Numéro gagnant

Après s’être émancipée de sa maison mère, l’ex-filiale de Wanadoo devient le troisième opérateur de téléphonie fixe du pays.

Publié le 17 octobre 2005 Lecture : 6 minutes.

Karim Zaz est un homme heu-reux ! Le 21 septembre dernier, Maroc Connect, la société qu’il dirige depuis six ans, obtenait la troisième licence de téléphonie fixe du Maroc. En prenant cette décision, l’Agence nationale de régulation des télécommunications (ANRT) place en concurrence frontale – une première mondiale ! – une société qui opère dans le domaine de l’accès à Internet (un FAI, fournisseur d’accès à Internet) avec deux opérateurs traditionnels de télécoms, en l’occurrence Maroc Télécom et Méditel, titulaire de la deuxième licence depuis juillet. Et, à son corps défendant, rend ainsi hommage à un homme qui n’a cessé de l’aiguillonner pour qu’elle respecte ses engagements et renforce son autorité.
L’aventure débute en mars 1999 à Paris. Karim Zaz a rendez-vous pour un déjeuner de travail avec Nicolas Dufour, à l’époque directeur de la division Internet et Multimédia de France Télécom, qui deviendra bientôt le FAI français Wanadoo. En moins d’une heure, l’accord est scellé : Wanadoo testera le modèle d’une filiale au Maroc. « À l’époque, France Télécom considérait le marché marocain comme prioritaire, explique Karim Zaz. Le succès de l’appel d’offres de la deuxième licence GSM [attribuée à Méditel, NDLR] avait fait grand bruit, et le calendrier de l’ANRT sur la libéralisation du secteur était crédible. » En se positionnant sur le segment Internet, l’opérateur historique français lorgne la privatisation de Maroc Télécom, prévue deux ans plus tard.
Diplômé de Polytechnique et de Sup’Télécoms, deux des plus prestigieuses grandes écoles françaises, Karim Zaz était rentré quatre ans plus tôt au Maroc. Il a eu le temps d’observer la tendance et de se persuader qu’il y a une place à prendre sur le marché naissant de l’Internet : « Il y avait de nombreux cybercafés mais pas d’acteurs de référence. Le marché était atomisé. Il y avait donc une réelle possibilité de se positionner. » France Télécom est également convaincue de l’analyse et investit 50 millions de dirhams (5 millions d’euros) dans sa filiale marocaine pour financer la construction d’un réseau couvrant dix villes, plates-formes techniques et service marketing compris. Tous les ingrédients d’un pari réussi se trouvent ainsi réunis, et Karim Zaz, à la tête de Wanadoo Maroc, a désormais le vent en poupe. Mais c’était compter sans les obstacles qui allaient jalonner son parcours.
En mars 2000, un mois avant le lancement des opérations de Wanadoo Maroc, Maroc Télécom jette son dévolu sur Menara, l’un des multiples FAI du pays, « ce qui signifiait que dès le début de nos opérations, fait observer Karim Zaz, nous étions en concurrence frontale avec l’opérateur historique ». En réaction, Wanadoo change son approche commerciale et opte pour une formule qui a fait ses preuves à l’international, le « pack » prépayé. Le succès est immédiat, mais, en pratique, les liaisons à Internet de Wanadoo transitent par le réseau de Maroc Télécom qui, non content de refuser un prix de gros à son concurrent, décide de lancer ses propres forfaits. Tandis que, dépassés, les autres FAI ferment les uns après les autres, Karim Zaz tente une riposte en saisissant l’arbitre du marché pour abus de position dominante et pratiques anticoncurrentielles. Il faudra neuf mois à l’ANRT pour lui donner raison et six mois supplémentaires pour que la décision soit effective. Une procédure est toujours en cours quant au montant du préjudice commercial, estimé à 2 millions de dirhams par un expert désigné par le tribunal.
Tandis que le géant marocain joue la montre, Karim Zaz choisit d’orienter ses activités vers les entreprises en leur proposant des solutions innovantes en matière d’interconnexion grâce au savoir-faire de France Télécom. Cette activité représente aujourd’hui les deux tiers du chiffre d’affaires de celui qui, avec 12 000 abonnés et 4 000 entreprises clientes en 2005, est devenu le second FAI du pays. Pour autant, Wanadoo Maroc n’oublie pas le marché du grand public, duquel il réussit à se faire remarquer en interpellant, dans une lettre ouverte, le très médiatique patron de Vivendi, Jean-Marie Messier, alors au faîte de sa puissance. Ce dernier, en juillet 2001, avait saisi les autorités françaises sur la position dominante de France Télécom et la tarification abusive qu’il pratique à l’égard de SFR, filiale de téléphonie mobile de Vivendi. Trois mois plus tard, Karim Zaz ne manque pas de rappeler au patron français que Maroc Télécom, dont Vivendi est l’actionnaire de référence, en fait autant au Maroc…
