Nouvelles technologies encore un effort !

Les progrès enregistrés sur le continent dans la téléphonie mobile et le réseau Internet ne doivent pas faire oublier les retards qui subsistent par rapport aux autres régions du monde.

Publié le 17 octobre 2005 Lecture : 7 minutes.

En 1953, IBM commercialisait son premier ordinateur. Une machine de la taille d’une grosse armoire, capable d’effectuer rapidement des calculs complexes grâce à sa faculté de combiner les données enregistrées dans sa mémoire. Celle-ci pouvait emmagasiner 2 kilooctets (2 000 caractères de 8 bits). Cinquante ans après, le nomade urbain et branché jongle entre son téléphone portable, son PDA, sa clé USB et son lecteur MP3, qui emmagasinent, au bas mot, 2 gigaoctets chacun, soit 2 millions de ko. De façon plus discrète, le numérique s’est installé dans des objets aussi divers que l’automobile ou le lave-vaisselle, pour optimiser leur contrôle, leur maintenance et leur évolution.
Dans le même temps, IBM a grandi. Il emploie aujourd’hui 300 000 personnes, qui ont réalisé un chiffre d’affaires de 150 milliards de dollars en 2004. Seizième groupe mondial, « Big Blue » est devenu un géant, tout comme Microsoft, créé en 1975, fort d’un chiffre d’affaires de 284 milliards de dollars. Comme le géant de l’édition de logiciels, d’autres sociétés sont nées du progrès technologique, comme Intel, neuvième mondial, Cisco, quinzième, ou encore Nokia, qui s’est hissé à la cinquantième place cette année. Sans oublier Google, eBay, Amazon et d’autres spécialistes qui ont créé de nouveaux métiers et de nouvelles sources de revenus. Et d’autres groupes souffrent parce qu’ils n’ont pas su prendre à temps le virage du numérique, comme Kodak, resté trop longtemps fidèle à la pellicule photo.
Dans les pays développés, où 60 % des gens utilisent un ordinateur pour leur travail, le numérique est aussi devenu omniprésent à domicile, dans le téléphone mobile, le PC connecté à Internet, la console de jeux et le lecteur de DVD. Ces produits, dont les utilisations étaient autrefois distinctes, tendent à remplir les mêmes fonctions, chaque constructeur essayant de s’attirer une part du marché de ses concurrents. Microsoft met les bouchées doubles pour devenir le chef d’orchestre de ce petit monde, avec le PC MediaCenter, qui est aussi bien une chaîne hi-fi et un lecteur de DVD, et gère des écrans de visualisation (télé ou ordinateur) et la messagerie. Côté téléviseur, la Télévision numérique terrestre (TNT), par satellite ou par Internet (via l’ADSL), signe la fin de la transmission hertzienne du signal audiovisuel. Là aussi, l’idée est d’offrir davantage de services au consommateur, dont la TV à péage représente le facteur majeur de changement. Elle permet, par exemple, de vendre en ligne des programmes au client qui choisit et compose sa grille et sa facture. D’ici peu, chaque foyer recevra une seule facture regroupant sa consommation mensuelle de téléphone fixe et mobile, d’Internet à haut débit et de télévision.
Cette évolution est symptomatique de la dématérialisation en cours du support, comme le CD ou DVD, au profit du contenu. Il est désormais possible d’acheter des chansons, des logiciels ou des films, directement par téléchargement depuis un téléphone mobile ou un ordinateur. Le marché des PC pourrait doubler d’ici à 2010, dépassant 1,1 milliard d’unités, notamment grâce à l’explosion de marchés nouveaux comme ceux de la Chine, de l’Inde ou de la Russie. Les consoles de jeu nouvelle génération PS3, XBOX 2 et Nintendo Revolution sont annoncées pour 2006, des sorties qui devraient booster un marché du jeu déjà florissant. Dès 2001, le marché mondial des jeux atteignait 16,5 milliards de dollars, devançant les 16 milliards de revenus du cinéma. Et selon le cabinet d’études Gartner, alors que cette année il y aura 780 millions de téléphones portables dans le monde, 2,6 milliards de mobiles devraient être en circulation en 2009.
Mais l’explosion des technologies a également induit un nouveau concept, la « fracture numérique ». Tandis que les pays riches vivent une mutation plus rapide qu’aucune autre auparavant, le risque est grand que l’écart se creuse avec les pays en développement. La question a mobilisé la communauté internationale qui s’est réunie à Genève en 2003, sous l’égide des Nations unies, lors du premier Sommet mondial de la société de l’information (SMSI). Elle a été marquée par la proposition du président sénégalais Abdoulaye Wade de créer un Fonds de solidarité numérique pour combler le fossé entre riches et pauvres. Le 14 mars dernier, ce Fonds a vu le jour, grâce à une vingtaine de membres fondateurs, des États, mais aussi des régions et des villes. Le Sénégal est très impliqué, mais aussi le Maroc, l’Algérie, le Nigeria, le Ghana, le Kenya et la France. Chaque membre fondateur s’est engagé à verser 300 000 euros, en espèces ou en nature, ce qui porte le total des fonds déjà levés à près de 5 millions d’euros. La prochaine réunion du SMSI doit se tenir à Tunis, du 16 au 18 novembre prochain, avec les délégués de plus de 170 pays ou régions.
