Victoire amère

Première femme à occuper le poste de chancelier, Angela Merkel devra diriger une coalition qu’elle refusait et appliquer une politique qu’elle rejette…

Publié le 17 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

Trois semaines. C’est le temps qu’aura mis Angela Merkel, la candidate conservatrice de la CDU/CSU, arrivée légèrement en tête aux législatives de la mi-septembre, pour parvenir à former un gouvernement de coalition avec les sociaux-démocrates du SPD. Trois semaines de tractations laborieuses, qui auront mis à rude épreuve les nerfs de cette fille de pasteur, née il y a 51 ans à Hambourg, en Allemagne de l’Ouest, mais élevée derrière le rideau de fer. Une femme, divorcée, remariée et sans enfants, à la chancellerie : une première dans le pays. Un événement qui a failli ne jamais se produire.
Partie très tôt en campagne, donnée largement gagnante par les sondages, Mme Merkel a raté la dernière ligne droite et a manqué de se faire rattraper sur le fil par Gerhard Schröder, le chancelier sortant. Effrayant l’électorat par la tonalité ultralibérale de son discours, souffrant de son manque de charisme face à un adversaire mordant et télégénique, qualifié de véritable animal politique, « Angie » n’a réuni que 35,2 % des voix, et 226 sièges (sur 614) au Bundestag. Minoritaires, même avec le renfort des 61 sièges remportés par les libéraux, les conservateurs ont été contraints de trouver un accord de coalition avec les sociaux-démocrates.
Schröder, dopé par son score inattendu (34,2 % des voix et 222 sièges), s’est d’abord proclamé « vainqueur moral » des élections et a revendiqué la direction de la coalition, avant de céder. Il s’effacera de la vie politique et ira travailler pour la banque d’affaires Merrill Lynch. Mais son forcing a permis à son parti d’obtenir 8 des 16 portefeuilles ministériels, dont les Finances et les Affaires étrangères. Merkel devra gouverner au centre, et trouver des compromis sur la hausse de la TVA, qu’elle souhaitait faire passer de 16 % à 18 % (pour baisser les charges sociales), la réforme du marché du travail et de l’assurance maladie. Les deux partenaires devraient parvenir à un consensus sur la privatisation des autoroutes, et sur l’introduction d’une vignette automobile forfaitaire de 100 euros par véhicule. Cela suffira-t-il à assainir les finances publiques et à faire repasser l’Allemagne sous la barre fatidique des 3 % de déficit ? La troisième puissance industrielle du monde, qui n’en finit pas de payer la facture de la réunification, et compte aujourd’hui 5,2 millions de chômeurs, est en crise. Pour autant, elle n’est pas prête à changer radicalement de cap et à céder aux sirènes ultralibérales. Le pays a déjà fait l’expérience, entre 1966 et 1969, d’une grande coalition, avec le conservateur Kurt-Georg Kiesinger à la chancellerie et le social-démocrate Willy Brandt aux Affaires étrangères.
Angela Merkel, physicienne de formation, a longtemps été sous-estimée. Elle débute en politique juste avant la réunification, en avril 1990, au poste de porte-parole du gouvernement conservateur (est-allemand) de Lothar de Maizières. Couvée par Helmut Kohl, nommée vice-présidente du parti, elle sert longtemps de « caution » féminine est-allemande à la CDU, avant de s’émanciper en « tuant le père ». Elle est l’une des premières à sommer son mentor de s’expliquer sur le scandale des caisses noires du parti. Enfin, elle accède à la présidence de sa formation en avril 2000. Mais, jugée trop tendre, elle doit s’effacer derrière le Bavarois Edmund Stoiber pour les élections de 2002.
En matière de politique étrangère, Merkel ne fait pas mystère de ses sympathies atlantistes. Elle est résolument hostile à l’entrée de la Turquie dans l’Europe. Parviendra-t-elle à imposer sa marque à la politique extérieure de son pays ? Peut-elle laisser une empreinte aussi profonde que celle de Schröder, l’homme qui a osé envoyer des soldats allemands faire la guerre au Kosovo et en Afghanistan, mais qui a défié Washington en s’opposant à l’invasion de l’Irak ? Il est encore trop tôt pour le dire. Coalition oblige, la continuité devrait prévaloir. Pendant quelque temps, l’Élysée et le Quai d’Orsay l’ont considérée comme un sous-marin de Washington, ce qui suscitait réticences et méfiance, sauf du côté de Nicolas Sarkozy. Mais elle a réussi à rassurer Paris, en martelant que l’axe franco-allemand resterait le pivot de la diplomatie allemande. Et s’est rendue en voyage en France en juillet dernier, immédiatement après son intronisation comme candidate. Elle a fait savoir qu’elle n’enverrait pas de troupes en Irak. En revanche, elle risque d’être moins conciliante que son prédécesseur avec le Russe Vladimir Poutine et devrait plutôt privilégier Varsovie à Moscou. Surtout après la victoire des conservateurs polonais…

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