Cap sur les législatives
Les élections de novembre prochain offrent à l’opposition l’occasion de montrer sa capacité à constituer un front uni face au pouvoir.
L’élection du 7 septembre – la première présidentielle pluraliste de l’histoire de l’Égypte -, qui a vu Hosni Moubarak, 77 ans, remporter un cinquième mandat de six ans avec un score proche de 90 %, doit-elle être considérée comme un « jalon sur la voie d’une transition démocratique », comme le soutiennent de nombreux observateurs ? Ou n’est-elle qu’un « faux printemps », ainsi que l’écrit Hugh Roberts dans Reforming Egypt. In Search of a Strategy, titre du rapport publié le 4 octobre par l’International Crisis Group (ICG), un think-tank basé à Bruxelles ? Les prochaines législatives, qui débuteront le 9 novembre et se poursuivront jusqu’au 6 décembre, apporteront les premiers éléments de réponse. Elles offriront l’occasion au régime de confirmer sa volonté d’avancer sur la voie des réformes et à l’opposition de montrer sa capacité à constituer un front uni face au Parti national démocratique (PND, au pouvoir).
Réunis le 9 octobre, au Caire, les représentants d’une dizaine de ces partis ont annoncé la constitution d’un Front national unifié pour le changement politique et constitutionnel. Ce front regroupe une dizaine de partis de l’opposition légale, notamment le Tagammou (Rassemblement national progressiste, gauche), le Wafd (Délégation, libéral) et Al-Arabi (Parti arabe démocratique nassérien, nationaliste arabe), et de formations non reconnues, comme le Mouvement égyptien pour le changement, connu sous le nom de Kifaya (« Assez ! »), et la confrérie des Frères musulmans, interdite mais tolérée.
Sauf désaccord de dernière minute – qui n’est pas à exclure, vu les divergences opposant certaines de ses composantes -, ce Front présentera des listes communes aux législatives, ou, à défaut, des listes coordonnées avec les Frères musulmans. Disposant dans le Parlement sortant de seize représentants élus sous l’étiquette d’indépendants, presque autant que tous les autres partis d’opposition réunis, les « Frères » sont tentés de présenter leurs propres listes, sous le slogan « L’islam est la solution ». Ils se disent cependant prêts à coordonner leur participation avec celle du Front, notamment en retirant leurs candidats des circonscriptions où celui-ci serait capable de l’emporter face à ceux du PND.
Grand absent de ce premier rassemblement de l’opposition : le parti Al-Ghad (« Demain »). Le plus jeune des partis légaux – il a été créé en octobre 2004 – et le plus dynamique aussi – son leader, l’avocat Ayman Nour, a été crédité de 8 % des suffrages lors de la dernière présidentielle, second score après celui de Moubarak – paie-t-il ainsi le prix de son succès ?
Contrarié par des poursuites judiciaires pour « falsification de documents officiels » dans la constitution d’Al-Ghad et une tentative de putsch menée par des cadres de son parti, deux opérations manigancées par le régime, Nour paie aussi les frais de sa sécession du parti Al-Wafd. Le chef de ce parti et candidat malheureux à la présidentielle, Noaman Gomaa, qui a été élu porte-parole du Front, refuse de siéger aux côtés de celui qu’il considère comme un jeune agitateur peu respectueux des convenances.
Que fera Nour ? Accuser le coup et rentrer dans les rangs, en attendant des jours meilleurs, d’autant que le temps joue pour lui : il n’a que 41 ans, presque la moitié de l’âge de ses détracteurs ? Essayera-t-il de jouer les trouble-fête en constituant des listes à part avec des candidats issus de son parti et des dissidents du PND dont la candidature n’aurait pas été retenue par le parti du président ? Cette seconde hypothèse est la plus probable, car plus conforme à son tempérament de baroudeur.
Les promoteurs du Front national unifié se donnent deux objectifs. Le premier est d’empêcher le PND de maintenir son écrasante domination sur l’instance législative, le Majlis al-Chaab (« Assemblée du peuple »), où il détient actuellement plus de 90 % des 454 sièges (444 élus et 10 nommés par le président). En conquérant plus du tiers des sièges dans le prochain Parlement, l’opposition serait par ailleurs en mesure de présenter plusieurs candidats à la prochaine présidentielle. Ce scrutin est prévu en 2011. Il n’est toutefois pas exclu qu’il se tienne avant cette date, si l’âge du président et sa santé vacillante l’obligeaient à céder le témoin prématurément. Il y a donc urgence à occuper le terrain…
Le second objectif est de maintenir la pression intérieure sur le régime de Moubarak, de manière à l’obliger à hâter les réformes qu’il a promises durant la campagne présidentielle. Le chef de l’État, qui a prêté serment le 27 septembre, s’est engagé, dans son discours d’investiture devant le Parlement, à « préserver le système républicain », à « poursuivre la démocratisation politique et la libéralisation économique » et à organiser des législatives « libres et équitables ». Ces promesses s’ajoutent à toutes celles qu’il a faites au cours de sa campagne, comme de lever l’état d’urgence en vigueur dans le pays depuis l’assassinat de son prédécesseur, Anouar al-Sadate, en 1981, de créer quatre millions d’emplois – pour juguler le chômage endémique, qui touche près de six millions de personnes -, de doubler les salaires des petits fonctionnaires, de construire 500 000 nouveaux logements… Bref, de réaliser, en six ans, tout ce qu’il n’a pu faire en vingt-quatre.
Ce ne sera pas une mince affaire, eu égard aux pesanteurs du système bureaucratique en place dans le pays. Ce système, né au lendemain du putsch militaire de 1952, a montré son incapacité à s’adapter aux exigences du libéralisme. Moubarak saura-t-il triompher des résistances intérieures ? Rien n’est moins sûr, même si son fils Gamal, chef du Comité des politiques du PND et son (plus que probable) candidat à la présidentielle de 2011, croit pouvoir ériger, sur les restes d’un régime autoritaire et socialisant à la soviétique, une république libérale et démocratique à l’occidentale.
Aussi, face à une opposition qui se rassemble, s’organise et multiplie les marches de protestation à travers le pays, le PND et son nouveau patron ont-ils désormais le dos au mur. Ils doivent, à la fois, promouvoir les réformes démocratiques – ou, tout au moins, ne pas y faire obstruction – et éviter de céder trop de terrain à l’opposition. Tâche contradictoire s’il en est et qui pourrait provoquer une ligne de fracture entre réformateurs et conservateurs, entre les tenants du changement dans la continuité (les partisans de Gamal) et les adeptes de l’immobilisme à tout prix (la vieille garde issue de l’armée).
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