Lionel Zinsou

Banquier d’affaires à Paris, créateur d’entreprises au Bénin

Publié le 17 octobre 2005 Lecture : 4 minutes.

L’École normale supérieure, à Paris, est une machine à fabriquer des « intellectuels français » sur le modèle de Jean-Paul Sartre. Des anciens élèves de la rue d’Ulm, Lionel Zinsou a le charme. Son discours est à la fois sobre et fleuri, solide et fluide. En février 1998, il nous avait déjà rendu visite. Il était alors « seulement » un homme brillant, ancien conseiller de Laurent Fabius, récemment reconverti dans la banque.
Le quinquagénaire que nous avons reçu le 4 octobre rue d’Auteuil n’est plus tout à fait le même homme. Il aime toujours surprendre ses interlocuteurs, en usant de formules chocs ou décalées. Associé-gérant chez Rothschild depuis 1997, il affirme à la fois : « Les banquiers d’affaires ont la phobie de l’Afrique » et « Moi, si j’ai le choix, je préfère investir au Tchad qu’en Finlande ». En comparant ses deux pays, la France et le Bénin, l’homme d’affaires métis feint de s’étonner : « Pourquoi les magasins, à Paris, ne sont-ils pas ouverts avant 10 h 30 et ferment-ils à 18 h 30 ? À Cotonou, tout le monde travaille jour et nuit, week-end compris. Tout le monde est disponible en permanence, même l’administration. Il m’est arrivé de demander une autorisation le samedi matin… et de l’obtenir dans la journée. À Paris, non seulement les bureaux auraient été fermés, mais j’aurais certainement dû attendre au moins trois mois. » Habitué à défendre la cause africaine, il plaide aussi : « Être africain ne suffit pas. Il faut apprendre à regarder le monde depuis l’Afrique. Et là, tout change : la France devient un tout petit pays, très loin, qui ne « nous » intéresse pas beaucoup ; l’Inde et la Chine, elles, nous attirent ; avant, le coton du Bénin allait dans les Vosges ; maintenant, il part dans les usines de tee-shirts chinoises… »

« J’ai lu dans vos colonnes que le Bénin était l’avant-dernier pays pour la compétitivité. Vraiment, on ne peut pas tomber plus bas ! [Rires] Il y aurait beaucoup à dire sur cette enquête du World Economic Forum (Davos), et je vais me faire un devoir de faire mentir cette affirmation. Les pays d’Afrique ont des taux de croissance qui varient entre 4 % et 7 %. Vous imaginez cela en Europe ou en France, qui peine à dépasser les 2 % de croissance ? » À l’heure de nous quitter, Lionel Zinsou couchera deux phrases sur notre Livre d’or : « Jeune Afrique/l’intelligent, fidèle porte-parole de la fierté africaine. La fierté est une idée neuve en Afrique. »
Mais ce qui a vraiment changé, c’est que l’intellectuel est passé à l’action. « J’essaie de créer des faits accomplis. Le seul fait d’entreprendre fait venir les gens. » Et c’est comme cela qu’en juin 2005 est né le musée d’Art contemporain de Cotonou, premier du genre en Afrique : « Je n’ai rien demandé à personne, ni à l’État ni aux organisations internationales. C’était un fantasme : peut-on mener une action efficace en faveur de la santé ou de la culture sans avoir recours à des fonds publics ? » La réponse est oui. Avec sa fille Marie-Cécile, partie travailler au Bénin pour SOS-Enfants, ils créent une fondation de droit français et motivent plusieurs financiers privés internationaux. En deux ans, l’énergie familiale fait le reste. « Aujourd’hui, nous y présentons cent vingt oeuvres du créateur béninois Romuald Hazoumé dans un bâtiment de 1 000 m2. Nous recevons en moyenne quatre cents visiteurs par jour, dont la moyenne d’âge est inférieure à 20 ans. Et maintenant que nous avons du succès, on vient me voir en me disant : « Pourquoi diable ne pas nous avoir demandé des crédits ? »… »

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Le neveu d’Émile Derlin Zinsou, premier président du Dahomey libre, ne compte pas en rester là. En avril 2006, il ouvrira une usine de yaourts à Ouidah, au sud du pays, avec l’appui de Yoplait et de divers partenaires institutionnels, dont la BAD. Trente-six emplois sont déjà créés. « Je veux atteindre le chiffre de cent emplois qualifiés dans les deux ans. » Zinsou connaissait bien Yoplait. La marque appartient à Danone, dont il fut un des directeurs généraux et qui lui a accordé la concession pour cinq pays : Bénin, Togo, Burkina Faso, Ghana et Niger. « On me dit que ce projet est absurde. Je pense le contraire. Le lait est un des produits qui génère le plus de revenus avec le moins d’investissements. » Le premier obstacle au projet est d’ordre sanitaire : « Évidemment, la chaîne du froid exigée par le transport de matières aussi périssables que le yaourt revient cher, car l’électricité du Bénin est la plus onéreuse du monde. Son prix est quatre fois plus élevé qu’en France. » La seconde difficulté, c’est le transport : « Livrer Agadès depuis Ouidah tous les deux jours, c’est un défi en soi, reconnaît Lionel Zinsou, dans une zone où un convoi risque d’être racketté tous les cinq kilomètres. »
Mais il en faudrait plus pour effrayer ce doux géant, qui regarde le monde du haut de ses 2 mètres avec la passion d’un jeune chef d’entreprise africain.

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