Gbagbo s’est borné à prendre l’engagement de « collaborer » avec son Premier ministre Seydou Elimane Diarra, alors que le projet de communiqué soumis aux chefs d’État allait beaucoup plus loin. Il lui demandait « de prendre des mesures concrètes et immédiates pour permettre au Premier ministre de disposer, conformément aux accords de Marcoussis, des prérogatives de l’exécutif en application des délégations [de pouvoir] prévues par la Constitution ».
Le projet indiquait également que « les chefs d’État et de gouvernement ont exprimé leur préoccupation face à l’insécurité résultant des activités des différentes milices et autres bandes armées, et ont en conséquence demandé leur dissolution immédiate ». Il invitait « toutes les parties concernées à démarrer sans délai le processus de regroupement, de désarmement et de démobilisation, sous le contrôle des forces de la CEDEAO et des forces françaises ». Et, dans la foulée, demandait aux ministres des Forces nouvelles de « reprendre sans retard leur participation au gouvernement de réconciliation nationale et de continuer à apporter leur contribution à la restauration de la paix et à la réconciliation nationale ». Enfin, le document insistait pour que les ministres aient le pouvoir de nommer leurs collaborateurs et les responsables des structures sous leur tutelle. Autant de sujets évacués du texte final, lequel demande quand même que, pour assurer la sécurité des membres du gouvernement, notamment ceux issus de l’ex-rébellion, quatre-vingts gendarmes supplémentaires soient envoyés sur place par le Togo et le Niger dans le cadre de la force de paix ouest-africaine. Maigre résultat après un huis clos de trois heures, même si, à en croire certaines sources, Gbagbo, après avoir rejeté le projet de communiqué final, aurait néanmoins laissé entendre qu’il fera le maximum pour que les choses progressent dans le bon sens.
En attendant, ses pairs se sont prononcés à l’issue du conclave pour un doublement des effectifs des forces de la CEDEAO (environ 1 300 hommes) et pour leur intégration à la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (Minuci), qui deviendrait ainsi une force onusienne de maintien de la paix à part entière. Ce que souhaite également la France, dont on ignore cependant si elle compte transformer en « casques bleus » les quelque 4 000 hommes de l’opération Licorne.
Une délégation de la CEDEAO composée des ministres des Affaires étrangères de la Côte d’Ivoire, du Ghana, de la Guinée, du Niger et du Sénégal devait se rendre les 24 et 25 novembre à Washington puis à New York pour plaider le dossier auprès de l’administration américaine et du conseil de sécurité. Le 13 novembre, celui-ci devait reconduire (pour six mois) le mandat du Béninois Albert Tévoédjrè, représentant spécial du secrétaire général Kofi Annan. Le signe que tout n’est pas encore rentré dans l’ordre en Côte d’Ivoire. Loin s’en faut.

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