Maghnia, dernière escale pour nulle part

Publié le 17 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

A une dizaine de kilomètres de Maghnia, dernière ville algérienne avant la frontière marocaine, des centaines d’immigrants africains ont érigé un village-bidonville dans le lit de l’oued Djordji, à sec depuis une éternité. Par vagues successives, ils sont venus du Mali ou du Niger, du Cameroun, du Nigeria ou du Sénégal. Ils ont traversé le désert au péril de leur vie, échappé aux pillards et aux gendarmes pour finir par échouer ici, à Maghnia, dernière halte avant l’assaut sur Ceuta et Melilla. Dans ce vaste camp dont l’existence est tolérée tant par la population locale que par les services de sécurité, la vie quotidienne est régie par des règles strictes. Chaque communauté possède son carré de tentes en plastique, de huttes en branchages et d’abris de fortune bricolés avec des troncs d’arbre et des cartons d’emballage récupérés chez les commerçants du coin. On jurerait une république autonome, avec un « président », un « ministre » chargé des relations avec les étrangers et un « commissaire » veillant à la sécurité. Mustapha est le « président » de la communauté malienne et se déplace flanqué de gardes du corps. Son épouse l’accompagne, le plus souvent : elle est chargée de recueillir les doléances de ses compatriotes. Baccalauréat en poche, Mustapha a fui le Mali dans l’espoir de s’installer en France. À trois reprises, il s’est cassé le nez sur les barbelés de Ceuta et de Melilla. Après chaque échec, il a regagné le camp afin de reprendre des forces et de gagner un peu d’argent. Quand il aura à nouveau réuni la somme nécessaire à la traversée, il repartira à l’assaut des côtes espagnoles. Mustapha est aujourd’hui un vétéran du camp, et c’est logiquement qu’il préside aux destinées de sa communauté. Ses compatriotes lui doivent obéissance, les nouveaux arrivants s’en remettent à lui pour dénicher une aide ou obtenir un conseil.
Combien d’émigrés clandestins vivent-ils dans cette enclave subsaharienne en terre algérienne ? Plus de trois mille, selon un journaliste qui s’est rendu sur place au mois de juillet. Quelques dizaines tout au plus, au début du mois d’octobre, selon les autorités locales. Quoi qu’il en soit, la vie dans le camp est presque « normale ». On y trouve un boui-boui où l’on sert des repas collectifs, des magasins d’alimentation générale qui proposent des produits de première nécessité (oeufs, lait, cigarettes, eau et conserves), une mosquée, des douches à ciel ouvert et un stade où se jouent d’interminables matchs de foot avec parfois trente ou quarante joueurs sur le terrain ! Certains privilégiés possèdent même un téléviseur couleur alimenté par un petit groupe électrogène et doté d’une antenne récupérée dans une décharge publique. Pour subvenir à leurs besoins et réunir l’argent de la traversée, les clandestins travaillent comme journaliers dans les fermes et les vergers de la région, à raison de 500 dinars (5 euros) la journée. Les plus chanceux réussissent à décrocher un travail stable. Ils sont menuisiers, gardiens, maçons ou manoeuvres sur les chantiers. Bien que tout le monde travaille au noir, la population de Maghnia se montre plutôt indulgente. Certaines femmes du camp sont même autorisées à accoucher dans les hôpitaux de la ville. Chacun sait bien, en effet, que ces « damnés de la Terre » d’un nouveau genre n’ont nulle intention de refaire leur vie ici. Et qu’ils ne rêvent que d’accéder un jour au paradis européen. Ou supposé tel.

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