Foot, politique et tiroir-caisse

Angola, Côte d’Ivoire, Ghana, Togo et Tunisie représenteront le continent au Mondial 2006 en Allemagne. Au grand bonheur de certains dirigeants, qui comptent tirer de cette qualification un bénéfice électoral.

Publié le 17 octobre 2005 Lecture : 5 minutes.

Depuis la Coupe du monde 2002, avec l’élimination au premier tour de la France et de l’Argentine, de l’Italie en huitièmes de finale, les qualifications de la Turquie et de la Corée du Sud en demi-finales, tout semblait devenu possible sur la planète football. Confirmation deux ans plus tard : la Grèce devenait championne d’Europe. Aujourd’hui, c’est au tour de l’Afrique d’être frappée de plein fouet par l’onde de choc du nivellement des valeurs : déjouant tous les pronostics, le Togo, l’Angola, le Ghana et la Côte d’Ivoire, quatre pays qui n’avaient jamais participé à une phase finale de Coupe du monde, ont décroché, le 8 octobre, leur billet pour l’Allemagne.
Championne d’Afrique en titre, la Tunisie a arraché sa place qualificative, en tenant en échec le Maroc, au terme d’un match crispant. Le Cameroun, le Nigeria, l’Afrique du Sud et le Sénégal passent à la trappe. C’est une énorme sensation, la fin d’une époque. Vieillissantes, usées, ou dissipées, ces sélections n’ont pas su, ou pas pu relever le défi des éliminatoires. Ces quatre pays totalisent avec l’Égypte onze des vingt-quatre Coupes d’Afrique des nations disputées depuis la création de l’épreuve, en 1957, deux titres olympiques (Nigeria, 1996, et Cameroun, 2000), 12 qualifications en phase finale de Coupe du monde et deux places en quarts de finale.
C’est à Yaoundé que les regrets sont le plus amers. Les Camerounais possédaient sans doute la meilleure formation du continent, en valeur pure. Mais les Lions indomptables ont complètement raté leur début de parcours éliminatoire, et gaspillé trop de points en chemin – matchs nuls face au Soudan et à la Libye, défaite en Égypte. Ils avaient cependant redressé la barre et repris, d’un point, la tête du groupe 3 en allant battre les Éléphants 3 buts à 2 à Abidjan. Une victoire à domicile contre une Égypte démotivée suffisait à les envoyer disputer en Allemagne une cinquième Coupe du monde d’affilée. Un match nul (1-1) les en empêcha. Au grand dam de tout un peuple (voir page 50). La Côte d’Ivoire de Didier Drogba, qui a facilement triomphé du Soudan (3-1), est miraculeusement passée.
Une divine surprise pour le pouvoir ivoirien, qui s’est empressé de faire sienne la qualification de « ses » Éléphants. De retour au pays, ils sont accueillis à leur descente d’avion par Simone Gbagbo. Son mari, Laurent, les reçoit à dîner au palais, les décore, et offre à chacun des joueurs une villa d’une valeur de 30 millions de F CFA (45 000 euros). Michel Gueu, le ministre des Sports et membre des Forces nouvelles, est ostensiblement snobé. « Ce mondial est un cadeau de Dieu à Gbagbo et à la Côte d’Ivoire », déclare, dans les colonnes de l’organe patriote Notre Voie, Gadji Céli Saint-Joseph, le capitaine de l’équipe victorieuse de la CAN 1992.
À l’époque déjà, Houphouët avait couvert d’éloges et de présents une sélection dont les exploits avaient fait oublier quelque temps à la population les prémices de la crise qui allait, sept ans plus tard, déchirer le pays. Et le football dans tout ça ? La Côte d’Ivoire possède une équipe pleine de talents, surtout en attaque et au milieu de terrain, et est annoncée, peut-être un peu vite, comme la révélation à venir du Mondial 2006. Réussira-t-elle à refaire « le coup » du Sénégal, qui s’était hissé, en 2002, en quarts de finale ? Elle en a les moyens.
Si les Camerounais ont au moins l’excuse d’être tombés dans « le groupe de la mort » de ces éliminatoires 2006, on ne peut pas en dire de même des Nigérians, des Sud-Africains et des Sénégalais. Qui aurait pu imaginer le Nigeria trébucher sur les modestes Angolais ? Hormis leur star Mantorras – plus souvent remplaçant que titulaire au Benfica de Lisbonne, mais adulé par ses fans portugais -, les « Palancas Negras » (les gazelles noires) alignent, pour l’essentiel, des joueurs évoluant dans leur championnat local… Solide mais apparemment limité, l’Angola sera une des attractions sympathiques du prochain Mondial.
