Fin de partie à Damas

L’annonce du « suicide » de Ghazi Kanaan, ministre de l’Intérieur et ex-chef des services secrets pour le Liban, rend la crise plus dramatique encore. Un analyste allemand expose trois scénarios pour l’avenir.

Publié le 17 octobre 2005 Lecture : 4 minutes.

Le régime de Bachar al-Assad est entré dans sa phase finale, même s’il fait tout pour s’accrocher au pouvoir encore quelques mois ou quelques années. Et cela est vrai indépendamment de ce que Detlev Mehlis, le magistrat désigné par l’ONU pour enquêter sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, pourrait dire dans son rapport sur le rôle joué par la Syrie.
La mise en accusation de hauts dirigeants syriens pourrait bien sûr précipiter les choses – pour le meilleur et pour le pire. Mais même si Mehlis ne trouve pas de preuves d’une implication directe du régime de Damas dans l’assassinat de Hariri, on ne voit pas comment il pourrait surmonter son isolement à l’extérieur et sa perte de légitimité à l’intérieur.
La Syrie est accusée par l’administration américaine de soutenir activement l’insurrection en Irak. En Europe, elle s’est brouillée avec la France, son principal ami, et a épuisé la patience des autres États, qui ont longtemps essayé de maintenir avec elle un dialogue constructif sur les questions régionales et intérieures. Dans le monde arabe, ses relations avec l’Arabie saoudite, son allié le plus important, ont été complétement gâchés par sa politique au Liban.
Plus grave, le régime syrien ne bénéficie plus de la confiance ni du soutien des élites et de la majorité de la population. Sa mauvaise gestion des affaires libanaises l’a obligé à retirer son armée dans des conditions plutôt humiliantes et a entraîné une enquête internationale qui bouscule sa souveraineté. Assad n’a pas pris la mesure des développements majeurs qui se sont produits dans la région et dans le monde, et qui ont provoqué l’isolement de la Syrie. Il n’a pas non plus entrepris la moindre réforme politique.
Quels changements pourraient intervenir en Syrie ? En l’absence d’un mouvement social à la fois structuré et puissant qui pourrait déboucher sur une évolution comparable à ce qui s’est passé en Ukraine ou en Géorgie, on peut envisager trois scénarios.
Le premier scénario : Assad pourrait entreprendre de changer lui-même le système d’en haut. Il rejetterait la responsabilité des erreurs des cinq dernières années sur certains de ses collaborateurs avant de les limoger, libérerait les prisonniers politiques, annoncerait de véritables élections législatives dans un an ou deux, et, dans la foulée, une élection présidentielle ouverte. Parallèlement, il déciderait que, du point de vue de l’intérêt national de la Syrie, il vaut mieux éviter une guerre civile en Irak que de se réjouir de voir les Américains échouer.
Un tel scénario suppose un pouvoir fort. Ce qui malheureusement ne paraît pas être le cas. Ni Assad ni la plupart de ses collaborateurs n’ont compris le monde qui les entoure. Il est clair qu’Assad n’est pas à la hauteur de la responsabilité qu’il a reçue en héritage. De plus en plus nombreux sont les Syriens, y compris au sein de la haute hiérarchie de l’armée et des appareils de sécurité, qui s’en rendent compte.
Beaucoup de Syriens redoutent donc un deuxième scénario, totalement différent. Si le régime laisse son isolement s’aggraver et sa légitimité intérieure s’effriter en attendant que les choses s’arrangent d’elles-mêmes, on risque d’assister à une désagrégation progressive de l’État. Les Syriens, abstraction faite de leur appartenance communautaire ou sociale, ne s’accommoderont très probablement pas d’un régime qui condamne leur pays à l’enfermement et le réduise au statut de la Biélorussie.
En l’absence d’un espace politique qui aurait favorisé l’émergence d’alternatives crédibles, l’opposition au régime risque de prendre des formes préoccupantes. Déjà, ces derniers mois, des mésententes, des malaises, au départ anodins, ont dégénéré en affrontement ethnico-religieux. Visiblement, l’État est en train de perdre son autorité.
Devant la menace de désagrégation, des Syriens de plus en plus nombreux considèrent un troisième scénario inévitable : un coup d’État militaire. Il serait dirigé par un officier supérieur qui appartiendrait (comme Assad) à la communauté alaouite.
Dans le Moyen-Orient d’aujourd’hui, les coups d’État n’ont de chance de réussir que s’ils s’accompagnent d’une promesse plausible de changement démocratique. Le général qui écarterait Assad et son entourage devrait, par la suite, autoriser la constitution de partis politiques et de véritables élections. Un tel programme devrait bénéficier de l’indispensable soutien de la bourgeoisie de Damas et d’Alep, ainsi que des fonctionnaires, des intellectuels, voire des militants du Baas. On aurait affaire, en somme, à un Musharraf syrien. Ce ne serait pas une sortie de crise idéale, mais la moins mauvaise solution.
L’Europe et les États-Unis ont tout intérêt à ce qu’il y ait un changement à Damas et, surtout, à ce que le changement en question se produise sans anarchie et sans effondrement de l’État. De plus, le changement devrait venir de l’intérieur. Les élucubrations selon lesquelles les Syriens souhaiteraient un renversement du régime dirigé de l’extérieur sous-estiment le patriotisme syrien comme on a sous-estimé le patriotisme irakien avant la guerre.
Au cas où Assad déciderait de modifier sa politique, de coopérer avec la communauté internationale et d’engager de véritables réformes politiques, l’Europe et les États-Unis devraient lui tendre la main et l’aider. Mais si des dignitaires syriens étaient mis sur la sellette par le rapport Mehlis et qu’Assad refuse de coopérer, l’Occident devait mettre son régime en quarantaine – et non pas punir le peuple syrien – et laisser entendre qu’il serait prêt à traiter avec ses successeurs.

* Volker Perthes, directeur de l’Institut allemand pour les affaires internationales et la sécurité (Berlin), est l’auteur de La Syrie sous Bachar al-Assad.

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