Dans le détail, l’importance de la fracture dont souffre l’Afrique n’est pas aussi catastrophique qu’on aurait pu le craindre. Le continent n’est pas vierge en matière d’ordinateurs et d’utilisation d’Internet, même si force est de constater que beaucoup reste à faire. Alors que l’Afrique compte 13 % de la population mondiale, seuls quelque 2 % des internautes de la planète sont africains et sont responsables de moins de 1 % du contenu de la Toile. Néanmoins, les tarifs des cybercafés, qui, il y a encore peu, avoisinaient les 1 500-2 000 F CFA de l’heure en Afrique subsaharienne, sont descendus à 500-1 000 F CFA (2,2-3 euros), rendant Internet plus abordable. Chacun a pu se familiariser avec les joies du chat, ou celles de correspondre avec des cousins éloignés de plusieurs milliers de kilomètres. Il est devenu de bon ton de marquer une adresse électronique sur sa carte de visite.
L’accès à Internet demeure cependant coûteux pour un particulier et même pour une entreprise, et les liaisons à haut débit restent principalement concentrées dans les pays côtiers et dans les capitales. Elles se diffusent cependant. L’Afrique du Nord est reliée à l’Europe et à l’Asie par plusieurs câbles sous-marins. L’ouest du continent africain l’est depuis 2002 via un câble à fibres optiques d’une longueur de 28 000 km. Ce câble sous-marin part du Portugal, longe la côte atlantique jusqu’en Afrique du Sud, puis court jusqu’en Malaisie. Au Bénin, la capacité totale disponible pour transmettre des signaux a bondi d’un coup de 2 Mbits/s à 47 Mbits/s. Au Sénégal, elle dépasse 400 Mbit/s. Même situation au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Gabon et au Ghana, qui ont pu déployer des réseaux ADSL (liaison à haut débit pour les particuliers ou les entreprises). Mais les pays enclavés restent desservis par des liaisons satellites coûteuses. La seconde phase a déjà démarré, pour les relier aux pays côtiers par de nouvelles liaisons optiques. Les communications explosent, obligeant le consortium qui exploite le câble à signer avec Alcatel un contrat de plusieurs millions de dollars pour adapter les équipements à l’intensification du trafic de données.
Une autre raison d’espérer vient du succès du téléphone mobile, numérique lui aussi. Le rapport 2005 du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) est révélateur. Ses statistiques donnent, en Afrique subsaharienne, 9 abonnés sur 1 000 habitants pour le téléphone fixe et 54 pour le mobile. L’écart est comparable au Maroc, avec respectivement 40 et 244. En revanche, les pays qui étaient un peu mieux équipés en fixe ne connaissent pas un tel écart, comme la Tunisie (118 fixe, 197 mobile) ou l’Égypte (127 et 184). Mais la croissance du nombre d’abonnés sur le continent reste l’une des plus fortes au monde. Sur les cinq dernières années, elle a été supérieure à 60 % par an, contre 3 % dans le monde et 35 % en Europe. Cette diffusion a été favorisée par l’avènement d’opérateurs panafricains, comme Celtel, MTN ou Orascom. Les opérateurs nationaux de téléphonie fixe, étranglés sur leur marché, n’ont pas réussi à atteindre une taille critique suffisante pour pouvoir investir, en dehors de ceux d’Afrique du Sud. La spectaculaire progression de la téléphonie mobile en Afrique masque néanmoins des disparités importantes entre les zones rurale et urbaine. En 2004, 1 habitant seulement de zone rurale en Afrique sur 1 000 a accès au téléphone.
Les opérateurs africains rivalisent d’ingéniosité pour proposer de nouveaux services à leur clientèle. La stratégie est d’autant plus payante que le mobile est souvent le seul terminal de communication moderne et qu’il est capable d’intégrer des fonctions d’ordinateur, de paiement électronique, de fax ou de messagerie. Les Africains sont ainsi friands de SMS, ces courts messages écrits que l’on peut envoyer par le téléphone. Au Kenya, 75 % des clients de Safaricom, filiale de Vodafone, y ont recours, ce qui fait d’eux les premiers usagers au sein de la multinationale britannique. Dans plusieurs pays, dont l’Algérie, le Maroc ou le Nigeria, une seconde génération de réseaux téléphoniques cellulaires a été mise en service (GPRS), qui transporte du contenu Internet optimisé pour les téléphones sans fil. Tout un ensemble de services novateurs seront proposés, comme la visiophonie, la télévision ou les jeux. Mais la téléphonie 3G, très coûteuse à installer, démarre seulement au Japon et en Europe. Le continent africain devra attendre quelques années, lorsque la technologie sera mature et que les prix auront baissé. Mais ce n’est pas un fossé qui se creuse, c’est une marche, bien qu’encore grande, qui sépare l’Afrique du reste du monde.

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