Comment est gérée la manne pétrolière

La flambée des cours du baril dégage des surplus financiers considérables. De quoi accélérer la construction de centaines de milliers de logements et finaliser les grands chantiers d’infrastructures.

Publié le 17 octobre 2005 Lecture : 5 minutes.

Jamais l’Algérie n’a connu une telle aisance financière. Plus de 50 milliards de dollars en réserves de change d’ici à la fin de l’exercice en cours, une dette extérieure réduite de moitié entre 1999 et 2005 (de 34 à 17 milliards de dollars), un programme d’investissement public de 55 milliards de dollars pour les quatre années à venir, et un budget de l’État pour 2006 qui bat tous les records : 2 632 milliards de dinars, soit 33 milliards de dollars. La loi de finances pour le prochain exercice marque un tournant dans la politique budgétaire de l’Algérie. Pour la première fois depuis l’indépendance, les dépenses d’équipement seront supérieures à celles de fonctionnement, avec 17 milliards de dollars pour les premières, contre 16 milliards pour les secondes.
Autre précision utile : le budget a été établi sur un prix de référence de 19 dollars le baril de pétrole, alors que les experts prédisent des cours mondiaux entre 50 et 60 dollars en 2006. Prudence excessive ? « Pas du tout, affirme un collaborateur du Premier ministre, Ahmed Ouyahia. Nous n’oublions pas qu’il y a une dizaine d’années l’Algérie se trouvait en situation de cessation de paiements, ce qui nous a amenés à négocier avec le FMI un ajustement structurel dont le coût social a été rude. » Que devient le surplus de recettes du gouvernement ? La fiscalité pétrolière sur la base du prix référentiel de 19 dollars devrait se situer autour de 916 milliards de dinars, soit près de 12 milliards de dollars. Les recettes supplémentaires alimenteront un fonds spécial destiné aux générations futures. Au 30 septembre 2005, ce fonds disposait de quelque 30 milliards de dollars.
De quoi amortir tout choc pétrolier à venir ! Mais surtout de quoi faire face au coût financier de la politique de réconciliation nationale proposée par le président Abdelaziz Bouteflika et adoptée par référendum le 29 septembre dernier. Outre l’extinction des poursuites judiciaires à l’encontre des maquisards islamistes non impliqués dans des massacres collectifs, viols ou attentats à l’explosif, cette loi préconise la prise en charge des victimes de la tragédie nationale, autrement dit les familles de victimes des deux camps.
Selon des estimations officielles, la guerre qui a frappé l’Algérie ces quinze dernières années a coûté la vie à plus de 150 000 personnes. La politique d’indemnisation est en cours d’élaboration par le ministère de la Solidarité. On peut avoir une idée des sommes qui seront allouées en se fondant sur les indemnités accordées par l’État à la suite des intempéries de Bab el-Oued, en novembre 2001, ou celles versées aux familles de victimes du séisme du 21 mai 2003, à Boumerdès. Pour ces catastrophes naturelles, l’indemnité décès a été fixée à 700 000 dinars, un peu moins de 10 000 dollars. Si ce montant est reconduit dans le cas de la « tragédie nationale », cela équivaudra à près de 1 milliard de dollars. Une bagatelle pour le Trésor public.
Quant aux dégâts occasionnés par la violence islamiste, ils sont évalués à quelque 25 milliards de dollars. Les trois quarts de ce montant concernent des infrastructures routières, des équipements de distribution d’électricité. Aucune assurance n’a pris en charge les dommages privés, notamment le logement rural et les unités industrielles détruites par les islamistes, car leurs propriétaires avaient refusé le racket des groupes armés. Aucune indemnité n’est prévue non plus dans le cadre de la réconciliation nationale. Cependant, les programmes d’investissement dans les Hauts Plateaux (l’intérieur du pays, qui a particulièrement souffert de la guerre) et les régions du Sud devraient contribuer à effacer les effets des actions islamistes dans ces régions.
La gestion prudente de la cagnotte pétrolière a d’autres vertus. Le paiement par anticipation de la dette extérieure, comme indiqué plus haut, en a considérablement réduit le principal. Quant au programme de soutien et de consolidation de la croissance, il a deux objectifs. Le premier est de rattraper le temps perdu par quatre décennies d’économie dirigée et une décennie de terrorisme. Le second est d’améliorer sensiblement le quotidien de l’Algérien. Le retour de la croissance (5,5 % en moyenne depuis 2001) a permis une forte réduction du chômage, qui est passé de 30 % en 1999 à 17 % en 2004.
Paradoxalement, certains chantiers ont du mal à trouver de la main-d’oeuvre, qualifiée ou non. Phénomène récent en Algérie : le recours à une force de travail chinoise, faute de bras locaux disponibles. Les cadres font également défaut. Le secteur privé national fait souvent appel à des étrangers pour faire fonctionner les unités industrielles, les services commerciaux ou ceux d’après-vente. Pourtant, le gouvernement accorde la priorité en matière d’investissement à l’éducation et à l’enseignement supérieur. Les nouvelles classes se comptent en dizaines de milliers, et les chefs-lieux de wilaya (« département ») comptent chacun leur pôle universitaire. L’Algérie se prépare à accueillir pour la prochaine année universitaire près d’un million d’étudiants.
Le déficit en matière de logements est en voie de résorption. Plus de 700 000 unités ont été réalisées durant le premier mandat d’Abdelaziz Bouteflika (1999-2004). Plus d’un million sont prévues avant la fin de 2009. De nombreux experts estiment que ce projet est irréalisable dans un tel délai. Pour faire taire les sceptiques, Ahmed Ouyahia assure que la construction de 500 000 logements sera lancée avant le 31 décembre de l’année en cours. Les terrains sont disponibles et les lignes de crédits libérées.
Les grands chantiers d’infrastructures sont en voie d’achèvement. Le nouvel aéroport international d’Alger devrait être opérationnel au début de l’année prochaine, alors que la première rame du métro d’Alger devrait circuler en 2007. Le réseau ferroviaire n’avait jamais connu de tels investissements : électrification du réseau de la banlieue algéroise qui bénéficiera bientôt d’un Train express régional (TER), réalisation de nouveaux tronçons pour désenclaver les régions déshéritées du pays chaoui, à l’est, et projet de train à grande vitesse entre les grandes agglomérations du nord du pays (Alger, Oran et Annaba). En matière d’infrastructures routières, les projets avancent à un rythme régulier. L’autoroute est-ouest devant relier les frontières tunisienne et marocaine devrait être achevée en 2008.
Le pays est en chantier sans que cela ne vide les caisses de l’État. Il fut un temps une Algérie disposant de tels moyens aurait sombré dans la grandiloquence et l’arrogance. Le 1er novembre 2005 marquera le cinquantenaire du début de la guerre de libération. À aucun moment le Trésor public n’a envisagé des projets dispendieux pour les commémorations. Pas même un défilé militaire. Lors de la campagne électorale pour la présidentielle d’avril 2004, il s’est trouvé un rival de Bouteflika pour poser cette question : peut-on confier les rênes d’un pays à une personne incapable de fonder un foyer (en référence au statut matrimonial du chef de l’État) ? L’utilisation de la manne pétrolière pourrait démontrer que ce célibataire endurci sait gérer l’Algérie à la manière d’un père de famille responsable.

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