Roland Riboux : « L’agro-industrie béninoise a le vent en poupe »
Le pays devient économiquement attractif. Parmi les secteurs à gros potentiel, la construction, les transports et la filière coton, comme l’explique le président du Conseil des investisseurs privés.
Au cours de ses vingt ans de carrière au Crédit lyonnais, Roland Riboux, 68 ans, a enchaîné les postes en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique, notamment au Cameroun, de 1973 à 1975, et au Nigeria, de 1991 à 1996. Cette année-là, le Français décide de rejoindre le monde de l’industrie et accepte la proposition du holding agroalimentaire TGI : il devient le PDG de la nouvelle filiale, Fludor Bénin (ex-Ecotrade), pour diriger le projet d’installation de l’huilerie du groupe à Cana, à 140 km au nord de Cotonou. L’usine entre en production en mai 2000.
La même année, déterminé à développer le secteur et conscient de ses enjeux financiers et socio-économiques pour la région, Roland Riboux crée l’Association des industriels de la filière oléagineuse des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (AIFO-UEMOA).
En 2002, il fonde le Conseil des investisseurs privés au Bénin (CIPB, qui réunit aujourd’hui une quarantaine de grandes entreprises), dans l’objectif de contribuer à l’amélioration du climat des affaires dans son pays d’adoption. Changement des mentalités dans les administrations, meilleur fonctionnement de l’appareil judiciaire, réforme de la fiscalité… Les axes de réflexion et les propositions ne manquent pas.
Propos recueillis à Cotonou par Fiacre Vidjingninou
Jeune Afrique : Quels sont les domaines où investir au Bénin ?
ROLAND RIBOUX : Le pays regorge d’opportunités et l’État se montre tout disposé à soutenir les investisseurs intéressés. Dans le secteur de la construction, par exemple, le Libano-Sénégalais Latfallah Layousse [groupe Ciments du Sahel] a obtenu des conditions favorables pour créer sa société au Bénin, dont la cimenterie est entrée en activité fin 2013. Et, le 9 avril dernier, le Français Vincent Bolloré était à Cotonou pour le lancement de l’énorme chantier de la boucle ferroviaire qui reliera le Bénin, le Niger, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire.
Par ailleurs, en même temps que l’État cherche de nouvelles solutions pour améliorer les capacités énergétiques du pays et mettre un terme aux délestages qui perturbent la vie quotidienne, les partenaires techniques et financiers du Bénin, emmenés par l’Union européenne, ont mis à la disposition de la Société béninoise d’énergie électrique et de la Communauté électrique du Bénin un budget de 450 millions d’euros dans le cadre d’un programme pluriannuel de soutien.
Enfin, le tourisme reprend. Michel Abimbola, le ministre chargé de ce secteur, vient ainsi de relancer le grand projet de développement de la « route des pêches » [le chantier du premier tronçon de 13 km de longueur a débuté à la mi-février].
Et dans votre secteur ?
L’agro-industrie est certainement la branche qui présente les plus importantes opportunités d’investissements. En effet, la filière coton, première culture d’exportation du pays, est à la croisée des chemins. L’État a opté pour un mode de gouvernance de la filière par « zonage ».
On attend désormais que des opérateurs privés viennent gérer ces zones [constituées autour des usines d’égrenage], afin de permettre au pays d’atteindre son véritable potentiel, à savoir une production d’au moins 500 000 t de coton-graine par an [elle était inférieure à 250 000 t pour la campagne 2012-2013]. Toujours dans les oléagineux, l’anacarde devrait aussi attirer de nouveaux projets d’investissement, notamment pour la création d’unités de décorticage. Fludor s’y intéresse.
