Un ballon qui ne tourne pas rond

Publié le 17 octobre 2005 Lecture : 4 minutes.

Avant le coup de sifflet final, l’entraîneur portugais Artur Jorge, la moustache en berne, fila vite se réfugier dans les vestiaires. Quelques secondes plus tard, Samuel Eto’o et ses frères s’effondraient sur le gazon et criaient leur douleur, le visage inondé de grosses larmes. Pierre Womé venait de gâcher le penalty qui aurait pu permettre au Cameroun de battre l’Égypte et de se qualifier pour l’Allemagne. Décontenancés par la détresse de leurs adversaires, les joueurs égyptiens se mirent à les consoler un à un. Et, comme gênés, imitant leur gardien Essam el-Hadary, leur présentèrent des excuses… Le public, pétrifié, mettra de longues minutes avant de réagir et de laisser éclater sa frustration et son courroux.
Dans les vestiaires, les anciens Lions Joseph-Antoine Bell, Patrick Mboma, Stephen Tataw et autres Jean-Paul Akono se relaient pour assurer l’indispensable soutien psychologique à leurs jeunes frères vaincus. Lesquels ne pourront quitter le stade, plongé dans l’obscurité, que plus de deux heures après la fin de la partie, sous la protection rapprochée de gendarmes et de militaires. Sur la route qui mène au centre-ville, submergée par une foule en colère, des supporteurs se couchent sur la chaussée. D’autres y dressent des obstacles pour bloquer le passage, tandis que des voitures et des bus sont lapidés. Beaucoup réclament le malheureux Womé pour le « punir ». La maison de ses parents sera saccagée. Yaoundé frôle l’émeute.
Le ministre des Sports, Philippe Mbarga Mboa, qui avait tout misé sur un ticket pour l’Allemagne, est effondré. Inconsolable. Il avait mobilisé ses prédécesseurs, des anciens Lions, les présidents des clubs et Yannick Noah, lancé l’opération « Tous en vert » (couleur du maillot), multiplié les séances de soutien et de prière, rencontré les patriarches de Mfandena (le quartier du stade) afin de « désamorcer toute tension » avec les familles Emombo, propriétaires non dédommagés jusqu’à ce jour du terrain sur lequel a été construite en 1972 l’arène en béton. Il leur a offert cinq boeufs, des sacs de sel, du riz, des régimes de bananes plantains, des espèces sonnantes et trébuchantes… Le président Paul Biya avait promis, pour sa part, une prime spéciale de victoire (estimée à 6 millions F CFA) à chaque joueur. Et Samuel Eto’o 1 million F CFA à chacun de ses coéquipiers…
Mais las, le verdict du terrain a déjoué toutes les prévisions, et confirmé les statistiques : de 1983 à 2005, l’Égypte a battu à 11 reprises le Cameroun, concédé 4 nuls et 5 défaites. L’échec de Yaoundé, qui est loin d’être un accident, aura certainement des répercussions sur le présent et l’avenir du ballon camerounais.
À Dakar, le 18 juin, le président de l’Olympique de Marseille Pape Diouf, avertissait, à l’issue du match Sénégal-Togo (2-2), ses compatriotes : « Je ne crois pas que nous puissions bénéficier de ce coup de pouce qui peut nous propulser en Allemagne. » Il a eu raison. Les héros africains du Mondial asiatique de 2002 ne seront pas au rendez-vous allemand de l’élite mondiale en 2006. Un échec sportif doublé d’une énorme perte financière qui ne pouvait pas laisser indifférent le pouvoir politique. Le président sénégalais Abdoulaye Wade et son Premier ministre Macky Sall s’empressèrent de surfer sur la vague du mécontentement populaire. Le ministre d’État chargé des Sports, Youssoupha Ndiaye, est limogé, tout comme l’entraîneur des Lions, Guy Stephan. Les cas camerounais et sénégalais ne constituent pas des exceptions. Les éliminatoires couplés Coupe du monde/Coupe d’Afrique des nations 2006 qui ont pris fin le 9 octobre ont « consommé » trois ministres des Sports au Cameroun, trois aussi en Égypte et au Mali, deux au Kenya et en Algérie et englouti un wagon d’entraîneurs.
Enfin, et histoire d’assombrir encore le tableau, comment ne pas décerner une mention spéciale au corps arbitral, pour son incurie. Il a été dirigé, de 1988 à 2004, par le Somalien Farah Addo. Le règne de cet ancien arbitre, qui vit en exil au Caire, a sérieusement entamé la crédibilité morale des sifflets africains. Président de la Fédération somalienne de football, il a bénéficié, entre 1988 et 2001, des fonds du Programme d’assistance financière de la Fifa. Et a été accusé d’avoir détourné 750 000 dollars et sanctionné, le 10 juillet 2004, d’une suspension de dix ans. Le Somalien a laissé l’arbitrage africain totalement sinistré. D’où la multiplication d’incidents et une tendance à « l’arbitrage maison ». Y compris lors de ces éliminatoires. Seule à s’en émouvoir, la Fédération royale marocaine de football (FRMF) a réclamé la désignation de sifflets… européens.
Une requête qu’on s’est bien gardé d’entendre, sans doute parce que l’enjeu d’une qualification pour l’Allemagne n’est pas seulement sportif, il est aussi et, surtout, économique. Chaque qualifié pour la phase finale est assuré de disputer les trois matchs du premier tour et de toucher un cachet de 6 millions de francs suisses (3,89 millions d’euros, ou 2,587 milliards de F CFA). Un pactole qui aiguise bien des appétits et fait tourner bien des têtes. À croire qu’aujourd’hui le football est devenu un enjeu beaucoup trop important pour être laissé aux seuls footballeurs…

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