Sa réussite actuelle, qui symbolise la revanche des « petits » et des « sans-grades » sur les stars surpayées des championnats européens, est un joli rayon de soleil pour un peuple meurtri et davantage habitué aux exploits des siens dans un autre sport collectif, le basket-ball. Le Ghana d’Essien, d’Appiah et de Muntari, lui, a fait chuter l’Afrique du Sud. La qualification du Black Star ravira les amateurs de football, car elle répare une injustice historique : quatre fois champion d’Afrique, le Ghana, malgré des joueurs du calibre de l’ancien Marseillais Abedi Pelé, avait toujours échoué aux portes du Mondial.
Le crépuscule des Bafana Bafana sud-africains, qu’on savait en nette perte de vitesse depuis quatre ans, constitue en revanche un sérieux motif d’inquiétude, à cinq ans d’une Coupe du monde qu’ils organiseront à domicile. Il va falloir, rapidement, s’atteler à la reconstruction. Mot d’ordre identique du côté du Sénégal. Les Lions de la Téranga, qui s’étaient peut-être un peu vite cru les maîtres du monde, sont complètement passés au travers des éliminatoires du Mondial 2006.
Les Éperviers du Togo, transcendés par leur coach nigérian Stephen Keshi, n’ont pas volé leurs succès. Grâce au talent du Monégasque Emmanuel Adebayor, à la motivation de ses coéquipiers, mélange de professionnels abonnés aux matchs de Ligue 2 française (la deuxième division) et de baroudeurs revanchards issus du monde amateur, ils ont affiché de belles promesses sur le plan du jeu. Parviendront-ils à franchir un palier supplémentaire l’an prochain en Allemagne ? En attendant, cette qualification est pain bénit pour leur jeune président, Faure Eyadéma, en délicatesse avec la communauté internationale après la publication du rapport d’Amnesty international sur les violences ayant endeuillé le pays pendant l’élection présidentielle d’avril dernier. Le lundi 10 octobre a été décrété férié. La veille, les joueurs avaient été fêtés dans un stade de Kégué plein comme un oeuf.
En l’absence des cadors habituels, la pression sera sur les épaules des Tunisiens. La qualification des Aigles de Carthage, champions d’Afrique en titre, et vingt-troisième au classement Fifa, déjà présents en 1978, 1998 et 2002, était attendue. Mais elle s’est jouée à pas grand-chose. La Tunisie, dont l’équipe arrive à maturité, est un mélange d’expérience et de jeunesse. De roublardise et de technique, à l’image de l’insaisissable Jaziri. Sans génie, mais sans faiblesse, sauf, peut-être, du côté de son gardien, elle est solide, bien organisée, et solidaire.
La bande à Badra et Bouazizi a déjà réussi à conquérir son public – la fédération a reçu 250 000 demandes de billets pour le match du 8 octobre, soit plus de quatre fois la capacité du stade de Radès – et à faire enfin oublier la glorieuse équipe de 1978. Et le vestiaire, fermement pris en main par Roger Lemerre, est sain : il y a longtemps que la vie du groupe n’est plus paralysée par les rivalités interclubs ou les interférences politiques. Les Tunisiens, qui ont réalisé des prestations encourageantes, sur le plan du jeu, lors de la Coupe des confédérations, en juin 2005, sont enfin devenus ambitieux.
Alors qu’ils étaient allés presque « à reculons » au Mondial asiatique de 2002, les Aigles de Carthage, déjà respectés et reconnus sur le continent, voudront réaliser sur les terrains d’Allemagne l’exploit qui leur permettra d’accéder à la notoriété internationale. À moins que ce ne soient les qualifiés subsahariens qui rêvent aussi de voir leur pays se hisser au sommet du football mondial. N’y parvenant pas avec leurs stars habituelles, peut-être y arriveront-ils avec leurs nouveaux héros…

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