Pétrole : demain sera pire

Publié le 17 octobre 2005 Lecture : 4 minutes.

Le prix élevé du baril pourrait, à long terme, contribuer à réduire la dépendance à l’égard du pétrole. Mais le problème qui se pose dans l’immédiat est celui de la demande d’énergie, qui, depuis 2003, croît deux fois et demie plus vite qu’au cours de la décennie précédente. Comme chacun sait, une bonne partie de cette demande supplémentaire vient de la Chine et de l’Inde, qui sont responsables d’environ 35 % de l’augmentation de la consommation, bien qu’elles ne produisent que 15 % du pétrole mondial. La consommation de ces deux géants émergents et de beaucoup d’autres pays en développement continuera de croître, car l’augmentation des revenus par habitant et les changements dans les modes de consommation qui suivront entraîneront une plus grande utilisation des hydrocarbures. On estime que la demande de pétrole mondiale pourrait augmenter de 50 % d’ici à 2020. Même si la demande chinoise semble actuellement s’essouffler, la perspective à moyen terme reste une croissance soutenue et importante des besoins.
Le problème est que l’offre ne suit pas. Les circuits actuels de distribution sont prévus pour 83 à 84 millions de barils par jour, et leur capacité à court terme se limite à quelques centaines de milliers de barils supplémentaires. Ce n’est pas la première fois que l’on se heurte à des tensions entre l’offre et la demande. L’inquiétude, cette fois, vient de difficultés qui se résument dans l’expression de « pic de production ». Certains pensent que le pic de la production mondiale pourrait être atteint entre 2005 et 2008, d’autres qu’il se situe entre 2010 et 2020, mais l’opinion générale est qu’il interviendra dans les dix années à venir.
Pour le moment, le prix élevé du baril n’a pas eu de conséquences néfastes sur l’économie mondiale – pour au moins trois raisons. Ce niveau élevé est d’abord la conséquence de la vigueur de la demande mondiale, principalement aux États-Unis et en Chine. Les pays développés utilisent environ deux fois moins de pétrole qu’il y a trente ans pour assurer un gain d’un point de PIB. Et le recyclage de l’argent du pétrole par les pays producteurs est bien meilleur. Les importations des pays exportateurs de pétrole ont augmenté de 32 % en 2004 et de 22 % encore au premier trimestre de 2005. Ceux d’entre eux dont la balance de paiements était largement excédentaire ont investi sur des marchés boursiers internationaux, principalement aux États-Unis, et ont donc contribué à maintenir des taux d’intérêt à long terme plus élevés. Mais il ne faut pas en rester là. Le doublement du prix du baril, à 60 dollars, ces deux dernières années, a coûté environ 2,7 % de PIB aux États-Unis. Parmi les autres grands importateurs, le plus touché est l’Afrique, pour laquelle la facture s’élève à 2,3 % du PIB, soit 25,7 milliards d’euros. En regard de ce montant, l’allègement de la dette accordé à dix-huit pays africains ne permettra à ces pays d’économiser que 1,5 milliard de dollars par an. Pour l’Europe, le Japon, l’Asie et l’Amérique latine, le doublement du prix du baril a coûté entre 1,7 % et 2 % du PIB.
L’impact de cette hausse du brut a été compensé par d’autres facteurs. Mais qu’adviendrait-il si le prix du pétrole devait rester aussi élevé à moyen terme ? Si dans un an le prix du baril, qui était de 45 dollars à cette époque de l’année dernière, restait à son niveau actuel, supérieur à 60 dollars, toutes choses égales par ailleurs, il en coûterait de 1 % à 2 % du PIB à la Corée du Sud, à Taiwan, à la Turquie et à l’Afrique du Sud, et près de 1 % à la plupart des pays européens, au Japon et aux États-Unis. L’aggravation des tensions actuelles creuserait le déficit budgétaire des États-Unis d’une valeur de 1 % du PIB. L’Europe, le Japon et la Chine souffriraient moins, leurs budgets étant plus proches de l’équilibre, et même nettement excédentaires dans le cas de la Chine et du Japon. Les transferts nets globaux des pays consommateurs aux pays producteurs d’ici à 2007 sont estimés à environ 1 500 milliards de dollars, soit près de 3,5 % du PIB mondial. Ce qui poserait un problème de recyclage d’une très grande complexité, tant du point de vue économique que du point de vue politique.
C’est dans ce contexte que la notion de « pic de production » devient inquiétante. Un prix élevé du baril pourrait ne pas être un simple phénomène cyclique, causé par un emballement de la demande au cours de ces trois années de reprise mondiale. Et un déclin cyclique, entraîné par un ralentissement de l’activité aux États-Unis ou en Chine l’année prochaine, ne masquerait que momentanément le fond du problème : à moyen terme, la tendance est structurellement à la hausse. Le prix élevé pourrait être le signe annonciateur d’un déséquilibre de l’offre et de la demande, qui ne pourrait être corrigé que par un prix encore plus élevé (nonobstant une récession ou un ralentissement mondial).
Il faut donc certainement s’attendre à un choc pétrolier plus grave, dans le cadre d’une production mondiale à son niveau actuel. Un jour ou l’autre, cette production pétrolière commencera à décliner, mais cela pourrait prendre quelque temps. D’ici là, nous pouvons être contraints de vivre avec une énergie plus coûteuse, qui ne doit pourtant pas nous empêcher de nous préparer aux contrecoups économiques qui ne manqueront pas de se produire lorsque la croissance faiblira – c’est inévitable.

* Conseiller économique à l’UBS Investment Bank of Economics.

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