En chiens de faïence

Alors que Bush trouve les rapports avec Pékin « très compliqués », Hu Jintao estime que l’Amérique n’est plus « la priorité des priorités »…

Publié le 17 octobre 2005 Lecture : 4 minutes.

Non seulement le cyclone Katrina a fait vaciller la cote de popularité de George W. Bush, mais il a aussi compromis le voyage officiel du président chinois Hu Jintao aux États-Unis. Initialement prévue pour le début du mois de septembre, cette visite manquée s’est finalement transformée en un simple tête-à-tête de quatre-vingt-dix minutes entre les deux hommes, en marge de la célébration du soixantième anniversaire de l’ONU à New York.
Ce sommet, aussi bref et anodin qu’il fût, prouve cependant que les relations entre les deux géants du Pacifique sont entrées dans une phase pour le moins floue et délicate, si ce n’est franchement périlleuse. Après le 11 Septembre, la Maison Blanche avait eu besoin du concours de la Chine dans sa « guerre contre le terrorisme ». Elle juge manifestement aujourd’hui que la situation a changé, ce qui permet au Pentagone de remettre Pékin dans sa ligne de mire.
Mais la Chine que Bush et les néoconservateurs retrouvent devant eux est bien différente de celle d’il y a quatre ans. Ni Condoleezza Rice ni Rumsfeld ne savent plus comment définir la nature de leurs relations avec ce pays en forte émergence dans tous les domaines, y compris dans celui de ses capacités militaires, ainsi qu’en témoignent les achats d’armes réalisés dans le monde entier par l’armée chinoise au grand dam de Washington et de ses alliés, notamment européens et israélien.
Symétriquement, la Chine de Hu Jintao est, elle aussi, en train de redéfinir les stratégies de sa diplomatie. Se distinguant en cela de son prédécesseur Jiang Zemin, l’actuel président chinois a gommé les États-Unis des « priorités des priorités » de sa politique extérieure. Depuis son arrivée au pouvoir il y a deux ans, Hu Jintao a effectué de nombreuses visites officielles en Europe (il est venu deux fois en France), en Amérique du Sud, dans des pays voisins de la Chine… et même chez « l’ennemi juré » des États-Unis : Cuba. En revanche, le mois dernier, il n’avait pas encore posé le pied sur le sol de la première puissance mondiale, ce qui traduit évidemment non pas une négligence, mais bien la volonté de garder ses distances avec Washington.
On se souvient de Colin Powell, alors secrétaire d’État, qualifiant la bonne entente sino-américaine de « meilleure période depuis l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays ». Moins d’un an plus tard, si l’écho de cette phrase résonne encore à nos oreilles, elle tombe désormais à plat. Interrogé par des journalistes quelques semaines avant le sommet de New York, Bush déclara quant à lui que les relations entre Pékin et Washington lui apparaissaient « très compliquées »… Tellement compliquées, en effet, que les deux parties n’ont même pas réussi, à la veille de la préparation de la visite du président chinois aux États-Unis, à s’entendre sur la nature de cette visite : Pékin voulait que ce soit une « visite d’État », tandis que Washington préférait une visite de travail avec des cérémonies type « d’État »… Grâce à Katrina, Chine et États-Unis sont enfin tombés d’accord pour repousser l’une et l’autre à une date indéterminée.
Mais la liste des divergences entre les deux capitales risque plutôt de s’allonger : querelles sur le textile, sur la réévaluation de la monnaie chinoise, sur l’affaire d’Unocal, sur l’énergie, inquiétudes du Pentagone au sujet du potentiel militaire chinois…, sans oublier, bien sûr, le chapitre des droits de l’homme et le problème de Taiwan !
En dépit de tous ces différents, les rapports d’interdépendance entre ces deux pays ont néanmoins tendance à se resserrer, à l’heure où un George W. Bush, qui connaît bien des difficultés à cause de la situation des Américains en Irak et des maladresses qu’il a commises à La Nouvelle-Orléans, rencontre un Hu Jintao fragilisé par les troubles sociaux de son pays, ce dernier est lui-même confronté à un Koizumi – le Premier ministre japonais – de plus en plus agressif après sa victoire écrasante aux élections législatives ou à un Chen Shuibian, le président de Taiwan, de plus en plus incontrôlable.
Washington ne peut pas non plus faire abstraction du fait que Pékin détient la clé des ambitions de la Corée du Nord dans le domaine nucléaire, ce qui met la Maison Blanche dans une position de « demandeur ». Celle-ci se trouve fragilisée, sur le plan économique, par le subtil décrochage du dollar que vient d’effectuer une monnaie chinoise traditionnellement surévaluée, à l’origine de la récente invitation lancée par les États-Unis à la Chine pour participer à la réunion des ministres des Finances du G7. Sans compter cet avertissement envoyé à leur gouvernement par des experts américains : la Banque centrale de Chine détient, à concurrence de plusieurs centaines de milliards de dollars, des titres de valeurs d’État américaines. Si elle s’avisait de les mettre en vente d’un seul coup sur le marché international, les États-Unis ne manqueraient pas d’affronter d’énormes problèmes financiers, économiques et sociaux.
À Pékin, Hu Jintao est lui aussi très conscient de son « besoin d’Amérique ». S’il a « proposé » à George Bush, pour la première fois, de « maintenir ensemble la paix dans le détroit de Taiwan » lors de leur dernière rencontre, transformant ainsi « une question de politique intérieure en un problème international », c’est parce qu’il savait quel était le poids de la Maison Blanche dans ce dossier.
Pour les experts sur les deux rives du Pacifique, l’avenir des relations sino-américaines est loin d’être garanti pour autant, et chacun redoute le moment où l’émergence de la Chine portera inévitablement atteinte aux intérêts globaux de l’hégémonie américaine. Ce qui pose au monde entier une double question : la Chine arrivera-t-elle à convaincre les États-Unis que sa progression est réellement pacifique et la « diplomatie du sourire » de Pékin gagnera-t-elle la partie dans les sondages ? Les États-Unis réussiront-ils, quant à eux, à convaincre les Chinois qu’ils n’ont pas l’intention de mener une politique de « contrainte » envers la Chine ?
À l’heure actuelle, on doit avouer que c’est encore le doute qui prévaut.

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