Les promesses du « mollah turc »

Publié le 18 octobre 2005 Lecture : 2 minutes.

Donc, je reviens d’Istanbul, où, comme vous le savez, le débat national est marqué par l’ouverture officielle, le 3 octobre dernier, des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
Quand je voyage ici, j’ai toujours cette sensation forte d’être dans la Rome de l’Islam. Mais aujourd’hui, Rome est une ville presque morte. Pas Istanbul. Ici, on se sent dans un pays qui vibre, qui bouge, qui change. Comme le dit un tee-shirt qui fait fureur sur les rives du Bosphore, the Empire strikes back (« l’Empire contre-attaque »)… La Turquie, à la fois asiatique, moyen-orientale et européenne, a choisi d’arrimer son destin à celui de l’Europe. Elle a choisi comme modèle de société celui de la démocratie et de la prospérité. Elle s’est donné une quinzaine d’années pour y arriver. C’est un consensus presque général entre militaires, islamistes modérés, kémalistes, minorités diverses, jeunes et vieux… Que la Turquie entre ou non dans l’Union, ce qui compte pour les Turcs c’est que leur pays se modernise et se démocratise.

Dans l’avion du retour, je me dis deux choses.
Un, les dirigeants européens manquent tragiquement de leadership et de vision. Aujourd’hui, le débat sur l’adhésion de la Turquie est ramené à l’islam et à ses dangers, à la nécessité d’intégrer (ou non) les musulmans. Après le plombier polonais, nous voilà confrontés au concept ultraréducteur du « mollah turc » qui s’apprête à venir voiler nos femmes, prendre nos boulots et transformer les églises en mosquées. Triste caricature. Oui, la Turquie est un pays musulman, mais c’est aussi un État laïc. Oui, le gouvernement est dirigé par des islamistes plus ou moins modérés. Mais c’est aussi un gouvernement pro-européen, réformateur, qui a sorti le pays du chaos économique, de la corruption et de la quasi-faillite de la fin des années 1990. On peut caricaturer les Turcs, les ramener plus ou moins consciemment au statut de barbares qui campent devant les murs de Vienne et de l’Europe, mais il est fort probable que dans quinze ans la Turquie sera un pays prospère et démocratique. Personne ne sait en revanche ce qu’il adviendra de l’Europe. Et ce sera probablement l’Europe qui aura alors besoin de la Turquie, de son influence au Moyen-Orient, de sa force de frappe militaire (l’une des plus impressionnantes de l’Otan), de sa puissance économique, de sa position géostratégique, du rééquilibrage vers le Sud que cela entraînera…
Deux, le Maghreb n’est pas européen, il est africain et arabe, mais il vit dans la sphère d’influence de l’Europe. Et il pourrait fortement s’inspirer de l’exemple turc. Les dirigeants maghrébins pourraient faire preuve de la même vison que les dirigeants d’Ankara et prendre la décision stratégique d’entrer, quels que soient les risques, dans le club des pays réellement démocratiques. Ils pourraient se donner une dizaine d’années pour y arriver. Ils pourraient faire preuve de courage en promouvant réformes politiques, institutionnelles et économiques. Le chemin sera long, les échecs et les erreurs inévitables. Mais comme pour la Turquie, l’Europe deviendrait alors une opportunité historique et unique pour les trois pays du Maghreb central d’accélérer leur développement et leur entrée dans le club des vraies démocraties.

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