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Depuis sa reprise en main par l’État en 2012, la filière coton semble avoir du mal à retrouver ses marques…
La production de coton-graine atteindra à peine 330 000 t pour la campagne 2013-2014. Celle-ci a commencé tard en raison des difficultés que le comité chargé de sa gestion a rencontrées pour s’entendre avec les égreneurs, tous privés, sur le prix de l’égrenage à façon dans leurs usines. Il est temps qu’un cadre permanent soit défini, car on ne peut pas demander année après année au président de la République et au ministre de l’Agriculture d’arpenter les zones cotonnières pour remobiliser les producteurs et les inciter à continuer de cultiver du coton.
En décembre 2012, l’État avait clairement indiqué qu’il avait retenu l’option du zonage, qui a fait ses preuves en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. Il serait temps que ce modèle soit, désormais, testé.
Quels sont les principaux freins au développement du secteur privé ?
Le premier est sans nul doute l’administration. Elle est dotée, comme son modèle français, d’un statut de la fonction publique qui engendre une lenteur et une cécité, voire de l’autisme, face aux réalités des entreprises et à leurs demandes légitimes. Autre problème : le Code du travail. Bien que beaucoup moins volumineux que son équivalent français, il est animé par le même esprit : l’employé est une victime et l’employeur un criminel en puissance…
Ce qui aboutit très souvent à des condamnations aberrantes, qui sont finalement corrigées en appel, mais des années plus tard, alors que le mal a été fait. Il faudrait par exemple y introduire un barème des préjudices, pour notamment limiter les dommages et intérêts consécutifs à un licenciement considéré comme abusif à un nombre fixe de mois de salaires… ce qui éviterait ces situations ubuesques où certains juges accordent des indemnités équivalant à plus d’un siècle de salaire !
Comment améliorer l’environnement des affaires ?
En 2008, grâce à une requête formulée via le Programme d’appui au secteur privé de l’Union européenne, le CIPB a obtenu la création d’un cadre de concertation sur la fiscalité avec le ministère des Finances. C’est une innovation remarquable [un tel cadre n’existe même pas en France], qui permet aux entrepreneurs privés de dialoguer avec la direction des impôts sur les règles fiscales et leurs applications.
Certains juges accordent des indémnités équivalant à plus d’un siècle de salaire, une situation ubuesque !
Nous venons d’obtenir de Valentin Agossou, le garde des Sceaux, la création d’un cadre de concertation public-privé similaire à celui du ministère de la Justice, dont nous attendons beaucoup. En tant que contribuables, nous insisterons pour que l’appareil judiciaire soit doté des moyens qui lui permettent de fonctionner avec efficacité et célérité. Cela passe par l’augmentation du nombre de greffiers, mais aussi du parc d’ordinateurs ou de groupes électrogènes, sans oublier la maintenance.
Enfin, le CIPB vient de créer un groupe de travail sur les télécoms, autre goulot d’étranglement pour l’économie. Nous espérons que l’Union européenne nous appuiera à nouveau pour qu’un cadre de concertation soit instauré, afin que l’État prenne la mesure du retard de notre pays en ce domaine et y remédie.
Sur quels chantiers avez-vous observé des changements ?
Le secrétaire permanent du Conseil présidentiel pour l’investissement travaille avec acharnement à améliorer le climat des affaires, et on observe déjà quelques progrès. Par exemple en ce qui concerne la simplification des formalités pour la création d’entreprise ou l’obtention du permis de construire. L’une des autres pistes est le développement de l’e-administration dans les services en contact avec le public. Un dossier suivi par Antonin Dossou, le ministre chargé de l’évaluation des Politiques publiques et des programmes de dénationalisation.
Mais il ne pourra y avoir d’avancée que si l’administration change d’état d’esprit et si le cadre de concertation sur la justice atteint ses objectifs. Il est regrettable que l’exécutif béninois n’ait pas suivi l’initiative prise ces deux dernières années par certains pays, comme la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Togo, qui ont eu recours au programme de mise à niveau et de coaching des cadres de l’administration Agora [Accompagnement gouvernemental des réformes en Afrique] proposé par le réseau international de HEC.
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