Au-delà de ces victoires de principe, la société a du mal à maintenir la tête hors de l’eau, et Karim Zaz attend avec impatience l’arrivée du second opérateur de téléphonie fixe, qui mettra fin au monopole de fait de Maroc Télécom sur les liaisons filaires. Elle est prévue quelques mois plus tard dans le calendrier de l’ANRT… mais le processus de désignation capote pour cause de cahier des charges « décourageant ». Parallèlement, France Télécom, chahutée par les marchés financiers en raison de son endettement abyssal, revoit ses priorités. Et Thierry Breton, le nouvel homme fort de l’opérateur français, aujourd’hui ministre de l’Économie et des Finances, décide de se séparer de Maroc Connect. « En clair, en raison de notre taille et de notre position géographique, nous n’étions plus dans le coeur de cible », explique Karim Zaz. Ce nouveau coup dur ne décourage en rien l’entrepreneur, convaincu de la validité de son projet. Plutôt que de jeter l’éponge, il décide de prendre les devants et propose à France Télécom, en mars 2003, une solution pour se désengager tout en essayant de pérenniser la marque Wanadoo Maroc : « Nous n’étions pas sortis de l’auberge, mais la tendance de l’entreprise était bonne. De plus, cette période coïncidait avec l’arrivée d’un nouveau directeur à l’ANRT, un autre discours et la volonté affichée d’aller vers un nouveau cadre réglementaire. » Karim Zaz prend alors son bâton de pèlerin et fait le tour des investisseurs institutionnels pour sauver son entreprise d’une mort annoncée. L’arrivée du haut débit ouvre un nouvel horizon à Maroc Connect, qui, une fois encore, se lancera dans l’aventure, talonnée par Maroc Télécom.
En juillet 2004, le pari d’un désengagement de l’actionnaire de référence est réussi. Autour de la table des négociations, Attijariwafa Bank, première banque du pays, et la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) rachètent la totalité des parts de France Télécom, qui, en cinq ans, a investi près de 20 millions d’euros dans sa filiale marocaine. Maroc Connect est sauvée. En interne, toutefois, il faut rassurer : « Jusqu’alors, nous étions la filiale d’une multinationale, et beaucoup de collaborateurs, présents depuis le début, étaient très attachés à cet emblème. Il fallait les faire rêver, leur expliquer que Maroc Connect peut construire quelque chose qui a du sens. » La société emploie 180 personnes à ce jour. Pour mobiliser ses troupes, Karim Zaz lance le projet « Cap 2007 », dont l’objectif n’est rien de moins que de devenir opérateur de télécoms dans le pays. Dès lors, il peaufine son dossier de candidature et soumissionne, sans complexe, pour la seconde licence de téléphonie fixe. Pour faire face aux investissements lourds qu’impose ce changement de statut, Maroc Connect choisit l’Office national d’électricité (ONE) pour partenaire stratégique, ce qui lui donne également accès aux 4 000 km de câbles à fibre optique du réseau du groupe public. Aux dires des professionnels du secteur, l’offre présentée par le David marocain des télécoms est réellement innovante et moins coûteuse que celle de ses concurrents. En juillet 2005, la seconde licence lui échappe. Mais l’appel d’offres qui suit est le bon. Maroc Connect devra débourser 306 millions de dirhams pour l’obtenir et s’est engagé à investir près de 1 milliard de dirhams la première année d’exploitation. « Cette licence est un soulagement mais pas un aboutissement », prévient celui qui n’est pas encore quadragénaire. Sourire aux lèvres, Karim Zaz se prend déjà à rêver d’une introduction en Bourse. « Pour les dix ans de l’entreprise, ce serait un beau cadeau d’anniversaire, non ? »

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